2011-12-09

 

Faire œuvre de paix

Si je cite ainsi ma première nouvelle de science-fiction, « Œuvre de paix » (1984), ce n'est pas par hasard. Le romans Uns (Leméac, 2008), de Philippe Borne et Marie-Andrée Lamontagne, fait de l'unité politique de la planète la preuve d'une maturité nouvelle de l'humanité et le début de temps nouveaux.

Le titre du roman de Marie-Andrée Lamontagne et Philippe Borne est en fin de compte sa plus grande faiblesse, car en tant que titre, « Uns » coifferait sans grande difficulté un palmarès des titres les moins accrocheurs. Non qu'il s'agisse sinon d'un ouvrage toujours sans défaut, mais Uns se détache agréablement d'un lot particulièrement abondant d'histoires semblables. C'est même un roman qui est venu me chercher comme aucun roman québécois depuis Bizango de Péan ou Les Rois conteurs de Parrot ne l'avait fait.

En effet, un des thèmes les plus fréquents de la science-fiction québécoise présente les extraterrestres comme des grands frères intervenant auprès des Terriens afin de les aider à progresser en transcendant leurs divisions politiques et en accédant à un niveau de civilisation supérieur. Ceci correspond à un thème relativement ancien dans la science-fiction, illustré entre autres par E. E. Smith, Edmund Hamilton et Poul Anderson. Dans chacune de ces oeuvres, des gardiens — Lensmen, patrouille de l'espace, patrouille du temps — sont chargés de protéger une société primitive des déprédations d'ennemis divers, de préserver le potentiel des sociétés du passé et de recruter des êtres d'exception capables d'assumer le même fardeau. Dans certains cas, une civilisation interstellaire attend le moment propice pour contacter une civilisation planétaire qui a fait ses preuves, comme dans Star Trek, ce qui implique aussi la possibilité de juger du niveau d'une espèce intelligente, comme dans Have Spacesuit—Will Travel de R. A. Heinlein. Au Québec, le thème est exploité par Louis Sutal, dans une série qui débute avec le roman pour jeunes La mystérieuse boule de feu, et par Daniel Sernine, dans les ouvrages qu'il a consacré aux Éryméens. Un certain nombre de romans à teneur plus ésotérique ont également campé des extraterrestres bienveillants, comme dans L'Odyssée sur Terre de Carol Boily, tandis qu'un roman comme Terre sans mal de Martin Lessard fait intervenir des extraterrestres plus ambigus, mais dont la visite met aussi à l'épreuve les mœurs humaines.

La situation initiale est en effet assez semblable dans Uns. Un observateur extraterrestre, Nohog de Ventorx, a été chargé par la communauté galactique des espèces intelligentes de surveiller le développement de la vie sur Terre et, plus tard, des humains susceptibles d'aspirer à faire partie de cette même communauté. Or, cet observateur assiste aux débuts de la Révolution industrielle et se rend compte que toutes les simulations de l'évolution future de l'humanité prédisent sa disparition dans moins de trois siècles en raison d'un réchauffement catastrophique de la planète. Ayant obtenu la permission d'intervenir pour aider l'humanité à se perfectionner au point de pouvoir réclamer l'aide des Galactiques, l'observateur vient en aide à un jeune Nez-Percé qui vient de venger sa bien-aimée. Celui-ci est au bord de la mort, mais Nohog lui sauve la vie et lui permet petit à petit d'acquérir une intelligence et des connaissances supérieures. Nohog a été contraint de limiter son intervention à une seule personne, de sorte que le jeune Mountain, comme il se fait appeler, aura pour tâche de sauver la Terre à lui seul.

Si le défi peut sembler surhumain, c'est pourtant lui qui donne au roman l'essentiel de son intérêt. La science de Nohog lui a permis d'arrêter le vieillissement de Mountain, de sorte qu'on le voit s'efforcer de faire fortune au tournant du vingtième siècle afin de pouvoir financer les militants de la paix et des progrès sociaux. Les guerres mondiales et des atrocités de plus en plus effroyables minent les espoirs initiaux, puis stimulent de nouveaux efforts. Les pages historiques font preuve d'une culture certaine et le style coule de source. Les auteurs signent un panorama impressionnant d'une histoire parallèle, souvent un peu oubliée, celle des artisans de paix, des philanthropes, des organismes caritatifs et des militants qui ont fait avancer les choses. Ceci confère au récit un souffle réel, à peine miné par des péripéties plus science-fictives qui s'avèrent parfois oiseuses. Lorsque Nohog et Mountain obtiennent la permission de recruter d'autres humains, les intrigues s'enrichissent de personnages nouveaux et de rebondissements parfois brillants.

Les deux auteurs se montrent relativement bien informés en ce qui concerne les sciences et les techniques. Leur récit reste fidèle à une certaine science-fiction proche du space-opéra sans jamais déraper. On a donc droit à une multitude d'espèces intelligentes et à une galaxie occupée par des êtres pensants grâce aux voyages instantanés permis par une version du télétransporteur de Star Trek. Mais le tout reste cohérent et il y a peu de scories. Je dois d'ailleurs leur reconnaître quelques idées brillantes, dont une explication de la masse manquante de la Galaxie (qui ne s'étendrait pas à tout l'Univers, malheureusement, à moins que...). Là où le bât blesse, c'est à un niveau plus subtil.

Ainsi, l'échéance fixée à l'humanité repose sur des simulations et des extrapolations réalisées par l'Observateur extraterrestre. Or, toute l'activité déployée par Mountain, le premier Contacté, ne fait pas varier d'un iota cette date fatidique. Du coup, tout le reste du récit, pourtant fascinant, des efforts humanitaires, écologistes et progressistes au XXe siècle semble un peu vain. Même l'invention d'un procédé pour fabriquer de la viande de synthèse n'a aucun effet sur les tendances. (Une allusion ultérieure laisse entendre que le procédé ne s'est pas généralisé dans les parties les plus pauvres du monde.) Ainsi, la grâce accordée à l'humanité relève plus du prix de vertu que de la récompense d'efforts réels, au terme d'une scène qui rappelle, de fait, le point culminant du roman Have Spacesuit—Will Travel.

Bref, malgré quelques naïvetés, il s'agit d'un véritable roman de science-fiction québécoise qui, sans être un chef-d'œuvre, vaut certainement le détour.

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