2009-02-28

 

Un chat, mais pas de comète

Étoiles mortes dans un ciel pâle et froid,
débris de constellations maigres et nues :
Comme vous s'efface l'astre vert et ténu
Mais monsieur le chat est encore le roi

Là-haut, la comète traque une obscure proie,
suivant son orbite de nouvelle venue,
dardant l'éperon vert de son profil cornu,
Mais monsieur le chat est encore le roi

Ventre blanc et dos noir, le chat hante les nuits
blanchies par le gel et survit parce qu'il fuit
les passants qui ne savent survoler la neige

Mais l'herbe et la boue du printemps guettent ses pas,
quand l'hiver refluera des terres du collège
et que s'effacera le sourire du chat

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2009-02-27

 

Le respect des lois

L'éclatement de la bulle financière (et boursière) a quelque chose de rassurant. (D'aussi rassurant que la rétraction du Journal of the British Interplanetary Society qui confirmait que les lois de la nature s'appliquaient à l'effet de fronde.) Cela fait des années que je lisais des analyses par des auteurs convaincants sur la bulle immobilière qui alimentait les autres bulles, et il était clair que l'augmentation des valeurs reposait sur beaucoup d'air chaud, ou si on préfère, de ce qu'on appelait autrefois de la spéculation. Une économie croissant à raison de 2-5% par année ne pouvait pas fonder des compagnies croissant à raison de 15% par année.

Ainsi, en fouillant dans le stock choisi de revues que j'ai achetées en magasin (d'habitude, je suis assez rapide pour lire ce qui m'intéresse devant le rayonnage; il faut qu'un article soit particulièrement stimulant ou intéressant pour que je veuille le relire à tête reposée), j'ai retrouvé un numéro du New Yorker du 22-29 avril 2002. Je l'avais probablement acheté pour l'article de Malcolm Gladwell sur Nassim Nicolas Taleb. Cet article, « Blowing Up », doté de sous-titres différents dans la table des matières (« Wall Street's heretic counts on disaster ») et dans la revue (« How Nassim Taleb turned the inevitability of disaster into an investment strategy »), exposait la théorie empirique de Taleb sur la sous-estimation des risques inusités. C'était il y a sept ans, mais l'article expliquait déjà ce que Taleb explique aujourd'hui, avec plus de preuves à l'appui.

L'éclatement de la bulle confirme donc qu'il est impossible d'emprunter au futur des quantités illimitées de richesses. Tôt ou tard, il faut peser sur l'autre bout du levier, soit en augmentant la base économique soit en augmentant la productivité des transformations. Mais la simple spéculation ne suffit pas.

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2009-02-26

 

La peur du petit

En décembre dernier, Philippe-Aubert Côté signalait sur une liste ce billet fort intéressant sur les réactions à la nanotechnologie en fonction du degré d'information des personnes sondées. Autrement dit, si on informe le public de manière plus ou moins équilibrée sur les bienfaits et les risques de la nanotechnologie, on découvre qu'il n'est pas automatiquement gagné à la cause du développement de la nanotechnologie.

Pourtant, les développements concrets restent fascinants. Dans les grandes foires de la nanotechnologie, on s'intéresse autant à l'électronique et aux microsystèmes qu'aux matériaux et aux nanostructures, qu'à la médecine ou aux environnements propres (pour la manufacture). Et l'importance économique de la nanotechnologie a suscité des efforts de compréhension et de recherche sur cette croissance fulgurante d'une nouvelle industrie. Des groupes de recherches sont apparus : le Center for Nanotechnology in Society à l'université d'État de l'Arizona, le Center for Nanotechnology in Society (bis!) à l'Université de la Californie à Santa Barbara, le Center on Nanotechnology and Society à l'Institut de Technologie de l'Illinois, le Nanotechnology & Society Research Group de la Northeastern University ou l'International Nanotechnology and Society Network. D'autres groupes sont plus ouvertement voués à la défense des intérêts du public dans le cadre de l'émergence de la nanotechnologie ou à l'analyse de l'éthique (.PDF) de la nanotech... Et des artistes comme Lucia Covi ont fait de l'art (.PDF) avec les paysages du nanomonde.

La recherche n'est pas en reste, avec plus de trente ans d'histoire dans le cas du NanoScale Science & Technology Facility de l'Université Cornell, par exemple. (Dans certains cas, les centres de nanotechnologie, comme à l'Université de Caroline du Sud, combine la recherche technologique et les études anthropologiques.) L'équipe de Sylvain Martel à l'École Polytechnique de Montréal, dont j'ai déjà parlé puisqu'elle m'a piqué (!) une idée, a maintenant son propre wiki. Quant à la nanorobotique dont la science-fiction a rêvé, elle est encore l'objet de recherches par des équipes universitaires comme à Carnegie Mellon. Robert A. Freitas a compilé sur cette page une liste chronologique des idées, publications et réalisations en nanorobotique médicale. Dans cette liste, mon utilisation de nanorobots médicaux dans Pour des soleils froids, paru sous forme de roman en 1994 mais sorti en feuilleton dès 1991, n'est pas exactement en avance sur tout le monde, mais n'est pas trop en retard non plus : « Hémorragies multiples dues à l'accélération, tendons et muscles déchirés, hécatombe de globules blancs, tissus tués par les radiations directes, débuts de tumeurs malignes, obscurcissements de la cornée : des nanomachines avaient dû quadriller ses artères pour colmater, nettoyer et tuer. »

N'est-ce pas une idée séduisante? Eh bien, pas pour tout le monde (même si la nanomédecine justifie maintenant l'organisation d'événements un peu partout, y compris au Portugal).

