2017-05-23

 

Nouvelles pièces au dossier Louis Perron

En fouillant précédemment la vie de Louis Perron, auteur d'origine française intégré au DALIAF, j'avais tiqué en relevant la publicité qu'il se fait à son arrivée à Montréal, quand il se présente comme expert en ballons et dirigeables.  Si cela cadrait plus ou moins avec sa pratique d'architecte et ingénieur civil, ainsi qu'avec ses écrits ultérieurs sur les grandes inventions contemporaines, c'était néanmoins inattendu à cette époque.  Néanmoins, un article paru avant son départ au Canada dans le numéro d'octobre du périodique Paris-Canada (p. 4) d'Hector Fabre confirme que son intérêt pour l'aérostation n'était pas que vantardise et qu'il figurait en fait au nombre des plus fervents aéronautes de son temps.  (Du coup, il conviendrait de fouiller un peu les histoires de l'aérostation en France dans les années 1870 et 1880 pour tenter de retrouver sa trace.)  Voici l'article :

AÉRONAUTES FRANÇAIS AU CANADA 

L’académie d’aérostation météorologique de Paris a donné dans sa salle des fêtes, 3 rue de Lutèce, un punch d’adieu à son pré­sident d’honneur, M. L. Perron, qui partait pour le Canada.

En raison du pays qui va devenir pour M. Perron, une nouvelle patrie, cette réunion a pris bientôt un caractère tout-à-fait canadien. Le Président de l'Académie, M. Wilfrid de Fonvielle, qui avait eu la courtoisie de nous inviter, lui a dès le début, dans son discours d’ouverture, donné ce caractère.  Le célèbre auteur des Aventures des grands aéronautes, de la Conquête du Pôle Nord, de Néridah, les Drames de la science, les Grandes ascensions maritimes, et de tant d’autres ouvrages de science aérostatique, a rappelé ce fait que Cyrano de Bergerac, le Jules Verne du dix-septième siècle, faisait attérir [sic] à Québec, le ballon créé de toutes pièces, et bien avant la lettre, par sa féconde et fantaisiste imagination.  Il a assuré à M. Perron, qu’en débarquant, à Québec, il éprouverait le même étonnement joyeux que les aéronautes de Cyrano de Bergerac, et il a fait aux applaudissements de l’auditoire, de sa voix chaude et vibrante, un tableau de la situation prospère et désormais inébranlable que la nationalité Canadienne-Française occupe sur le sol d’Amérique. Il a terminé par des considérations élevées nécessairement à la hauteur de son sujet, et exprimant l'espoir que les progrès de la science permettraient un jour aux nombreux amis de M. Perron, d’aller le retrouver au Canada après avoir traversé l'Atlantique en ballon.

On a écouté avec beaucoup d’attention et d’intérêt, une véritable conférence, lue par M. Maret-Leriche. Nous regrettons que le manque d’espace ne nous permette pas de publier le texte de cette conférence très nourrie de renseignements, qui témoignent d’une étude approfondie et des sentiments patriotiques de son auteur.

Puis, M. Eugène Godard, doyen des aéronautes de. France, a, dans une allocution très chaleureuse, rappelé son séjour en 1856, à Montréal.  Le souvenir ému qu’il a gardé de l’hospitalité montréalaise a très vivement impressionné les assistants. Nous sommes heureux à notre tour de le transmettre à nos lecteurs canadiens qui s’en montreront non moins vivement touchés.

Cette fête a pris fin au milieu des effusions des membres de l’académie d’aérostation et de leurs bons souhaits pour le succès de M. Perron, leur président d’honneur, dans sa nouvelle patrie qui, selon l’expression de M. Wilfrid de Fonvielle, est toujours la patrie française.

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De fait, ma reconstruction de la vie de Louis Perron à partir de sources primaires est confirmée par la notice de son décès rédigée par Édouard-Zotique Massicotte dans le numéro de janvier 1923 (.PDF) du Bulletin des recherches historiques (p. 24) :

Louis-Auguste Perron — Né à Paris, le 16 janvier 1844. Il fit la campagne de 1870, puis se livra à l’étude de l’aéronautique. En 1884, il fonda à Paris le Journal d'aérostation, dont l’existence fut éphémère. M. Perron quitta alors la France à destination du Canada. Pendant cinq ans, après 1890, il fut attaché à la rédaction du Samedi. Lors de son décès, survenu le 2 octobre 1916, il était de la société Asselin et Perron, architectes.

