2012-08-10

 

Roland C. Wagner (1960-2012)

C'est non sans une certaine pudeur que je veux évoquer mes souvenirs de Roland C. Wagner, disparu dans un accident de voiture dimanche en France.  Il y a tant de gens qui l'ont mieux connu que moi.  Nous étions collègues et nous nous sommes fréquentés aussi souvent que le permettait l'océan Atlantique, ce qui était malheureusement bien peu.  Étions-nous amis?  La mort est très bête de nous obliger à poser ce genre de question : ce serait tellement plus simple de se revoir aux Utopiales ou à Peyresq l'an prochain, et de reprendre le fil de telle ou telle conversation sur la science-fiction et nos projets littéraires, voire d'échanger quelques confidences personnelles, sans jamais s'interroger sur la nature de cette relation.  Bref, amis, je ne sais pas, mais cela me faisait toujours plaisir de le revoir et j'ai de la peine cette semaine.  De la peine pour lui, qui n'est plus là pour nous casser les pieds ou nous faire rigoler, bref, pour vivre à fond comme il le faisait, sans s'encombrer des petits agacements qui gâchent la vie de tant de personnes (oh! il s'enflammait facilement sur certains pionts, mais rarement avec hargne et c'était pour lui un des plaisirs de l'existence, je crois), et de la peine pour nous tous qui sommes privés de lui. De la peine aussi pour ses proches, dont je n'ose concevoir le chagrin.

Je le connaissais depuis 1990 environ.  Était-il passé à Chicoutimi en 1988?  L'avais-je croisé à la Worldcon de La Haye en 1990?  La photo ci-dessus d'un Roland nettement plus juvénile que dans ses photos récentes date de mai 1994, avant ou après un Déjeuner du lundi.  Nous avions pris un café après-coup et fait plus ample connaissance.  Au fil des ans et de mes voyages en France, nous nous sommes revus de temps en temps.  Il était venu une fois au Canada durant cette période, en 1999.  J'espérais pouvoir l'inviter cette année au congrès Boréal, avec l'aide de l'ambassade de France au Canada, mais celle-ci a refusé notre requête. Ce n'était que partie remise, à mes yeux, mais le sort en a décidé autrement.

Ce qui nous rapprochait, c'était avant tout la science-fiction.  Pas le rock.  Pas le végétarianisme, même s'il m'a fait découvrir un des restos végétariens de Paris tandis que je lui avais parlé de ceux que je connaissais au Canada, dont le Commensal qui se trouvait alors au coin de Côte-des-Neiges et Queen Mary.  Pas nécessairement l'écriture, dont nous parlions assez peu, en fin de compte.  Pas le fandom, même si nous avions longtemps baigné (et même nagé) dans nos milieux faniques respectifs.

Il existe une fraternité pas si nombreuse qui regroupe ceux pour qui la science-fiction passe en premier dans la vie.  Pour un écrivain doublé d'un fan, la science-fiction devient, tout à la fois, un art, un gagne-pain, une culture personnelle, une façon de voir le monde et même le ciment d'une seconde famille.  Les soucis de la vie quotidienne et les impératifs de la vie personnelle prennent parfois le dessus, mais la science-fiction n'en reste pas moins un pôle dont les lignes de force orientent encore les habitudes de pensée, les prédilections et les élans créatifs.  Pour beaucoup d'autres, la science-fiction passe en second.  Elle représente un passe-temps, un délassement, une catégorie de films...  Roland et moi appartenions, il me semble, au premier groupe.

Si d'un combat partagé naît la camaraderie, l'estime a joué un rôle aussi.  Peut-être que je ne l'ai pas toujours assez dit, mais j'admirais l'œuvre de Roland, l'humanité de ses personnages, la diversité de ses univers imaginaires, la souplesse de sa verve, le professionnalisme de son écriture et la richesse de ses références — y compris scientifiques.  Je lui ai rendu le meilleur honneur qu'on peut rendre à un écrivain : je l'ai lu.  Je n'ai pas tout lu, certes — même un lecteur rapide peut manquer de temps quand l'œuvre est aussi abondante.  Le publication de Rêves de Gloire représentait un tel tournant dans son œuvre qu'on ne peut qu'être heureux qu'il ait réussi à compléter un livre auquel il tenait tant et que ses mérites aient été reconnus — et malheureux qu'il ait été empêché de continuer.

Pour ma part, j'ai toujours apprécié la gentillesse dont Roland avait fait preuve pour mes écrits publiés en France, depuis sa recommandation dans Casus Belli de mon premier roman, Pour des soleils froids, jusqu'à ses mots élogieux pour des nouvelles ultérieures.  Il était capable, je crois, de remarquer et d'estimer à leur juste valeur les points forts qui ont fait suer un auteur et qui excusent aux yeux de celui-ci les faiblesses et les éléments inaboutis d'un ouvrage.

Il était un esprit singulièrement rationnel, ouvert à toutes les idées et expériences de pensée, mais aussi un sceptique au scepticisme tempéré par un sens de la relativité des choses.  Je crois me souvenir d'une soirée à Montréal en 1999, sans doute chez Pierre K. Rey, avec Dantec et peut-être Nolane, où la ligne de partage entre deux traditions de la science-fiction française — l'une remontant à Verne, l'autre influencée par Pauwels et Bergier — n'avait jamais été plus claire.

Le fandom est parfois comparé à une grande famille et c'est la meilleure manière de comprendre le deuil qui bouleverse une partie du milieu français.  Roland a signé une œuvre riche et diverse, mais il était aussi un compagnon dynamique et attachant, qui faisait depuis longtemps partie sinon des animateurs du fandom du moins des meubles.  Les hommages à l'auteur se multiplient, mais on trouvera aussi sur la Toile de nombreux hommages à un ami et à un être profondément humain, dans le meilleur sens du mot.  Ce qui peut consoler, au moins un peu, c'est qu'il vivait ses passions avec une intensité qui était en soi une leçon de vie, car il nous montrait en fin de compte comment profiter d'une existence mortelle toujours trop courte.

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