En fait, il s'agit d'une constatation relativement décourageante de la recherche en communication scientifique que la corrélation entre le niveau de connaissances scientifiques des citoyens et leurs attitudes à l'égard des sciences ou de la recherche est assez faible. Dans certains cas, si un champ de recherche soulève des questions délicates, une connaissance approfondie peut engendrer aussi bien le rejet que l'ouverture. Je n'aurais pas cru que la nanotechnologie pût être aussi controversée que la biotechnologie, mais il faut croire que si on se met à jouer avec l'invisible, on risque de susciter l'inquiétude...

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2009-02-25

 

Iconographie de la SFCF (24)

Commençons par un rappel des livraisons précédentes : (1) l'iconographie de Surréal 3000; (2) l'iconographie du merveilleux pour les jeunes; (3) le motif de la soucoupe; (4) les couvertures de sf d'avant la constitution du milieu de la «SFQ»; (5) les aventures de Volpek; (6) les parutions SF en 1974; (7) les illustrations du roman Erres boréales de Florent Laurin; (8) les illustrations de la SFCF du XIXe siècle; (9) les couvertures de la série des aventures SF de l'agent IXE-13; (10) les couvertures de la micro-édition; (11) les couvertures des numéros 24; (12) les couvertures de fantasy; (13) une boule de feu historique; (14) une petite histoire de l'horreur en français au Canada; (15) l'instrumentalisation colonialiste de la modernité; (16) un roman fantastique pour jeunes de 1946; (17) le théâtre moderne de SFCF; (18) la télé et la SFCF écrite; (19) l'anniversaire de Spoutnik; (20) les premières guerres imaginaires de la SFCF; (21) les chimères; (22) l'émergence d'une SFCF moderne; et (23) les utopies du terroir.

Le Canada français ne se limite pas seulement au Québec, mais on pardonnera à de nombreux lecteurs de l'oublier tellement le reste du Canada moderne est invisible dans la fiction québécoise. C'est aussi le cas de la SFCF à laquelle on reproche déjà de s'enraciner rarement en sol québécois. Alors, l'Ontario...

Mais pourquoi s'attendre à trouver des pages sur l'Ontario ou sur Ottawa dans la SFCF? La réponse, c'est que l'Ontario francophone a sa place dans l'histoire de la SFCF. Le rôle de capitale d'Ottawa, une fois décidé en 1857, a favorisé le développement d'une tradition littéraire francophone en Ontario puisque le gouvernement a de tout temps attiré des francophones éduqués que le gouvernement embauchait pour occuper certains postes. Ces nouveaux venus, souvent lettrés, ont écrit, se tournant parfois vers les genres de l'imaginaire : fantastique, science-fiction, utopie, etc. Naturellement, la ville même d'Ottawa apparaît dans la SFCF produite dans ces circonstances. On peut remonter à son emploi comme décor par Jules-Paul Tardivel (1851-1905) dans Pour la Patrie (1895). Surtout concerné par les manigances politiques de ses personnages, Tardivel ne dit pas grand-chose de la ville proprement dite, même s'il la connaissait puisqu'il y passait les sessions parlementaires entre 1878 et 1881.

Jules Verne en avait dit à peine moins dans Robur le Conquérant (1886) :

Après Montréal, vers une heure et demie du soir, ils passèrent sur Ottawa dont les chutes, vues de haut, ressemblaient à une vaste chaudière en ébullition qui débordait en bouillonnements de l'effet le plus grandiose.

« Voilà le palais du Parlement », dit Phil Evans.

Et il montrait une sorte de joujou de Nuremberg, planté sur une colline. Ce joujou, avec son architecture polychrome, ressemblait au Parliament-House de Londres, comme la cathédrale de Montréal ressemblait à Saint-Pierre de Rome.
L'édition révisée des deux tomes de Jean Rivard par Antoine Gérin-Lajoie (1824-1882) date du séjour de celui-ci à Ottawa comme adjoint au directeur de la Bibliothèque du Parlement. Néanmoins, si Jean Rivard a une carrière de député à l'assemblée législative du Canada, cela semble dater de la période du Canada-Uni, avant 1860, de sorte qu'Ottawa n'apparaît pas dans l'épopée de Jean Rivard. Dans la seconde édition de Jean Rivard, économiste (1877), Gérin-Lajoie élimine l'essentiel de cet interlude; dans la première édition, qui date de 1864, il pouvait difficilement être question d'Ottawa, que l'auteur ne connaissait pas encore...

Dans Robert Lozé (1903) de Robert Errol-Bouchette (1862-1912), l'élément distinctif — pour ne pas dire critique de la société québécoise — doit sans doute quelque chose à la vie de l'auteur à Ottawa. Comme Gérin-Lajoie avant lui, il travaille à la Bibliothèque du Parlement et Robert Lozé (.PDF) contient des échos flagrants du roman de son prédécesseur. Mais il n'y est question ni d'Ottawa ni de l'Ontario; c'est l'avenir industriel du Québec, à l'image de la prospérité étatsunienne, qui l'intéresse. Pourtant, Bouchette a passé l'essentiel de son enfance à Ottawa, de 1865 à 1875, et il revient s'y établir pour de bon en 1898. Bref, il y aura passé la moitié de sa vie, mais cela ne transparaît pas dans sa fiction.

Poursuivre la traque de mentions d'Ottawa ou de l'Ontario dans la science-fiction pourrait nous mener loin; mieux vaut se cantonner aux productions franco-ontariennes. On peut se référer à l'histoire de la littérature franco-ontarienne par René Dionne dans Les Franco-ontariens (1993), même si l'article d'origine est maintenant vieux de vingt ans, pour se faire une première idée de son développement général. Pour ce qui est de la science-fiction et du fantastique en Ontario français, j'ai signé une ébauche de survol dans Liaison en septembre 1993. Depuis, les auteurs ont continué à voyager, certains quittant la province et d'autres arrivant.

