2012-01-14

 

Un retour aux sources franco-ontariennes

Le roman L'ineffable Père Rosario : Vocation ou conspiration ? (Baico, 2010) de Jacques S. Gibeault livre un récit poignant saboté par les faiblesses de son écriture. Il prend pour sujet la vie d'un prêtre franco-ontarien qui traînera toute sa vie sa condition de bâtard, qui ne lui sera pas pardonnée par ses propres concitoyens de Valley-Creek, ceux-là mêmes qui l'ont vu grandir.

Rosario est un enfant du malheur. Alors qu'il aspire au bonheur, à l'acceptation sociale et à la miséricorde divine, il ne se débarrasse jamais d'une certaine candeur qui, jointe à une forme de spontanéité proche de l'impulsivité, le précipite dans des vicissitudes de plus en plus cruelles. Pour se protéger, ou pour se rassurer, il se met à boire à l'excès. Ceci achèvera de ruiner une vie mal engagée. Malgré quelques instants de bonheur, il sera rattrapé par les conséquences de deux rencontres amoureuses.

C'est un écorché vif qui passe en fin de compte à côté du bonheur. Conspiration ou vocation ? La question est bien posée, car le clergé pousse à la roue dès que Rosario démontre des aptitudes pour l'étude. Était-il fait pour être prêtre ? Peut-être que non. Du coup, on se demande combien de jeunes hommes ont vu leur vie brimée par une institution imposant des règles contraires à la nature humaine.

Les mœurs de la société rurale canadienne-française ont été décrites dans plus d'un roman, mais l'évolution de ce qu'il est possible de dire permet de dévoiler encore aujourd'hui des pans inédits du quotidien d'autrefois. L'auteur est du nombre des ultimes survivants et témoins de cette existence tranquille, déjà désuète souvent et cruelle parfois, telle qu'elle se déroulait dans la première moitié du siècle dernier. Gibeault a mis beaucoup de vérité humaine dans son portrait d'un jeune homme qui a été poussé dans la voie de la prêtrise pour des raisons qu'il ne saisira qu'au moment où il a déjà perdu sa jeunesse. Son roman condamne, sans insister, toute une société capable de sacrifier les plus faibles — et d'en tirer vertu.

L'écriture n'est toutefois pas à la hauteur de l'histoire. Elle s'ingénie parfois à éviter le mot juste et recourt à des clichés qui affaiblissent les descriptions. De plus, l'intrigue est cousue de fil blanc. L'auteur intervient de manière transparente pour ménager le drame central de la vie de Rosario. Comment fait celui-ci pour prendre le train, alors qu'il est sans le sou, et se présenter dans son village natal le jour même où son amie d'enfance cédait aux avances de son ennemi juré au village pour emporter Marie-Ève loin du bal et lui faire l'amour ? Et par quel miracle cette unique nuit d'amour (tout comme la brève liaison du curé du village et de la mère de Rosario) suffit à donner naissance à un enfant qui sera rejeté par le mari éventuel de Marie-Ève ? D'ailleurs, par quel hasard Marie-Ève a-t-elle choisi de s'amouracher de celui qui avait fait de Rosario son souffre-douleur autrefois ? Bref, il subsiste trop de points d'interrogation pour que le lecteur embarque au point de se laisser émouvoir par une histoire qui aurait mérité un meilleur traitement.

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