2012-05-21

 

L'insoutenable aporie d'une certaine science-fiction en français

Lu entre un village des Alpes maritimes et une ferme du Midi : le roman Mimosa (L'Atalante, 2012) de l'auteur suisse Vincent Gessler.

Les deux cent premières pages se laissent lire avec plaisir. L'auteur enchaîne les scènes d'action sans répit, dans une ambiance cyberpunk de bon aloi transportée dans une Amérique du Sud futuriste plus ou moins crédible. Tessa est une privée qui tombe sur la piste d'une légende du milieu interlope de la ville de Santa Anna. Ceci ne va pas sans casse, au risque de remettre en cause ses bonnes relations avec la police. Au gré des péripéties, cependant, une autre vérité s'esquisse. Tessa n'est pas celle qu'elle croyait être et le redoutable personnage de Pardón, le tueur sans pitié qu'elle croit traquer, ne serait qu'un leurre. La personne qui tire les ficelles, dans ce monde de faux-semblants où les identités s'échafaudent dans des réalités virtuelles sous la gouverne d'une IA (comme dans Count Zero de Gibson) et les personnalités d'emprunt se superposent aux versions d'origine, ne serait autre que Tessa elle-même avant une perte de mémoire, ou encore son modèle d'origine, ou encore une double du modèle d'origine...  Gessler parvient à faire passer avec efficacité et même brio les découvertes successives de Tessa, en alternant scènes d'action et révélations pimentées de touches d'un humour assez noir.  Le divertissement est assuré, même s'il n'est pas toujours de la plus grande originalité.

Puis, la narration décroche et bascule dans une dimension fantasque qui convertit des groupes musicaux en brigades de choc pour la reconquête de la ville de Santa Anna, un maire en cyborg reconstruit avec des pièces de mobilier et des missiles guidés par des IA en philosophes existentialistes, avant de s'accorder une mise en abyme — sans oublier les armes soniques tirées de la version cinématographique de Dune pondue par David Lynch.  Du coup, l'univers échafaudé avec un certain souci de cohérence jusqu'alors vacille.  Les touches un peu fantaisistes — comme la manie des habitants d'adopter les noms d'acteurs ou d'autres célébrités — s'intégraient sans trop de heurts au cadre initial, mais l'accumulation intervient au moment même où un roman bien construit devrait commencer à converger.  Gessler tente de réussir les deux en même temps : surenchère imaginative et préparation du dénouement.  Le résultat ne plaira pas à tout le monde.

La conclusion est pourtant d'une grande logique. Vadelica et Tessa s'affrontent sur le terrain de leurs souvenirs communs afin de façonner une nouvelle identité qui sera dominée par l'une ou l'autre personnalité. La conclusion est parfaitement satisfaisante, dans le contexte de l'univers de départ, mais ceci n'empêche pas Gessler de gratifier ses lecteurs de plusieurs appendices métafictionnels plus ou moins convaincants.

Le décrochage est clairement voulu.  Et il me semble assez caractéristique d'une certaine science-fiction francophone trop consciente de décalquer une création d'origine étrangère.  La mise en abyme sert-elle alors d'alibi à une mauvaise conscience?  Un de ces jours, il faudra vider la question.

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