En août 1864, Joseph-Charles Taché (1820-1894) est nommé sous-ministre fédéral de l'Agriculture et des Statistiques à Ottawa, mais c'était au printemps qu'il avait fait paraître dans Les Soirées canadiennes le poème « Le braillard de la montagne ». Une fois à Ottawa, il n'aura plus le temps d'écrire du neuf, encore qu'il faille relever trois histoires de fantômes de l'île de Sable qu'il relate dans Les Sablons (L'Île de Sable) et L'Île Saint-Barnabé (1885). Ces trois contes (« Le moine des Sablons », « Le régicide » et « La dame au doigt sanglant ») n'ont pas été recensés par les spécialistes du XIXe siècle, peut-être parce qu'ils sont trop clairement présentés comme inspirés par les légendes que l'on raconte au sujet de l'île de Sable, mais les autres contes de Taché aussi s'inspiraient souvent d'épisodes historiques ou du folklore, comme dans le cas du « Feu de la baie ».

Or, vers 1880, Taché habitait probablement à Ottawa — et non à Hull ou Gatineau, qui n'étaient guère plus que des villages, au demeurant — puisque c'est à la capitale que le volume pour l'Ontario du Canadian Biographical Dictionary and Portrait Gallery of Eminent and Self-made Men (p. 175) l'associe. De plus, en 1866, l'annonce de sa désignation à une commission de santé dans l'Upper Canada Law Journal (Vol. II, p. 140) indique spécifiquement qu'il s'agit de Joseph-Charles Taché « of the City of Ottawa ». Bref, ces trois contes écrits par un écrivain d'Ottawa en 1885 pourraient bien être les premiers textes de fantastique signés par un auteur franco-ontarien.

Par contre, de 1874 à 1878, Louis Fréchette (1839-1908) est député à Ottawa, mais cela ne justifie pas nécessairement d'identifier ses contes fantastiques, dont les premiers sont parus dix ans plus tard, comme des textes franco-ontariens, même si l'influence de la vie de chantiers dans la vallée des Outatouais est patente.

La question est nettement moins simple dans le cas d'Armand de Haerne (1850-1902), qui s'établit à Ottawa vers 1888-1889 (selon les Sessional papers of the Dominion of Canada : volume 2, first session of the seventh Parliament, session 1891, p. 3-B-28, qui recensent un paiement pour services rendus), peu de temps après la publication d'une nouvelle, « Le diable au bal », dans les Nouvelles Soirées canadiennes en janvier-février 1886. Si ce texte est daté de Sherbrooke, rien ne permet de dater ou situer l'origine des deux nouvelles inédites, « Jean le maudit ou le Revenant sous la glace » et « Nésime le tueur», publiées dans Le XIXe Siècle fantastique en Amérique française (1999) de Claude Janelle. Toutefois, notons que dans la première des deux nouvelles, le personnage de Jean le maudit travaille l'hiver «dans un chantier de coupe du bois », sans autre précision sur l'emplacement de celui-ci. Dans la seconde nouvelle, le cadre est plus nettement fixé : « C'était dans un des nombreux chantiers semés dans la forêt qui, sur un parcours de plus de cent milles, bordait la rivière Ottawa, à une époque mal déterminée, mais à laquelle les hivers n'avaient pas encore cessé, au Canada, d'être dignes de leur antique répuation de rigueur solidement établie par des siècles de cruelle froidure. »

Dans la mesure où de Haerne arrive au Canada en 1883 et publie en 1886 un texte qui est une simple variante de l'histoire de Rose Latulipe, j'ai du mal à croire qu'il ait pu acquérir autant d'aisance dans le maniement de la couleur locale avant 1886, et que ces nouvelles auraient été refusées s'il avait pu les soumettre en 1886. Je les daterais donc d'après 1886. S'il a fréquenté des chantiers de l'Outaouais avant d'atterrir à Ottawa vers 1888, cela ferait de la seconde nouvelle un texte qui aurait de bonnes chances d'être franco-ontarien, mais sans autre certitude et sans savoir s'il faut nécessairement le dater d'avant 1890 comme le suppose Janelle.

S'il faut un premier auteur de science-fiction ou de fantastique en Ontario, pourquoi pas un authentique Franco-Ontarien? Né à Ottawa en 1864, Régis Roy y est mort en 1944 et il y a fait carrière. Le 23 décembre 1893, il signe dans Le Monde illustré un petit conte, « Les cloches de Noël », où un amateur de lecture qui délaisse la messe de minuit pour un bon roman est affligé de surdité en guise de punition divine.

Parmi les premiers auteurs, il faut aussi compter William Chapman (1850-1917) qui ouvre une librairie à Ottawa en septembre 1898 avant de devenir traducteur au Sénat quatre ans plus tard. On le crédite d'au moins un poème fantastique, « Une légende », paru en 1886 avant son établissement à Ottawa. De même, Charles A. Gauvreau (1860-1924) sera député à Ottawa de 1897 jusqu'à sa mort, mais le seul texte fantastique qu'on lui connaît, « Le scapulaire de la morte », est paru dix ans auparavant, en 1887. La situation est semblable pour Louvigny de Montigny (1876-1955), qui devient traducteur au Sénat en 1910, après avoir publié des contes fantastiques en 1898 et 1899. Est-ce sa venue à Ottawa qui l'incite à signer une biographie d'Antoine Gérin-Lajoie qui va contribuer à relancer la fortune de certains des ouvrages de ce dernier, en particulier Jean Rivard?

