2012-01-20

 

De Groulx à Simard

François-Xavier Simard a fait le choix d'une langue simple et claire pour signer Papa, parle-moi anglais comme maman! (Vents d'Ouest, 2011), un roman qui raconte l'histoire d'un homme, un Québécois de Charlevoix, Paul Lavoie, devenu fonctionnaire à Ottawa. L'analyse psychologique donne au portrait de celui-ci une profondeur et des nuances souvent absentes du reste du roman. Les autres personnages sont nettement plus superficiels.

Paul a épousé une pianiste virtuose, Carla, la fille d'un couple autrichien établi à Vancouver, Karl et Maria Stirner, pour qui Carla est la prunelle de leurs yeux. Paul et Carla ont un fils, Franz, mais Paul s'est avisé un peu tard de la puissance des préjugés francophobes et antisémites de sa belle-famille — et de Carla elle-même. Accaparé par son emploi dans la fonction publique, Paul se montre conciliant, voire coulant, même quand sa femme et sa belle-mère se liguent pour trouver le moyen d'élever Franz dans l'ignorance et même la détestation du français.

Un certain nombre de rebondissements et de coïncidences plus ou moins nécessaires seront nécessaires pour que Paul trouve l'énergie de s'affirmer comme père face à son fils et de faire comprendre à Franz qu'il ne peut nier ou rejeter la nature composite de son identité à la fois canadienne et européenne, francophone et anglophone.

Ainsi, on découvre que Karl Stirner est un ancien SS qui a tué durant la Seconde Guerre mondiale le père de David Zimmerman, qui n'est autre qu'un collègue de Paul à Ottawa! Le hasard fait bien les choses, quand un auteur est déterminé à l'aider... Carla est victime d'un accident cérébro-vasculaire durant une querelle avec Paul et elle ne s'en remettra jamais tout à fait, sombrant dans la dépression et renonçant à sa carrière de pianiste. Quand Zimmerman retrace Stirner, le vieux couple s'enfuit en Autriche avec Franz. Tandis que Paul se consacre à une carrière littéraire en marge de son travail de fonctionnaire, son fils grandit dans le giron d'une autre culture. Il faudra que Paul retrouve confiance en lui grâce à ses premiers succès littéraires pour qu'il ait enfin la force d'aller à la rencontre de Franz et de lui offrir autre chose que des lamentations ou des objurgations.

La transformation de Paul est juste assez progressive pour être convaincante. Tout le reste l'est nettement moins, car la combinaison d'aveuglement et de pleutrerie chez Paul tranche si nettement sur le complexe de supériorité de Carla que le mariage même semble improbable.

En quelque sorte, Simard a réécrit L'Appel de la race de Lionel Groulx, mais c'est un Franco-Ontarien qui met en scène un Québécois tiraillé entre la Petite-Rivière-Saint-François du Charlevoix, la carrière à Ottawa et la fidélité à la culture française. Toutefois, Simard ne conclut pas à l'inviolabilité des races, mais bien à la valeur des métissages. Le résultat est curieux, un roman à thèse qui appartient à un genre un peu suranné, mais qui finit par émouvoir parce que Paul (Lavoie) a bel et bien trouvé sa « voie », et non parce que ses démêlés familiaux étaient particulièrement susceptibles de nous toucher : quand tous les acteurs d'un drame sont plus ou moins antipathiques, c'est rare que le spectateur soit réellement ému. Le lecteur doit donc s'armer de patience pour cheminer en compagnie de Paul, mais la conclusion du roman est un aboutissement qui valait la peine d'entamer le voyage.

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