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Enfin, nous pouvons enrichir notre connaissance de la vie de Perron en citant un témoignage du jeune « Henry de Graffigny », auteur de proto-science-fiction à ses heures et modèle d'un personnage de Céline dans Mort à crédit.  Dans son ouvrage Récits d'un aéronaute (deuxième édition, 1886), c'est Perron qui apparaît dans le récit d'un affrontement d'aéronautes anglais et français le 25 octobre 1879 (pp. 38-39) :

Une autre course, faite à dessein, eut lieu le 25 octobre 1879, à Londres.  Ce concours international avait été organisé par la Society of Balloons of the [sic] Great-Britain (Société des ballons de la Grande-Bretagne). Le ballon anglais l'Éclipse, du cube de 900 mètres, devait être dirigé par M. Wright et le ballon français Académie d'aérostation météorologique n° 1, de 1,200 mètres de capacité, devait être monté par M. Perron, président de cette société, W. de Fonvielle, vice-président, et le commodore Cheyne.

Le sacramentel « Lâchez tout! » se fait entendre, les deux ballons quittent le sol glacé de Crystal-Palace of Sydenham et bondissent dans les airs.

Le ballon français jette du lest et monte...  Il atteint bientôt l'épaisse couche de nuages qui pèse éternellement sur la froide Albion; il la traverse et il monte dans l'espace resplendissant de lumière. Quinze cents mètres!  La dilatation s'opère, le ballon monte et glisse comme un météore dans l'azur des cieux.  Deux mille mètres! il monte toujours.  Enfin, à 7,000 pieds, la marche ascensionnelle s'arrête et l'Académie d'aérostation prend son vol en ligne droite.

Bientôt le soleil, s'abaissant sur l'horizon, rappelle aux hardis voyageurs que l'heure s'avance et qu'il faut descendre.  Les instruments de physique sont hissés dans un panier dans le cercle, et Perron saisit la corde de soupape...

Le gaz siffle en s'échappant, l'aérostat atteint les nuages sur lesquels, un peu auparavant, son ombre victorieuse courait.  Il s'y enfonce et, de la lumière, il retombe dans le brouillard.

Quand la couche vaporeuse est traversée, les aéronautes poussent un cri : — La mer !

En effet, la mer immense apparaît aux voyageurs.  De loin en loin, comme une aile de goéland, oscille une voile. Et le ballon descend toujours...

Sauvés! une île se dessine.  C'est un rocher aride, affreux; mais qu'importe, c'est la terre !  Le ballon descend encore, le guide-rope traîne dans les flots et modère la force qui l'emporte.  La nacelle atteint bientôt les vagues, mais la grève arrive et les voyageurs sautent sur le roc.

Il faut dégonfler, maintenant : à eux trois et avec beaucoup de peine, enfin, ils y parviennent.  Le ballon, son filet, son cercle, sont réunis dans la nacelle et le tout porté sur le plus haut sommet de l'île.  Les voyageurs commençaient à trouver le temps long sur leur rocher que la marée montante envahissait peu à peu, quand des ouvriers et des pêcheurs, qui avaient assisté de la côte à la descente de l'aérostat, arrivèrent avec des barques, et ramenèrent voyageurs et matériel à Plymouth.  Le lendemain, le tout était de retour à Crystal-Palace.

Le ballon français avait gagné la joute, l'aérostat anglais étant descendu sur la côte; aussi, à leur retour en France, les voyageurs furent-ils assaillis par des pièces de vers aussi élogieuses que mal faites.