En 1891, Emma-Adèle Bourgeois (1870-1935), épouse d'Alide Lacerte, s'établit à Ottawa. Elle est née à Saint-Hyacinthe, mais elle a étudié à Trois-Rivières, où elle a pu croiser le poète de Yamachiche, Nérée Beauchemin, qui a probablement dédié un poème au couple, « Épithalame », en l'honneur de leur mariage, poème que l'on retrouve dans son recueil Les Floraisons matutinales (1897). Au début du vingtième siècle, Emma rend hommage à ses lectures de jeunesse en signant une suite de L'Île mystérieuse de Jules Verne, Némoville (1917), qui pourrait être le premier roman de science-fiction franco-ontarien. Comme l'a découvert Mario Rendace, elle continue d'ailleurs à creuser le filon vernien, signant « L'évadé de Minoussinsk » en 1925, qui prolonge plus ou moins Michel Strogoff.

En 1900, Sylva Clapin (1853-1928) s'installe à Ottawa où, comme Chapman deux ans plus tôt, il ouvre une librairie. Comme Chapman, il devient traducteur au Parlement en 1902, mais à la Chambre des communes. Au fil des ans, il signe plusieurs nouvelles. Quelques-unes relèvent du fantastique le plus classique, dans la plus pure tradition du conte de Noël, dont « La savane » (1911), où le saint patron des cordonniers récompense un cordonnier charitable, et « Rikiki » (1916), où le prince des Lutins du Richelieu accorde trois souhaits à un fermier. Dans un genre particulier, celui de l'histoire secrète (variante de l'uchronie), Clapin signe en 1918 « La grande aventure du sieur de Savoisy » qui raconte la découverte de l'Amérique par des Français en 1444, donc, bien avant Christophe Colomb. Mais le sieur de Savoisy ne rentre jamais en France, échouant sur l'île de Sable dont Taché avait déjà commencé à raconter l'épopée... Mieux encore, Clapin signe même un authentique texte de science-fiction, sans doute le premier de l'Ontario francophone, « Le roi de l'or » (1911), qui se projette en 1960 mais qui a deux défauts, celui d'être franchement antisémite et celui d'être inspiré par une nouvelle antérieure, parue en France vers 1900, « Le déluge de l'or ».

Du point de vue de la science-fiction, le hiatus est grand entre cette nouvelle de Clapin et le texte suivant dans ce genre, en 1962. Dans l'intervalle, il suffit de mentionner le roman La Croche (1953) d'Arthur Saint-Pierre, sociologue né à Walkerville en Ontario, qui répondrait en quelque sorte à Jean Rivard d'Antoine Gérin-Lajoie. Sinon, le conte merveilleux traditionnel et la nouvelle fantastique sont à l'honneur dans les ouvrages de Marius Barbeau (1883-1969), Marie-Rose Turcot (1887-1977), Claude Aubry (1914-1984) et Carmen Roy (née en 1919).

Ottawa continue à attirer des francophones, et pas seulement du Québec. Le Scalpel ininterrompu (1962) de Ronald Després est un roman atypique par un auteur d'origine acadienne qui travaille à cette époque comme traducteur au Parlement. Le récit témoigne d'un tournant de plus en plus affirmé dans les lettres canadiennes-françaises, mais sa violence et sa mise en place d'un univers surréaliste tranchent sur les tentatives antérieures, nettement plus timides. L'ouvrage reste toutefois longtemps isolé et il s'agit en fait de l'un des derniers textes signés par un traducteur parlementaire dans la tradition littéraire franco-ontarienne.

Comme René Dionne l'a relevé, la littérature franco-ontarienne se transforme dans la seconde moitié du vingtième siècle. Elle n'est plus le fait des seuls fonctionnaires fédéraux et traducteurs parlementaires (d'ailleurs, à part Daniel Poliquin, il ne reste plus guère d'auteurs franco-ontariens actuels à travailler au Parlement).

Le nouveau foyer de la création littéraire en Ontario, ce sont les universités bilingues de la province, à Ottawa et Sudbury. (Poliquin est lui-même docteur ès lettres de l'Université d'Ottawa.) Une nouvelle génération d'auteurs a soit obtenu ses diplômes à l'université soit forgé des liens avec les milieux universitaires (eux-mêmes à l'origine de nouvelles maisons d'éditions comme Prise de parole ou Le Nordir). On peut citer ici un professeur comme Gérard Bessette (1920-2005), auteur d'un roman inclassable, Les Anthropoïdes (1977). Du coup, des lieux franco-ontariens font surface dans les textes de ces nouveaux auteurs.
Dans L'Enfant du cinquième nord (1982) de Pierre Billon (né en 1937), l'intrigue passe par Ottawa, tout comme dans Les Visiteurs du pôle Nord (1987) de Jean-François Somcynsky (alias Somain, né à Paris en 1943). Après avoir passé une partie de sa jeunesse à Buenos Aires, Somcynsky a immigré au Canada où il a étudié à l'Université d'Ottawa avant de faire carrière dans le corps diplomatique. Au fil des ans, il a habité des deux bords de la rivière des Outaouais mais aussi à l'étranger, au gré de ses affectations. Néanmoins, comme il accepte de faire partie de la vie littéraire de l'Ontario francophone, on peut le tenir comme un auteur franco-ontarien autant que québécois. (Dans la photo ci-contre, on le voit à la fête des vingt ans de l'AAOF en 2008.) Au fil des ans, il a signé une production imposante qui relève, selon les cas, de la science-fiction, du fantastique et du roman réaliste. Les couvertures de ses livres ne reflètent pas toujours leur contenu science-fictif. Ainsi, dans le cas des Visiteurs du pôle Nord, il faut se contenter de la reproduction d'une photo de Mike Beedell qui est censée représenter une aurore boréale. Par contre, dans le cas de La Planète amoureuse (1982), l'illustration d'André Hamelin ne laisse planer aucun doute sur l'appartenance à la science-fiction. La différence tient sans doute à l'importance de la science-fiction dans les projets des éditeurs respectifs. Même si Pierre Tisseyre inscrivait Les Visiteurs du pôle Nord dans une collection baptisée « Anticipations », elle comptait moins pour lui que la collection « Chroniques du Futur » du Préambule pour cette dernière maison d'édition. L'influence canadienne est également présente dans L'Ultime Alliance (1990) de Billon qui s'inspire de certains mythes des Inuit et qui place en couverture une photo de la célèbre sculpture en bois de l'artiste haïda Bill Reid, « Le corbeau et les premiers hommes ». Mythe de la côte du Pacifique et non des littoraux de l'océan Arctique, mais on peut saluer l'effort de l'éditeur quand même... Billon est toutefois un auteur indépendant qui ne cherche pas à s'inscrire dans la tradition littéraire de la science-fiction ou du fantastique, et qui montre encore moins d'intérêt pour le milieu canadien francophone dans ces genres. Il finit par retourner en Europe, d'ailleurs, et il ne semble avoir poursuivi ni dans la veine de la science-fiction ni dans celle du fantastique. Son cas rappelle un peu celui de Jean-Louis Grosmaire (né en 1944) qui s'est établi dans l'Outaouais après une jeunesse passée entre l'Afrique et la France. Quand Grosmaire signe Un clown en hiver (1988), il récolte le Prix littéraire du journal Le Droit en 1989. Mais il n'a pas touché à l'anticipation depuis... Les ouvrages isolés ne sont pas toutefois l'exclusivité des écrivains voyageurs. Carol Boily (né en 1942) signe L'Odyssée sur Terre (1988), qui raconte la visite d'extraterrestres pris au dépourvu par les aléas de la vie sur Terre. Il habite alors en banlieue d'Ottawa, mais l'accueil mitigé du livre ne l'a sûrement pas encouragé à continuer.

