2010-12-20

 

L'homme qui croyait aux hélicoptères noirs

Selon les rumeurs rapportées par Jeffrey Simpson dans le Globe and Mail du 17 juillet, la décision de mettre au rancart le formulaire long du recensement n'est pas une lubie de quelques ministres hérités de Mike Harris ou d'une faction de fondamentalistes libertaires au sein du parti Conservateur du Canada; en fait, elle remonterait à Stephen Harper lui-même.

Comme quoi le fruit ne tombe jamais loin de l'arbre, ainsi que le veut un dicton québécois d'origine anglo-américaine... Le prédécesseur de Stephen Harper, Stockwell Day, croyait que les chutes du Niagara alimentaient le lac Erié et que l'humanité avait côtoyé les dinosaures, sans doute avant le Déluge... Bref, ni la paléontologie ni la loi de la gravité n'existaient pour ce fervent chrétien.

Le cas de Stephen Harper est encore plus inquiétant. Il n'est pas impossible qu'il soit le dirigeant canadien le plus déconnecté de la réalité depuis Mackenzie King, qui se servait d'une boule de cristal et de médiums pour s'entretenir avec les esprits de ses chiens, de sa mère décédée et de grands défunts comme Léonard de Vince, à la différence près que Mackenzie King était parvenu à ne rien trahir ou presque de ses tics superstitieux et consultations de l'au-delà durant ses mandats comme premier ministre.

En revanche, Harper s'arrange pour nous rappeler de temps en temps que son intelligence indéniable comporte un point aveugle : il croit volontiers à une conspiration — des élites, des fonctionnaires, des savants, des artistes et des pauvres qui méprisent, manipulent et exploitent les gens ordinaires... Bref, de temps en temps, il se montre sous un autre jour. Sous le politicien perce l'obsédé fanatisé qui n'est qu'à deux doigts de croire que le gouvernement (le sien?) dispose d'hélicoptères noirs pour espionner la population et implanter des balises radio dans les molaires des citoyens afin de pouvoir traquer chaque Canadien à distance.

Son opposition au recensement semble participer de cette paranoïa ciblée, qui fait de l'État l'ennemi des citoyens (et il prêche par l'exemple, démontrant depuis longtemps qu'un gouvernement comme le sien qui méprise le pluralisme démocratique peut instrumentaliser de manière dangereuse la puissance de l'appareil étatique quand il s'agit de faire taire les voix discordantes). La version longue du recensement serait trop intrusive, ou donnerait trop de prise à l'État sur les individus — ou, peut-être qu'en fait, le recensement long aurait surtout le tort de mettre en lumière des minorités qui n'ont pas voix au chapitre dans la plupart des grandes instances canadiennes et dont l'électorat conservateur fait peu de cas : femmes, immigrants, autochtones, minorités ethniques ou linguistiques...

Quoi qu'il en soit, la volonté de Harper de gouverner au mépris des faits et de la réalité (ce qui rappelle le slogan des Républicains de Bush convaincus de créer leur propre réalité) a de quoi inquiéter. Soit elle est obscurantiste, soit elle est profondément égoïste. Le résultat risque d'être le même, cependant, dans un cas comme dans l'autre.

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