2015-01-13

 

Michel Jeury (1934-2015)

Il est mort, le poète...  Il y a peu d'auteurs de science-fiction en français à qui ce terme s'appliquait aussi bien.  En raison de la lourde actualité de la semaine dernière, il a fallu quelques jours pour que la presse signale la disparition de Michel Jeury le vendredi 9 janvier, aussi bien dans Le Figaro que dans Libération.

S'il était surtout connu comme auteur de science-fiction, il avait également signé des romans du terroir — enracinés dans les territoires de son enfance — qui avaient récolté de jolis chiffres de ventes.  Pourtant, on ne saurait affirmer qu'il a marqué cette catégorie d'une empreinte aussi profonde et durable que celles qu'il laisse de part en part de la plage de la science-fiction française.  Son œuvre de science-fiction a été abondante, tant sur le plan des romans que des nouvelles.  Ses titres les plus anciens, dont Aux étoiles du destin, reflètent encore les tendances de la science-fiction d'avant 1960, voire d'avant 1950.  Son roman le plus récent, May le Monde, est paru en 2010 et représente un formidable travail d'écriture.  Entre les deux, il avait marié Philip K. Dick et le Nouveau Roman dans Le Temps incertain (1973) et porté à son apogée à la fois la manière propre à ce roman et certains sujets de prédilection dans Poney-Dragon (1978). Le décès de Jeury nous prive donc de soixante ans d'histoire qui lui avaient permis de quadriller certaines thématiques (le temps), d'en célébrer d'autres (le respect de la nature et de l'écologie) et d'en effleurer quelques-unes (l'utopie).

Même s'il est impossible de définir ou de restreindre la science-fiction française à quelques traits, la prédominance de certaines caractéristiques littéraires et politiques font de Jeury une des grandes références de cette même science-fiction française.  L'arrimage à l'expérimentation littéraire, le positionnement de gauche et la malléabilité temporelle ne sont pas des inventions de Jeury (on songera respectivement à Drode, Andrevon, Frémion, Barjavel...), mais l'œuvre jeuryenne est devenue en quelque sorte une figure de proue du vaisseau battant pavillon tricolore.  En partie en raison du talent avec lequel l'auteur faisait la démonstration du potentiel de ces approches.  En partie en raison de la résonance de cette œuvre pour certains éditeurs (Klein) et aussi pour les auteurs d'une décennie, celle des années soixante-dix. 

Jeury a pleinement profité de ce court moment où il incarnait mieux que quiconque la Zeitgeist de la science-fiction française et il l'a renforcée au moyen d'ouvrages marquants.  C'est ce qu'on peut souhaiter de mieux à un auteur.  S'il n'a pas rencontré le même succès ensuite, au point de se tourner vers le roman du terroir, c'est sans doute justement que l'époque n'était plus la même.  Les auteurs de science-fiction française cherchaient leurs lecteurs et, dès le tournant des années quatre-vingt-dix, ils étaient prêts à défricher de nouvelles voies... ou à retourner sur leurs pas.  Peut-être a-t-il fallu l'échec de certaines espérances démesurées pour ouvrir la porte à des vétérans désireux de rentrer au bercail et pour concevoir que la science-fiction n'avait pas à être un mouvement d'un seul tenant ou d'un seul projet : elle pouvait se contenter d'être une littérature aussi variée que les voix de ses créateurs.

Continuera-t-on à lire les romans de Jeury ?  Les mérites que Gérard Klein trouvait au Temps incertain parce qu'il était en prise sur la montée des pouvoirs corporatifs relèvent désormais du cliché, mais la narration qui, chez un Robbe-Grillet, tenait de l'expérimentation littéraire prenait un autre sens dans le cadre de la science-fiction.  Sans avoir été le  premier à le faire, Jeury a confirmé que le texte même pouvait trouver sa justification dans les éléments de l'intrigue les plus étroitement liés au novum science-fictif.  Même si on peut différer sur le résultat de la mise en œuvre des procédés choisis, on lira sans doute encore longtemps certains romans de Jeury non en tant que romans mais en tant que créations littéraires.

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Comments:
Nous te remercions cher Jean-Louis pour ce bel article sur l'ami Michel.
 
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