2012-01-06

 

En commençant par la fin du monde

Le roman The Road de Cormac McCarthy a beaucoup fait parler de lui et il a même inspiré un film sorti en 2009. De nombreux lecteurs et amateurs ont trouvé particulièrement poignante l'histoire d'un homme et de son fils, qui voyagent seuls sur les routes d'un version post-apocalyptique des États-Unis, dix ans environ après le cataclysme qui a ravagé les villes, tué presque toute végétation et décimé la population. En raison du couvercle nuageux posé sur tout le continent, sinon sur toute la planète, la végétation est morte et les quelques survivants sont réduits au cannibalisme ou à la recherche incessante de restes de nourriture conservés dans les ruines des villes et des maisons.

La langue est dépouillée. Les phrases sont courtes et la ponctuation est réduite au minimum. Point. Virgule. Point d'interrogation. Pas d'apostrophes ou de guillemets. Les dialogues sont indiqués par des alinéas, tout au plus. Ce qui n'empêche pas une certaine poésie quand il s'agit de décrire les paysages et le temps qu'il fait. L'amour du père pour le fils qu'il protège est nu, évident, féroce, désespéré... Pourtant, sans aller jusqu'à souhaiter une dissection des sentiments du père, je n'ai pas trouvé si émouvante une affection si primaire qu'elle me semble presque aller de soi. La répression puritaine des émotions masculines est-elle si puissante qu'un minimum d'amour paternel suffit à bouleverser les lecteurs aux États-Unis ?

Ce qui impressionne, c'est surtout la détermination et l'ingéniosité du père — de l'homme, comme l'auteur l'appelle — quand il s'agit de tirer des ruines ce qu'il leur faut pour vivre. Ce qui impressionne aussi, jusqu'au bout ou presque, c'est le refus de consentir le moindre adoucissement narratif, soit en offrant au passage une marque d'espoir — une brèche dans les nuages, mettons — soit en accordant au lecteur un épisode plus romanesque — une échauffourée avec les cannibales qui hantent les campagnes, par exemple. (C'est ce qui distingue The Road d'un roman comme Malevil de Robert Merle, où la description d'un affrontement néo-féodal prend le pas sur l'histoire de la survie matérielle après un cataclysme presque aussi total.) Le récit demeure platement réaliste et centré sans répit sur le voyage, d'abord vers la mer, puis vers la mort. Car l'homme est miné par une maladie mortelle et sa tâche de père s'avère au-dessus de ses forces. Il laissera donc son fils en chemin, sans avoir le courage ou la folie de tuer son fils avant de mourir lui-même, pour ne pas le larguer dans un monde mourant.

Toutefois, le troisième jour après la mort de l'homme, celui-ci renaît sous les traits d'un autre homme, survivant échevelé qui se présente à l'enfant pour offrir de l'accueillir dans sa communauté de gens « bien » qui inclut des enfants. Une fable religieuse pointe le bout de l'oreille... car, autrement, on comprend mal comment cette communauté, qui ne court pas les routes, arrive à survivre sans pratiquer l'anthropophagie ou la récupération. Du coup, le nihilisme de McCarthy est moins absolu que celui de Houellebecq, dont le personnage principal, dans La Possibilité d'une île, échoue également au bord de la mer — et ne voit pas d'issue à la condition humaine.

S'agit-il de science-fiction ? De par son ingéniosité et sa compréhension du monde, le protagoniste de McCarthy tient de tout un courant de la science-fiction. Mais le roman lui-même ne cherche à comprendre ni le passé ni les possibilités de l'avenir. McCarthy emprunte donc un décor bien connu de la science-fiction, tout en dédaignant, un peu comme dans Earth Abides de George R. Stewart, les possibilités plus trépidantes ou les formes d'optimisme plus volontaristes. En un sens, il s'agit d'un ouvrage très conservateur, qui célèbre en creux l'abondance du monde actuel, tant naturelle qu'artificielle. En un sens, il s'agit d'une mise en garde, mais dont on ne voudra pas nécessairement approfondir le sens.

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Comments:
J'ai même aimé le film ! ;-)
 
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