2010-05-29

 

Quand les savants socialisent

Il y a de quoi être jaloux : je suis finalement entré dans le pavillon John Molson de l'Université Concordia, un bel édifice qui fait partie des agrandissements récents du campus de cette institution au centre-ville. Pendant ce temps, le nouveau pavillon rêvé par l'UQÀM n'a pas changé depuis 2007, quand je l'avais pris en photo et qu'il donnait déjà tous les signes de se transformer en monument à l'impéritie de l'administration de l'UQÀM. À l'autre bout du centre-ville, l'Université Concordia accueillait donc le Congrès des sciences humaines dans des pavillons aussi modernes que séduisants.

En matinée, je participais à la séance de l'Association pour l'histoire de la science et de la technologie au Canada, sur le thème du savoir branché (Connected Understanding). Après avoir parlé des fabricants et distributeurs d'instruments scientifiques au Canada au XIXe siècle, j'ai pu écouter à tête reposé les présentations de Rénald Fortier (du Musée canadien de l'aviation et de l'espace) sur la Grande semaine d'aviation de Montréal, du 25 juin au 5 juillet 1910, dont on fêtera bientôt le centième anniversaire. Bharat Punjabi (UWO/Université de Toronto) a enchaîné avec une communication sur le rôle des ingéneiurs britanniques dans la planification de l'approvisionnement en eau de Mumbai, « Science and the Role of Engineering Visions in the Planning of Mumbai's Water Supply, 1854-1956 ». Sur une période d'un siècle, la priorité donnée à l'efficacité et, disons-le brutalement, la facilité de spoliation des populations indigènes des collines ont gouverné le développement de ces infrastructures hydrauliques.

Hugh McQueen, professeur émérite de l'Université Concordia, a présenté ensuite une communication très instructive sur l'histoire technique du pont Victoria à Montréal. Enfin, Jay Young du département d'histoire de l'Université York a rappelé le débat qui a fait rage à Toronto au moment de choisir le tracé de la nouvelle ligne de métro est-ouest.

En après-midi, j'ai changé de crémerie pour assister aux séances de la Société canadienne d'histoire et de philosophie des sciences. J'ai commencé par une séance bilingue. Nicolas Leclair-Dufour a présenté sur le statut de l'astronomie et de la mathématique physique chez Aristote, substituant une analyse subtile mais pas toujours claire à la communication prévue à l'origine sur l'évolution de la théorie mathématique des proportions chez Aristote. Amy Wuest a livré une communication d'un niveau moins exigeant (et grevé d'un nombre ahurissant de coquilles) sur le statut de la vis viva dans la physique d'Émilie du Châtelet, mais dont la conclusion était nettement plus convaincante. Enfin, Michael Cuffaro a conclu en soutenant, si je me souviens bien, que Kant aurait pu intégrer les géométries non-euclidiennes à sa philosophie du monde.

Enfin, j'ai opté pour ce qui était annoncé comme une table ronde sur les politiques de la science gouvernementale. En définitive, les trois participants ont tout simplement présenté des communications sur le même thème. Tout d'abord, Jonathan Turner, doctorant de l'IHPST, s'est penché sur l'évolution de ce qui était le Defence Research Board (DRB) en 1947, organisme consacré à la recherche à des fins militaires qui est devenu une agence subsidiaire en 1974, le Defence Research and Development Board (DRDB).

En 1947, le DRB jouissait d'un statut égal à celui de l'armée, de la marine et de l'aviation au sein du ministère canadien de la Défense. Son président, Omond Solandt, cumulait les chapeaux, servant aussi comme conseiller scientifique du ministre, chef du personnel, président du conseil d'administration et directeur-général des installations. En 1947, le DRB était l'une des deux sources les plus généreuses de financement de la recherche.

En 1974, toutefois, le nouveau DRDB est relégué plusieurs degrés plus bas dans la hiérarchie, relevant d'un chef de la recherche, Eddy Bobyn, qui appartient à un groupe du matériel militaire relevant lui-même du chef du personnel de la Défense. En 1974, le DRDB n'est plus que dans les cinq premières sources de financement, en partie parce que le gouvernement fédéral dépense plus pour la science et la recherche, désormais.

Les raisons de ce déclassement ne sont pas claires. Des personnalités influentes, comme Bob Uffen ou Bud Drury, un membre du DRB de 1948 à 1955 devenu un député, puis ministre, puis responsable du Trésor, n'auraient pas pipé mot. Omond Solandt aurait objecté, mais seulement après coup.

Pour expliquer ce changement de statut, Turner invoque le contexte international. En 1947, le monde est bipolaire et la Guerre Froide débute, sur fond d'affaire Gouzenko, de Plan Marshall, de la fondation de l'OTAN et de la guerre de Corée. En 1974, le monde est multipolaire, la guerre du Viêt-nam tire à sa fin, la décolonisation s'achève et le Canada explore une Troisième Option en politique étrangère. Les besoins canadiens en matière militaire ne sont plus les mêmes : après la crise de Suez, l'annulation de l'Arrow d'Avro, la commission Glassco et l'unification des forces armées, la politique scientifique du Canada a changé d'orientation. De 1940 à 1957, cette politique scientifique était largement déterminé par Omond Solandt du DRB, le ministre C. D. Howe et C. J. Mackenzie. En 1974, de nouvelles voix se faisaient entendre.

Ensuite, Jeff Kinder a discuté des avantages et désavantages de la localisation d'établissements de recherche financés par le gouvernement à proximité des universités.

Finalement, Philip Enros est resté plus pratique en discutant de son expérience comme fonctionnaire au sein d'Environnement Canada, qui fait partie des agences gouvernementales qui financent le plus la recherche scientifique. Il a souligné l'importance décisionnaire des sous-ministres qui ont les moyens de donner non seulement une impulsion nouvelle mais aussi une orientation inédite aux recherches scientifiques. Malgré l'importance indéniable des recherches dans les domaines de la météorologie et de la climatologie, la science demeure subordonnée aux priorités de l'appareil d'État.

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