2011-09-24

 

Un congrès avec salsa...

Salsa... ou SLSA, la Society for Literature, Science, and the Arts. Cette fois, je me réveillais au centre-ville de Kitchener dans un excellent café-couette, bien différent de mon hôtel exigu à New York en 2006.

En début de matinée, j'ai opté pour la session sur les représentations de la technologie dans la littérature. La technologie ou les techniques sont des sujets relativement rares dans le programme du colloque. C'est plus cool de se réclamer de la science ou de la technoscience. Même les littéraires (ou surtout eux) ne sont pas à l'épreuve de l'attrait de l'autorité revendiquée par la science. Kevin LaGrandeur commence par récapituler l'histoire des automates, en relatant les légendes chinoises et indiennes où apparaissent des automates. Il rappelle les nombreuses légendes grecques antérieures qui évoquaient des automates ou la création des humains par des démiurges comme Prométhée, sans oublier le mythe de Pygmalion qui combine en quelque sorte les deux. Si LaGrandeur interprète ces histoires dans le sens d'un avertissement soulignant le danger des techniques, l'association des récits mythifiant la création d'automates tant par des dieux (Héphaïstos) que par des héros (Dédale) et des récits réservant la création d'êtres vivants aux dieux laisse aussi percer un certain dualisme, entre les apparences de corps et les corps pleinement vivants parce qu'une divinité leur a insufflé une âme qui les anime — leur donne à la fois le mouvement et la capacité de le diriger. En même temps, LaGrandeur fait de la capacité des mécaniciens de l'Antiquité à produire des effets surprenants un moyen utilisé par les temples pour entretenir les croyances des fidèles. Si ceci semble probable dans le cas des époques plus reculées, où les religions détenaient un monopole d'État, comme en Égypte, on peut se demander si c'était encore le cas à l'époque hellénistique où des religions multiples se côtoient et s'affrontent dans les grands ports comme Alexandrie, dans la mesure où la croyance devient moins importante que la dimension spectaculaire des prodiges déployés par les prêtres. Plus tard, les faiseurs de miracles, comme Apollonios de Tyane et Jésus, auraient peut-être pris le relais en tant qu'agents libres...

La communication de Narin Hassan, « Industrial Revolution, Empire, and the Novel », a été lue en son absence. Elle ne s'attardait pas sur l'impérialisme et le roman anglais, un sujet traité ailleurs. Elle s'intéressait surtout aux rapports des romans anglais du XIXe s. et de la Révolution industrielle, de Hard Times de Dickens, où l'école fait appel à des instruments pour l'enseignement, aux romans à sensation des années 1860 qui étaient aussi appelés des "railway novels" parce qu'ils profitaient d'un nouveau lectorat. Les trains et les télégraphes figuraient souvent dans les intrigues de ces nouveaux romans qui s'adressaient aux "nerfs" et non au cœur. Hassan incluait Dracula dans cette catégorie en raison de sa narration composée d'une combinaison de lettres, d'extraits médicaux et d'autres documents.

Enfin, Carol Colatrella a conclu en livrant sa communication intitulée « Technology, Citizenship, and Social Improvement in Works by Douglass, Melville, Gilman, and Edson ». Ces auteurs américains du XIXe s. ont mis en scène la technique (la technologie de l'esclavage chez Douglass, qui n'oublie pas les outils de la plantation et du chantier naval, ainsi que la lecture). Ils ont mis en scène la technologie domestique qu'un personnage féminin de Gilman améliore en permettant aux servantes de récupérer leur liberté d'action. Ils ont aussi mis en scène la technologie la plus intime : dans un récit d'Edson, le personnage principal est une prof agonisante, tourmentée par la chimiothérapie et les mesures extrêmes infligées à son corps pour la sauver sans égard à sa dignité. En fin de compte, la technologie réduit l'effort humain, mais elle risque aussi d'entraver l'humanité. De la discussion qui suit ressort la recommandation d'un ouvrage pour jeunes de Bryan Selznick, The Invention of Hugo Cabret.

En fin de matinée, je me suis posé pour une session sur la fiction contemporaine. Alicia Rivero a évoqué la féminisation de la nature chez des autrices d'origine latino-américaine, Belli et Castillo. Jenni Halpin a offert une analyse d'une pièce bien connue, « (Un)Friendly (Mis)Understandings in Michael Frayn's 'Copenhagen' », qui porte sur la rencontre entre Bohr et Heisenberg durant la Seconde Guerre mondiale. Elle a offert une analyse très serrée, mais qui ne m'a pas convaincu qu'elle (ou l'analyse ou la pièce) procurait une révélation d'importance. En dernier lieu, Laura Wiebe s'est penchée sur une nouvelle série de livres par Justina Robson, Quantum Gravity. Même s'il semble clair qu'une partie des personnages doivent gérer une condition posthumaine assez lourde à porter, l'invocation du multivers semble surtout tenir du prétexte pour faire coexister des cyborgs et des elfes dans la veine de certains jeux post-cyberpunk d'il y a longtemps (Shadowrun).