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L'année suivante, Perron était encore de la partie pour une ascension qui va les amener à proximité de l'Angleterre.  Redonnons la parole à Henry de Graffigny qui raconte ainsi l'aventure dans ses Récits d'un aéronaute (pp. 64-65) :

Le 9 août 1880, le ballon n° 3 de l'Académie d'aérostation se gonfle à Cherbourg.  À trois heures, le sacramentel « Lâchez tout ! » retentit.  Les deux aéronautes Gauthier et Perron saluent la foule, qui les applaudit. Ils ne sont bientôt plus qu'un point, perdu bien loin dans l'immensité, au-dessus de l'océan.

Les navires à vapeur, forçant de pression, sortent de la rade et courent au-devant de l'aérostat, qui semble s'abaisser.  Dans leur nacelle, Perron et Gauthier sont tranquilles; et, pendant que Gauthier surveille le ballon, le président dessine et fait ses observations.  Là-bas, à l'horizon, comme une légère vapeur, une terre se dessine.  Est-ce l'Angleterre?  Non, c'est l'île de Wight.  Pourtant ils en sont à 160 kilomètres !

Le ballon s'abaisse, le lest s'épuise, il faut songer à la descente. Les courageux pionniers de l'air revêtent leurs appareils Gosselin. préparent le cône-ancre et se laissent aller...  Ils descendent.  À 800 mètres, un courant les reprend et les ramène vers les côtes de France. Ils passent comme une flèche au-dessus des remorqueurs envoyés à leur poursuite et ils viennent descendre sur le môle, où la foule enthousiaste les reçoit.  Ils avaient parcouru, aller et retour, près de 40 kilomètres.

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Deux ans plus tard, Louis-Auguste Perron participait à une ascension encore plus périlleuse, mais à Paris cette fois.  Citons de nouveau Henry de Graffigny dans ses Récits d'un aéronaute (pp. 61-63) :

Le 14 juillet 1882, une double ascension avait lieu à Paris à la place Wagram, où devaient se faire les essais de téléphonie aérienne, à l'aide de deux ballons à peu près du même cubage de 600 à 700 mètres ; le premier, avec M. Dartois accompagné de M. Normand, partait à quatre heures dix minutes et venait tomber, à six heures, à Crespy-en-Valois.

Le deuxième, le Montgolfier, partait à quatre heures quinze minutes, monté par MM. Perron et Cottin, président et secrétaire de l'Académie d'aérostation météorologique. Ce ballon qui, par une faute grave, avait été mis dans un filet plus petit que son volume, fut au moment du départ précipité par un coup de vent sur une maison faisant l'angle du boulevard Pereire. M. Perron dut jeter alors deux sacs de lest pour franchir cet obstacle, ce qui fit monter le ballon d'un bond à 400 mètres; neuf minutes après, à 650 mètres. La dilatation du gaz ayant rempli complètement le ballon, celui-ci se trouva trop à l'étroit dans son filet et éclata. M. Cottin venait de prendre note que le thermomètre était à 28° et le vent S.-E. 1/4. S  À ce moment, un bruit sec se fit entendre ; en levant les yeux sur le ballon, ils aperçurent que celui-ci était crevé dans sa partie supérieure.

M. Perron coupa immédiatement la corde de l'appendice, ce qui fit remonter la partie inférieure en forme de parachute et atténua la vitesse de la chute ; puis il jeta les deux sacs de lest qui restaient.  Le ballon faisait des oscillations d'une amplitude de 30 à 40°.  MM. Perron et Cottin se crurent perdus, et, en lisant le petit opuscule que ce dernier a publié à cette occasion, on ressent comme lui les sensations étranges qui ont dû à ce moment suprême les agiter.  Bien que la descente n'ait duré qu'une seconde et demie, leur vie entière se déroula à leur mémoire.  Un choc formidable arrêta cette descente vertigineuse, et les aéronautes se trouvèrent suspendus à 3 mètres du sol, dans une petite cour de 10 mètres carrés au plus. Le ballon se trouvait de l'autre côté de la maison située passage Chevalier, n° 20, à Saint-Ouen ; quelques minutes après, arrivaient les membres de l'académie d'aérostation météorologique, des amis, ainsi que le fils de M. Cottin, qui, ayant assisté de Paris à la chute du ballon, croyaient retrouver dos cadavres. Ils trouvèrent les deux aéronautes en parfaite santé.

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