Au Canada francophone, l'histoire moderne de la science-fiction commence avec la création des revues spécialisées imagine... (1979) et Solaris, anciennement Requiem (1974), qui sont lancées au Québec mais qui sont ouvertes aux auteurs de tout le Canada, voire de toute la francophonie. Pour les Franco-Ontariens, ceci s'ajoute au lancement de la revue Liaison en 1978, qui publie à l'occasion des nouvelles avant de laisser des revues comme Rauque et Virages se spécialiser dans la fiction. Durant les années quatre-vingt, des nouvellistes occasionnels comme Marguerite Andersen, Michel Dallaire, Pierre Paul Karch, Gilles Lepage, Daniel Marchildon, Mercédès Nowak et Paul-François Sylvestre vont toucher aux genres de l'imaginaire dans des nouvelles publiées par les nouvelles revues culturelles ou réunies en recueil.

Mais la production la plus abondante est souvent le fait d'auteurs de passage. Un auteur comme Guy Sirois (né en 1951 au Québec) a également passé quelques années du côté ontarien de l'Outaouais, même si ce ne sont pas ses années les plus productives. Si on tient compte toutefois de ses années de présence dans l'Outaouais, y compris du côté québécois, plusieurs nouvelles écrites en collaboration avec Jean Dion (sous le nom de Michel Martin), comme « Geisha Blues », datent de ce séjour. Vittorio Frigerio (né en 1958 en Suisse) s'est installé, lui, à Toronto où il a fini par compléter des études en littérature avant de s'établir en Nouvelle-Écosse. Durant son séjour torontois, il signe plusieurs nouvelles dans imagine... et Solaris. De fait, ce qui s'observe dès cette époque, c'est l'origine de plus en plus internationale des auteurs.

Originaire du Burundi, Melchior Mbonimpa (né en 1955) s'est établi à Sudbury. Son roman Le Totem des Baranda (2001) met en scène une histoire légèrement allégorique du Rwanda qui se termine sur une anticipation relativement schématique, mais affirmée. (La photo ci-contre de Melchior Mbonimpa a été prise à la célébration des vingt ans de l'Association des Auteures et Auteurs de l'Ontario français en 2008.) Dans la mesure où il profite d'un regard d'expatrié que la distance rend plus libre de se prononcer, il s'inscrit dans la lignée de ces auteurs qui ont trouvé en Ontario francophone un cadre plus propice à l'utilisation de la science-fiction pour livrer son point de vue sur une réalité qu'ils ont connue. La conclusion du Totem des Baranda n'est pas une utopie comme Jean Rivard ou Robert Lozé pouvait l'être, mais il est difficile de ne pas y voir le compte rendu d'un rêve de paix pour une région du monde qui a beaucoup souffert au vingtième siècle.

Parfois, la science-fiction cache l'allégorie. Dans Dodécaèdre ou Les Eaux sans terre (1977), René Champagne (né en 1927) imagine un village fabuleux appelé Gloripolis qui est déchiré entre le parti des amis du passé qui inscrivent Je me souviens « sur le fronton de leurs résidences » (p. 31) et le parti des futurophiles qui crie « Vive le futur ! »... Dans un genre franchement surréaliste, on peut citer Raymond Quatorze (né en 1956) pour La Prison rose bonbon en 1991. Ou encore Margaret Michèle Cook pour sa nouvelle « L'art des ponts de traversée » en 1988. (La photo ci-contre de Cook a également été prise à l'occasion de la célébration des vingt ans de l'AAOF.) Si le roman de Raymond Quatorze est porté par la violence de ses images et une narration on ne peut plus directe, la nouvelle de Cook est nettement plus allusive, se fondant sur le jeu avec la langue pour suggérer un univers décalé. Quelque part entre Lautréamont et Vian, La Prison rose bonbon finit par trancher en faveur du fantastique todorovien malgré une longue citation en exergue de Jacques Sternberg qui aurait permis d'espérer plus. Tout le récit est présenté comme celui d'un fou furieux enfermé dans un asile, qui finit par se suicider. Mais il reste un doute qui habite le directeur de l'asile et qui entretient un certain balancement du lecteur. Le choix du pseudonyme (par un journaliste, dit-on) permet d'exprimer une rage peut-être liée à la condition franco-ontarienne, peut-être libérée aussi par l'éloignement des instances québécoises...