La session sur l'extinction a été des plus stimulantes. Gerry Canavan a ouvert le bal en discutant du roman Oryx and Crake de Margaret Atwood, en faisant allusion à son pessimisme radical et quelque peu déprimant — comme quoi il n'a sans doute pas beaucoup lu Houellebecq... Dans cette communication intitulée « Hope, But Not For Us: Ecological Science Fiction and the End of the World », il a abordé l'éco-apocalypse, qui campe la fin de l'écologie et la fin du capitalisme, la dégradation de l'environnement devant mener au déclin et à l'effondrement du capitalisme. (En fait, depuis la crise environnementale des années soixante-dix, le capitalisme n'a cessé de se faire plus âpre et plus dominant — peut-être parce que des ressources plus rares stimulent une compétition toujours plus serrée.)

De la communication intitulée « Plastic, Fantastic: Creaturely (Cellular) Immortality in Popular Science » par Beatrice Marovich, je n'ai retenu que la référence à Long for this World: The Strange Science of Immortality de Jonathan Weiner.

La communication de Joshua Schuster, « What is Extinction? », a porté sur un seul livre, un ouvrage philosophique de Ray Brassier, Nihil Unbound: Enlightenment and Extinction. Il a commencé par faire remarquer que l'extinction est un sujet paradoxal puisque c'est la
négation de tous les sujets, l'événement qui met fin à tous les événements. Toutefois, si Brassier fait reposer l'argument de son livre (l'insignifiance de l'humanité et l'absence de sens de l'existence humaine) sur la perspective de la fin de l'univers dans quelques trillions d'années, Schuster s'intéresse à toutes les formes d'extinction. Il fait allusion aux récits dit du dernier de son espèce, ce qui comprendrait aussi bien l'ouvrage de Hugh Edwin Strickland, The Dodo and its Kindred (1848) que Frankenstein de Mary Shelley (le monstre étant le premier et le dernier de son espèce), voire Le dernier des Mohicans (1826) de Fenimore Cooper, même si ce titre n'a pas été cité. Le sombre plaisir des ruines (Volney) et les fins de races sont des sujets dont se délectent les Romantiques, mais l'extinction vue par Brassier n'a rien de romantique. Celui-ci martèle que l'être ou que le fait d'être (the state of being) n'a aucune association particulière avec la vie, la pensée ou la conscience. Croire le contraire verserait dans le vitalisme, alors que la science n'a découvert aucune ligne de démarcation essentielle entre la matière et la matière vivante. La vie n'est qu'une forme d'être de la matière, si je puis paraphraser.

Schuster soulève quelques objections. La principale concerne l'argument voulant que l'extinction future de toutes les étoiles, voire de tous les hadrons (protons), ce qui reste à démontrer, soit dit en passant, entraîne rétrospectivement l'annihilation du sens pour toutes les formes d'existence antérieures. La démonstration reste à faire. De plus, même si les étoiles en viennent à s'éteindre et les protons à se désintégrer, la matière subatomique et l'énergie ne cesseront pas d'exister. Par conséquent, l'extinction annoncée ne correspond pas à l'avènement du néant. De plus, en prenant d'emblée comme cadre l'univers matériel, Brassier négligerait toutes les autres entités de moindre envergure, telles que les espèces vivantes, les écosystèmes, etc. Enfin, à plus petite échelle, il convient de noter que les extinctions peuvent accoucher de nouveaux débuts : l'extinction d'une espèce peut accompagner l'apparition ou la prolifération d'une autre.

L'après-midi, j'ai choisi d'assister à la fin de la session sur le post-humanisme et le transhumanisme. Karen Mizell livrait sa communication intitulée « Justice, Enhancement Technologies, and the Biosovereignty of Nonhuman Animals » en appelant, comme Rawls, à faire entrer les non-humains dans le cercle des privilégiés qui relèvent des règles morales ordinaires. Les droits des animaux ont souvent été ignorés parce qu'ils n'avaient pas de devoirs non plus, mais Mizell est d'accord pour fonder les relations morales entre individus non pas sur l'appartenance à une espèce ou une autre, mais sur les capacités. Ce qui soulève, il me semble, des questions extrêmement délicates quant aux droits accordés aux êtres humains (les bébés, les déficients intellectuels, les personnes malades) dont les capacités seraient inférieures à celles de certains primates ou cétacés.

La communication de Leslie Simon, « Transhumanism, Mathematics, and the Limits of Time », était plus ambitieuse. Inspirée par le film Never Let Me Go, elle portait sur les espoirs des transhumanistes comme Nick Bostrom, qui espère affranchir l'humanité de l'âge et de la souffrance, entre autres. En parlant des personnages du film, Simon fait le rapprochement avec
les orphelins omniprésents dans les romans victoriens. Parce que des posthumains seraient nécessairement orphelins? Il ne me semble pas qu'elle l'ait exprimé ainsi, mais ce serait défendable. Une citation à retenir, tirée de George Eliot : « Men can do nothing without the make-believe of a beginning. »

La journée s'est terminée dans une galerie d'art moderne sur le thème qui était aussi celui du congrès : Pharmakon. Et je suis passé voir de quoi les congressistes causaient au théâtre réservé pour accueillir tous les intervenants désireux de faire la fête...

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