2012-01-12

 

Un roman généalogique

Le roman Un souffle venu de loin (Prise de parole, 2010) d'Estelle Beauchamp est un livre dont les intentions ne se précisent que fort lentement. En fin de compte, il s'agit de résoudre ce qu'on pourrait appeler le mystère Mirka. Qui est Mirka? Une jeune fille belge hébergée par une famille canadienne-française durant la Seconde Guerre mondiale. La narratrice des premiers chapitres est la jeune Marion, la fille unique du ménage Dumouchel, qui découvre que la vie avec cette jeune réfugiée n'est pas toujours facile.

Il faut plusieurs générations pour que l'explication des silences et des sautes d'humeur de la jeune Mirka soit livrée. Il y a donc le temps des secrets, puis le temps des révélations. Mirka est l'héritière d'une famille compliquée, dont les tensions seront aggravées jusqu'à la déchirure par la guerre et l'occupation allemande. Le problème, c'est que la généalogie finit par prendre le pas sur le roman. L'autrice évite des questions de fond : les origines familiales de Mirka suffisent-elles à constituer toute la personnalité de Mirka ? Il faut le supposer, sinon tout le roman ne serait qu'une sorte de jeu de piste dont le dénouement adventice se bornerait à éclairer successivement tous les points d'ombre des premières années de vie au Canada de Mirka.

Le cadre des premières pages reste flou. On n'apprend qu'en page 46 que l'action se déroule à Montréal, et non à Ottawa ou Québec. Les détails de la vie quotidienne durant la guerre sont vagues, de sorte que l'époque (du rationnement, de l'économie de guerre, etc.) n'acquiert pas beaucoup de consistance. Les années cinquante passent encore plus vite, même si Mirka fait scandale, d'abord en se faisant tatouer, puis en quittant son foyer adoptif pour une grande virée aux États-Unis en compagnie d'un Franco-Américain à moto, Craig Poulin, qui est en quelque sorte un avatar de Jack Kerouac. Les états d'âme des personnages, qui ont sept et huit ans au début de l'histoire, sont décrits par des adultes avec des décennies de recul. Ce que le procédé gagne en pénétration des sentiments enfantins, il perd en intensité narrative.

Beauchamp amorce une chronique familiale qui change de direction quand elle abandonne petit à petit le point de vue de Marion. Comme elle n'adopte pas tout de suite le point de vue de Mirka, le lecteur a du mal à saisir le centre d'intérêt du roman. Les scènes se succèdent, sans arriver à bien ancrer la narration (au point où, en page 137, on ne sait plus si c'est Mirka ou Clara qui assume le point de vue narratif). À mi-chemin de la fin, c'est Clara, la fille de Mirka, qui semble s'imposer et le roman redevient prenant quand Clara décide de renouer avec son passé familial et d'assumer une responsabilité qui n'est pas sans rappeler celle de la famille d'accueil des Dumouchel durant la Seconde Guerre mondiale.

La vérité émerge peu à peu, à la faveur des confidences et confessions de dernière minute, puis de la découverte longtemps retardée d'un manuscrit qui retrace les aïeux gitans de Mirka. Les origines familiales de Mirka sont dramatiques et la relie au génocide gitan voulu par les Nazis. Ces révélations progressives, des années plus tard, sont vraisemblables, mais le souci du réalisme semble l'avoir emporté sur la séduction du lecteur. En définitive, le roman émeut, mais il emprunte le gros de sa force aux événements tragiques du vingtième siècle en Europe, laissant quelque peu dans l'ombre les personnages que le roman nous avait présentés d'emblée, en commençant par Mirka elle-même.

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