Sinon, la science-fiction franche est surtout pratiquée par des auteurs comme moi-même (avant mon départ de l'Ontario en 1996, ou depuis que je m'y rends presque chaque semaine pour y travailler, à compter de juillet 2004) et Michèle Laframboise (qui s'y établit vers 2004). Faudrait-il aussi annexer à la science-fiction franco-ontarienne Alexandre Lemieux, qui vit du côté québécois de la rivière des Outaouais mais qui travaille (sauf erreur) du côté ontarien? Peut-être. Le critère du lieu de travail permettrait d'exclure en tout cas Claude Bolduc, indéracinablement hullois.

Le fantastique ne manque pas non plus, au contraire. Sans citer les contes du folklore recensés par Germain Lemieux (1914-) dans Les Vieux m'ont conté et ses autres publications, on pourrait remonter toute la lignée des folkloristes comme Barbeau, jusqu'aux contes d'Emma-Adèle Bourgeois-Lacerte. À mi-chemin entre les recensions ethnographiques de Germain Lemieux et la littérature, Marius Barbeau (1883-1969) édite des adaptations littéraires des contes folkloriques dès les années trente. Plus récemment, Pierre Léon (né en 1926, en France), Jocelyne Villeneuve (née en 1941 à Val d'Or au Québec, mais établie en Ontario dès 1953) et Nancy Vickers (née en 1946 à Arvida, au Québec) ont signé des contes tant pour les enfants que pour les adultes.

Quant à la fantasy, elle est très peu représentée, à moins de compter en partie les romans pour jeunes de Laurent McAllister. Longtemps auparavant, durant ses études littéraires à l'Université d'Ottawa, Luc Ainsley (né en 1965) avait signé une nouvelle dans le genre (« Pégariel le Fou ») qui est un peu le pendant de son roman Kadel (1986), rédigé quand il vivait encore au Saguenay.

Bref, jusqu'à maintenant, la science-fiction franco-ontarienne a le plus souvent été l'œuvre d'auteurs de passage, ou d'immigrés récents. En fait, les exceptions à cette règle sont excessivement rares : à part Daniel Marchildon, on trouve peu d'auteurs significatifs pleinement enracinés dans le terreau provincial. C'est sans doute pourquoi l'Ontario est presque entièrement absente de leurs écrits, sauf lorsqu'il s'agit de mettre en scène Ottawa comme capitale dans un futur proche, ou encore dans les textes d'inspiration fantastique. Le plus souvent, la SFCF des Franco-Ontariens s'évade vers d'autres cieux. Et l'expérience commune de la transition et du transitoire est peut-être ce qui pourrait caractériser le plus fondamentalement la production franco-ontarienne.

2009-02-23

 

Le meilleur film de l'année?

Je n'ai pas vu tous les films en lice pour un Oscar, mais j'en avais vu plus que d'habitude, cette année, en comptant aussi bien The Dark Knight que The Reader, The Curious Case of Benjamin Button et, hier après-midi, Slumdog Millionaire. Ce dernier film est un produit curieux, qui joue sans honte la carte du mélodrame et du roman à l'eau de rose. On peut l'accuser d'orientalisme, mais c'est en fait tout ce qui le sauve et lui permet de se comparer un tant soit peu à un film comme The Reader, voire Milk ou Frost/Nixon, abordant des sujets historiques plus ou moins graves. Même The Curious Case of Benjamin Button avait l'ambition d'illuminer la condition humaine.

À première vue, Slumdog Millionaire n'est qu'un conte de fée, l'histoire d'un héros de condition modeste qui obtient la main de la princesse. Ce qui lui permet de transcender le cliché, outre la cinématographie et la musique, c'est bien d'avoir lieu en Inde et de prendre pour personnages des survivants d'un bidonville de Mumbai. Des pauvres, des pouilleux, des musulmans... C'est difficile de ne pas conclure que la dimension apparemment ethnographique du film a pu servir d'alibi aux cinéphiles qui l'ont retenu de préférence à des films nettement moins joyeux, voire beaucoup plus tragiques (Harvey Milk se fait tuer, un ancien président des États-Unis est humilié, le premier amour d'un jeune homme est une ancienne gardienne de prison qui a laissé souffrir et mourir des centaines de personnes, un homme qui vit à rebours ne connaît qu'un bonheur éphémère...).

Slumdog Millionaire est-il entièrement fidèle à l'Inde d'aujourd'hui? Sans doute pas, mais il fallait sans doute une équipe britannique pour choisir de prendre l'Inde comme cadre d'un film à grand budget, la Grande-Bretagne conservant un intérêt réel pour le joyau de son ancien empire. Le résultat est un hybride du réalisme occidental et du romantisme bollywoodien qui a au moins le mérite de ne presque jamais ennuyer, même si la dernière partie du film est de moins en moins surprenante.

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2009-02-22

 

Science-fiction à très petite distribution

En janvier 1998 (année décidément faste pour la science-fiction à l'université au Canada), Marc Provencher (né en 1963) remettait un travail de thèse de maîtrise en création littéraire. Intitulé Poussières d'empire (farce de science-fiction) / Autour de Poussières d'empire (dossier d'accompagnement) , il combinait une longue nouvelle de science-fiction avec une analyse des procédés littéraires à l'œuvre dans le texte.

