2015-03-16

 

L'emploi universitaire en une photo

Cette photo prise à l'Université d'Ottawa la semaine dernière illustre assez bien, par inadvertance ou non, la situation de l'emploi universitaire au Canada en ce moment.  Normalement, des annonces de postes disponibles, temporaires ou permanents, dans tout le Canada occuperaient le créneau en bas au centre.  S'il y en a, elles ne sont pas arrivées jusqu'au bureau de la secrétaire qui s'occupe ordinairement de les afficher...


Comme le montre la photo, il ne manque pas de programmes d'étude, de bourses et de conférences pour les étudiants et les professeurs.  Par contre, d'emplois plus ou moins permanents pour les étudiants, boursiers ou conférenciers qui décrochent un doctorat, il en manque toujours, et depuis des années.  Selon une évaluation récente, les universités canadiennes décernent environ 6 000 doctorats par année, mais elles n'offrent au plus que 2 000 postes dotés d'une quelconque permanence.  Pourtant, il existe des besoins très clairs dans les salles de cours, puisque plus de la moitié des cours dans un nombre grandissant d'universités nord-américaines sont donnés par des chargés de cours ou professeurs à temps partiel ou autres « forçats des corrections sans fin », bref, par des contractuels qui ne connaissent pas avec certitude leur emploi du temps au-delà de quatre ou huit mois.

Un éditorial du Globe and Mail en fin de semaine souligne les contradictions des discours institutionnels.  Les universités canadiennes prétendent viser l'excellence, mais elles se contentent, pour de nombreux cours, d'enseignants payés au lance-pierres et souvent privés des ressources pédagogiques les plus élémentaires — à commencer par un bureau à leur entière disposition où ils pourraient rencontrer les étudiants.  Comme les universités canadiennes consacrent une part modeste de leurs budgets à la masse salariale des professeurs à temps plein ou temps partiel (environ 30%, en baisse depuis 1992, quand elle représentait presque 40%), il y aurait pourtant de la marge pour augmenter la rémunération des enseignants les moins bien payés.  (Car un chargé de cours qui assume le même nombre de cours moyen qu'un professeur titulaire gagne moins de 30 000 $ par année.)  Pourquoi les universités se plaignent-elles dans ce cas de manquer d'argent?  Est-ce la faute à l'expansion des administrations comme on le croit aux États-Unis? 

En fait, contrairement à des opinions qu'on entend parfois, la croissance des dépenses dans les universités canadiennes aux dépens des professeurs (qui ont le moins profité du gonflement des budgets depuis vingt ans, en raison justement de la sous-rémunération des chargés de cours) ne s'explique ni par l'augmentation des services aux étudiants ni par l'augmentation des budgets des bibliothèques (qui paient pourtant de plus en plus cher pour les revues savantes et scientifiques, mais dont les budgets ont en fait rétréci).  Selon ces deux analyses des données universitaires canadiennes jusqu'en 2010, plusieurs postes ont augmenté beaucoup plus rapidement que la rémunération des professeurs :

— les bourses (une augmentation de 700% depuis 1992 !), en majorité pour les étudiants diplômés (2e et 3e cycles) qui ne trouveront pas de postes permanents dans le monde universitaire...

— les bénéfices non-salariaux : frais de retraite, contributions aux régimes de retraite et sans doute aussi les années sabbatiques (le tout profitant surtout aux professeurs des générations précédentes, et surtout pas aux contractuels qui ont tout au plus des régimes de retraite minimaux)

— les autres frais pour l'instruction : salaires des secrétaires au service des départements, financement des laboratoires d'enseignement et des techniciens de laboratoire, aide à l'enseignement et services adaptés (pour les personnes qui ont des problèmes d'apprentissage ou pour les étudiants étrangers qui ont besoin d'une mise à niveau, en particulier dans les universités canadiennes qui recrutent beaucoup à l'étranger pour se financer...)

— les frais d'infrastructure et les frais de contrats avec des firmes extérieures : la facture énergétique (particulièrement élevée dans une province comme l'Ontario, mais aussi en hausse en raison de l'augmentation du nombre d'ordinateurs, etc.) et ce qu'on pourrait appeler la facture de la privatisation associée à l'embauche de firmes extérieures pour le nettoyage, le déneigement, la sécurité et les cafétérias

Ceci ne signifie pas que les administrations universitaires n'ont pas vu leurs budgets augmenter plus vite que la masse salariale des professeurs à temps plein et à temps partiel (67% environ pour les premières vs. 38% au plus pour la seconde, entre 1992 et 2010, en dollars constants).  Une fois qu'on répartit l'augmentation du budget hors-enseignement professoral, on trouve trois secteurs qui s'accaparent la part du lion de l'augmentation de la masse salariale :

— les infrastructures : gestion des édifices et bureaux, entretien, alimentation électrique, chauffage, réparations et rénovations, frais de location, assurances et taxes municipales

— les frais de fonctionnements des facultés et départements (dont les salaires des doyens et de leurs bureaux), des études supérieures et des cours d'été

— l'administration générale

Si on peut calculer que la masse salariale des professeurs aurait été supérieure de 1,6 milliards de dollars en 2010 (en dollars de 2011) si elle représentait la même proportion des budgets qu'en 1992, cela ne saurait être dû à la seule augmentation du secteur administratif, qui a absorbé 325 millions de dollars de plus mutatis mutandis.

De manière un peu impressionniste, je conclurais donc que ceux qui bénéficient de l'exploitation des contractuels de l'enseignement universitaire, ce sont :

(i) les chercheurs, qui bénéficient de meilleures conditions salariales (compte tenu des vacances, années sabbatiques et régimes de retraite) et de la collaboration d'un plus grand nombre d'étudiants diplômés financés par le système ;

(ii) les retraités et futurs retraités de la génération du baby boom (sur-représentés parmi les rangs des professeurs permanents, ceteris paribus) ;

(iii) les firmes privées qui bénéficient de contrats accordés au détriment de l'ancien personnel universitaire (syndiqué) ;

(iv) le personnel auxiliaire et les administrateurs : les augmentations ne concernent pas tout le monde (car il y a eu une petite baisse de la rémunération globale pour l'ensemble de ce secteur), mais les employés épargnés par la sous-traitance ont clairement vu dans certains domaines leur nombre et/ou leur rémunération augmenter ;

(v) les fournisseurs d'électricité ; et

(vi) les contribuables qui exigent toujours plus des universités (plus de diplômés, plus de recherche, plus de brevets) mais qui ont fait payer la note aux étudiants — et fait compenser par des bourses universitaires l'augmentation des frais étudiants, de sorte qu'en fin de compte, ce sont les enseignants les plus précaires qui paient, relativement parlant, pour l'amélioration des services, l'amélioration de la recherche, les retraites des boomers et l'expansion de l'administration.


À certains égards, le sort de la plupart des employés universitaires reste enviable, si bien qu'on ne se lamentera pas trop fort, mais il est également clair que les universités n'ont pas encore assumé la responsabilité de leurs choix depuis vingt-cinq ans.

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