2015-10-20

 

Le Québec a tranché

Cette fois, les sondages ne se sont pas trompés.  En particulier, ils ont épinglé avec précision le soutien conservateur à la veille du vote.  Le vote stratégique ou de dernière minute a fait le reste puisque 3 points de pourcentage du soutien du NPD ont glissé chez les Libéraux pour assurer à ceux-ci une victoire éclatante.  Le plus impressionnant, en fait, c'est que cette victoire n'est pas le résultat d'une coalition des forces centristes et de gauche.  Si le soutien du NPD a baissé d'un tiers environ (de 30,63% en 2011 à 19,7%), il est néanmoins demeuré plus élevé qu'à l'issue de toutes les autres élections depuis 1988 (quand Ed Broadbent avait recueilli 20,38%).  Les succès des Libéraux en 1993, 1997 et 2000 étaient le résultat de la division du vote de droite et aussi d'un transfert des soutiens néo-démocrates en faveur du PLC.  Lorsque le NPD a commencé à reprendre de la vigueur sous Alexa McDonough puis Jack Layton, les suffrages libéraux ont commencé à baisser.

En revanche, l'élection d'hier a consacré le déclin des forces de droite.  Le diagramme suivant illustre le résultat des élections fédérales depuis 1984 (la première élection après le retrait définitif de Pierre Elliott Trudeau) jusqu'en 2015 (la première élection remportée par Justin Trudeau).  Le trait double en gris permet de suivre l'évolution de la coalition conservatrice de Brian Mulroney qui réunissait les souverainistes du Québec (regroupés ensuite sous la bannière du Bloc québécois), les progressistes conservateurs traditionnels (dont les Red Tories) et la droite dure de l'Ouest (regroupée ensuite sous la bannière du parti Réformiste de Preston Manning).  Cette coalition commence à se fragmenter dès 1987 quand Manning fonde la Réforme, puis éclate tout à fait avant l'élection de 1993 avec le départ de Lucien Bouchard qui fonde le Bloc québécois.  Du coup, en calculant la somme des appuis des Conservateurs, de la Réforme et du Bloc québécois de 1984 à hier, on saisit mieux que l'élection d'hier représente un tournant historique pour les forces de droite, qui plongent sous le seuil des 40% d'appui.  Certes, on peut soutenir que certaines idées de droite ont si bien fait leur chemin que même le NPD de Mulcair s'est senti obligé de promettre de ne pas relever les impôts des particuliers ou de ne pas faire de déficits, ce qui a permis aux Libéraux de se montrer plus, hmmm, libéraux et de mieux incarner un changement de cap.  Toutefois, sur beaucoup d'autres points, du climato-scepticisme à la xénophobie au mépris des Premières Nations, les idées de droite n'obtiennent qu'une audience de plus en plus minoritaire au Canada.
Si les Libéraux ont progressé presque partout au pays, on peut affirmer que le Québec a joué un rôle décisif à double titre.  D'une part, il a donné aux Libéraux une vingtaine de sièges supplémentaires qui représentent la différence entre une minorité et une majorité, ce choix se concrétisant durant les ultimes semaines de la campagne électorale.  D'autre part, il semble clair que l'effritement du vote orange au Québec au plus fort de l'affaire du niqab a convaincu les autres électeurs canadiens qu'il valait mieux parier sur le poulain rouge, le jeune et fringant Justin Trudeau, que sur le vieux cheval de retour, Tom Mulcair, qui patinait dans la boue conservatrice et bloquiste.

Mine de rien, pourtant, c'est le Québec qui a enregistré le deuxième soutien le plus fort pour le NPD (25,4%) après la Colombie-Britannique.  Il y a quelques années à peine, ce résultat aurait été à peine croyable.  En date d'hier, le NPD est (en pourcentage des suffrages) le second parti à Terre-Neuve, au Québec et en Saskatchewan, tout en ayant accumulé au moins un quart des voix au Québec, en Saskatchewan et en Colombie-Britannique.  Si la possibilité d'accéder au pouvoir paraît plus éloignée que jamais, les sondages favorables du mois d'août et la remontée spectaculaire des Libéraux entre 2011 et 2015 suggèrent que le NPD garde un potentiel de croissance non-négligeable.  Ce qui est moins sûr, c'est que son chef actuel soit le mieux placé pour convertir ce potentiel en soutiens réels le jour du vote : Mulcair a déjà échoué une fois, mais c'est difficile de voir qui pourrait faire mieux.  Le parti n'a pas nécessairement un jeune chef charismatique bilingue sous la main, homme ou femme au passé de préférence immaculé.

Le pouvoir sera-t-il un cadeau empoisonné pour les Libéraux?  De graves problèmes économiques pendent au nez du Canada (vieillissement de la population, bulle immobilière, bulle des ressources naturelles, concurrence accrue pour les industries laitières et manufacturières si les ententes commerciales avec l'Europe et les pays du Pacifique se concrétisent) et c'est le parti de Justin Trudeau qui risque d'être sur la ligne de front dans la plupart des cas.  Le NPD sera libre de s'opposer sans être assujetti aux contraintes d'une coalition ou d'une entente entre partis minoritaires et Tom Mulcair parlera d'autant plus fort (s'il ne part pas tout de suite) que les Conservateurs seront privés de chef pendant plusieurs mois.

La solution de rechange sera-t-elle encore les Conservateurs en 2019?  La semaine dernière, alors que les sondages ne le donnaient pas nécessairement gagnant (voir l'image ci-dessous), Justin Trudeau a réclamé une majorité parlementaire.  Il l'a obtenue.  Il n'aura qu'à réparer d'abord les pots cassés des Conservateurs de Harper (la liste est longue) pour faire bonne impression au début.  Les difficultés commenceront ensuite...

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