Le début est un peu cahoteux, mais la nouvelle s'avère passionnante, en particulier par son maniement de la langue qui donne vie à un monde où la pollution est devenue un état de nature. En lisant, je me suis souvenu des qualités de certains textes signés par Jean Barbe et Marc Provencher dans les années quatre-vingt. Prenons ce passage en page 23:

Entre le silence des agglucités désertes et la fixité taciturne de mes mégardiens, je me retrouve seul face à la rature. De loin en loin, je stoppe les machines et, ventousé à la rambarde de l'égout, je m'abîme dans la contemplation d'une putrine bouillonnante, d'un cimetière de métaux, d'un dépotoir aux profondeurs insondables, d'un méthang où batifolent les récureuils. Je médite sombrement en scrutant, au loin, l'oléan démonté par une tempête de poussière, je me recueille devant nos millionnaires amas de détritus, dont le nombre et le volume — je le signale avec inquiétude — ne cesse de diminuer sous l'action des équipes de vermineurs chargés de la cueillette des munitions. Je fixe des dizaines d'yeux sur l'horizon dans l'espoir bien mince de voir surgir la Grande Coquerelle, incarnation mythique de notre divinité.
L'idée d'une civilisation née dans les déchets de la précédente n'est pas neuve, mais elle est portée à un point paroxystique par Provencher. Comme il l'explique lui-même, il se fie surtout à la logique interne et aux connotations de ses néologismes pour évoquer ce monde futur, car ce qu'il en décrit directement n'est guère convaincant du point de vue de la science-fiction, mais l'allégorie reste valable. Le narrateur a découvert la vérité sur l'humanité qui a mis en place les conditions nécessaires à l'avènement d'une nouvelle espèce, la sienne, et il finit par admettre sa dette envers les humains de jadis :

Car s'il nous apparaît illogique qu'une espèce ne supportant pas les radiations se soit mise à en émettre à une fréquence industrielle, et s'il est certes peu reluisant d'avoir pour origine mutancestrale une forme plus fragile encore que toutes celles que nous avons empirées jusqu'ici hormis les nitouchables d'Opopanax, il n'en reste pas moins que c'est à l'humanité, lointaine et pourtant si proche, que nous devons tous nos fulgluants panoramas : la douceur quiète des brumes méthaniques, le miroir des oléans, le picotement revigorant des pluies sulfuriques et chlorhydriques, les riches gisements de croupines et de cloartz, le chant de l'oxydon dans les profondeurs ocres du rouillis... tant de merveilles encore ! Et où aurions-nous puisé les munitions qui nous ont permis d'empirer nos premières galaxies?
Car la pollution est devenue l'arme secrète des successeurs de l'humanité sur Terre, qui vont finir par découvrir toutefois qu'elle n'est pas une ressource renouvelable...

Depuis, Provencher a livré un recueil, Treize contes rassurants (2007), qui ne semble pas comprendre le texte en question à en juger par les résumés fournis et la longueur probable des contributions. Sa parution a rafraîchi la mémoire à au moins une ancienne connaissance de l'auteur qui signe un excellent billet sur leur première rencontre. Cet Eric McComber (né en 1964) est lui-même un homme-orchestre devenu auteur sur le tard, y compris d'un roman, Antarctique (2002), qui touche à l'anticipation politique et qui lui valait d'être salué comme un porte-parole de la jeunesse québécoise (à trente-huit ans et plus... ce qui me fait me sentir plus jeune, tiens).

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2009-02-21

 

Communiquer la science (2)

Pascal Lapointe vient de signer un Guide de vulgarisation aux Éditions MultiMondes. L'ouvrage est formidablement documenté (des sources parues en 2008 sont citées) et l'auteur ne se limite pas aux textes journalistiques, car il renvoie aussi à plusieurs articles par des spécialistes de l'étude de la vulgarisation, publiant dans Public Understanding of Science ou Science Communication. D'autres textes historiques sont rappelés fort à-propos, dont l'article de Paul Carle et Jean-Claude Guédon, « Vulgarisation et développement des sciences et des techniques. Le cas du Québec (1850-1950) », dans Vulgariser la science (1988).

Le livre se présente en partie comme un vade-mecum pour futurs vulgarisateurs, mais il approfondit aussi l'histoire de la vulgarisation en remontant à Fontenelle (et même avant) tout en analysant plusieurs controverses. Il évoque des réalités sociologiques, comme l'aptitude de simples citoyens à se prononcer sur des controverses au terme d'une formation rapide. En même temps, Lapointe examine aussi l'évolution de la vulgarisation depuis l'époque des scientifiques qui prenaient eux-mêmes la plume ou la parole jusqu'à celle des journalistes qui ont pris le relais au XXe siècle. Toutefois, la relation de cette évolution est un peu hachée et la schématisation n'est pas toujours exempte de contradictions : d'une page à l'autre, on passe de la crise de l'énergie des années 70 comme point de rupture (qui voit les vulgarisateurs délaisser l'espace pour les questions environnementales) à la catastrophe du Challenger en 1986 (la même année que Tchernobyl, que cet historique passe sous silence) comme motif de désillusion pour une génération entière de journalistes scientifiques. Mais admettons que les réalités n'ont pas toujours été les mêmes entre l'Amérique du Nord et l'Europe...

Lapointe essaie peut-être d'en faire trop. Des livres entiers (il en cite certains) ont été écrits sur l'histoire de la vulgarisation; résumer cette histoire en quelques pages condamnait le résultat aux raccourcis. Par contre, l'ouvrage excelle dans sa présentation de la mutation québécoise et nord-américaine des métiers de la vulgarisation. Désormais, le communiqué de presse (ou media release) est devenu un des lieux principaux de la vulgarisation, et la communication scientifique est une activité pratiquée de moins en moins par des « médiateurs » relativement indépendants et de plus en plus par des organes institutionnels, publics ou privés, c'est-à-dire par des relationnistes et autres employés au service d'une entreprise quelconque. Lapointe nous fait entrer dans les coulisses de ces métiers bien rémunérés et de plus en plus influents, dont les pigistes comme moi devinent les ficelles sans les connaître tout à fait.

Somme toute, Lapointe est loin d'être encourageant pour ceux qui désireraient se faire journalistes scientifiques. Les débouchés disponibles ont fondu comme neige au soleil, ce que l'auteur se borne à constater, mais il faudrait sans doute incriminer le contexte du virage néo-libéral des années 90 qui a donné beaucoup plus de valeur aux nouvelles économiques qu'aux nouvelles scientifiques (on voit où cela nous a menés....) et qui a fait des grands médias comme Radio-Canada des bastions assiégés de l'information publique, en même temps que la polarisation entre commentateurs vedettarisés ou syndiqués sur-protégés et pigistes précarisés permettait aux entreprises de sabrer dans leurs coûts. De manière peut-être un peu optimiste, Lapointe finit par plaider pour une déontologie de la vulgarisation que même les relationnistes devraient adopter, dans leur propre intérêt.

Cela dit, le principal atout de ce guide est au niveau de la pratique. Lapointe présente les deux grands axes de la vulgarisation médiatique des sciences : la découverte annoncée en primeur et l'analyse des rapports entre les activités scientifiques et la société. Il expose les bases de l'écriture journalistique (la pyramide, les 5W, l'art de l'amorce) et il illumine les pièges que les vulgarisateurs doivent éviter pour ne pas se faire instrumentaliser. Des exercices pratiques d'interprétation et d'analyse sont inclus pour le lecteur (mais il faudra m'expliquer l'exemple du muffin en page 180). L'ouvrage conclut sans se prononcer en dressant un portrait rapide des ultimes métamorphoses de la vulgarisation, des revues scientifiques ouvertes aux révisions collectives par les pairs aux blogues, chroniques baladodiffusées, vidéos et wikis.

Bref, c'est un ouvrage riche d'enseignements, réalisé avec soin et qui vaut le détour. Rares sont ceux qui n'en retireront rien du tout, car les universitaires apprendront sur la pratique, et les praticiens sur la théorie ou l'histoire. Et c'est de lecture fort agréable, ce qui ne gâche rien.

Un autre billet sur la communication scientifique :

Communiquer la science (1) : les scientifiques sont-ils allergiques aux journalistes?

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2009-02-20

 

Les futures missions de la NASA

La NASA est en train de développer une nouvelle panoplie de lanceurs et de véhicules pour les voyages spatiaux, dans le cadre du programme « Constellation ». L'objectif du programme, en principe, c'est de permettre un retour sur la Lune. La nouvelle capsule Orion pourrait embarquer quatre astronautes pour un voyage lunaire, ou six pour un rendez-vous avec la station spatiale. Et les nouvelles fusées Arès pourraient propulser des charges importantes en orbite.

Du coup, les scientifiques se permettent de rêver. Une fusée nettement plus puissante que la navette pourrait emporter dans l'espace des charges plus importantes, sous la forme de nouveaux observatoires en orbite ou d'instruments astronomiques novateurs. Un nouvel ouvrage dresse la liste des possibilités. En revanche, dans certains cas, on a établi que les nouvelles fusées ne faciliteraient aucunement des missions envisagées par certains chercheurs. Ce qui est une bonne nouvelle, dans la mesure où il faut comprendre que les fusées existantes suffiraient aux besoins de ces missions et permettraient de les lancer sans attendre le perfectionnement des véhicules du programme « Constellation ».

Dans cette catégorie, on trouve par exemple le télescope Compton conçu pour observer les phénomènes les plus énergétiques dans l'Univers en captant les rayons gamma qu'ils produisent. Dans un genre plus ambitieux, le projet SPECS consiste en une paire de télescopes de 4 mètres opérant dans l'infrarouge lointain et mis en orbite à proximité du point L2 du système Soleil-Terre afin de fonctionner comme un interféromètre d'une envergure d'un kilomètre. La mise en orbite serait encore l'étape la plus simple tellement les innovations techniques requises sont complexes. Mais il pourrait tomber sur un rival déjà installé à proximité du point L2 : le télescope SAFIR, de 10 mètres de diamètre, qui fonctionnerait également dans l'infrarouge.

Plus exotique : la mission d'un cryobot envoyé au pôle Nord de Mars afin de forer la calotte glaciaire pour voir ce qui se trouve sous la surface. Dans un autre genre, l'observatoire Super-EUSO serait destiné à capter les particules ultra-relativistes qui composent la frange la plus énergétique du rayonnement cosmique...

Pour l'instant, les décideurs ont remis à plus tard ces missions, mais elles révèlent à quoi pourrait ressembler l'exploration spatiale du futur quand les progrès de la technique (ou du financement) permettront de lancer ces missions.

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2009-02-19

 

Les glaces qui fondent

J'ai souvent évoqué ici la fonte des glaces flottantes de l'Arctique dont l'évolution a pris de vitesse les prévisions consensuelles des climatologues. Selon les chercheurs, on avait sans doute négligé un facteur d'emballement additionnel, mais subtil : un article qui paraîtra sous peu mettrait en évidence l'effet des flaques d'eau de fonte à la surface des glaces les plus neuves. Plus les glaces flottantes sont neuves, plus elles sont lisses et plus les flaques de glace fondue sont étendues. Plus elles sont étendues, plus elles absorbent le rayonnement solaire et accélèrent la fonte des glaces. Cet effet avait été négligé, mais comme la fonte estivale est de plus en plus prononcée, le pourcentage de glaces neuves l'hiver augmente et l'étendue de ces flaques aussi.

Du coup, on se dirige plus tôt que prévu vers un nouveau régime : l'été, il restera de moins en moins de glaces à la surface des flots; l'hiver, la superficie totale des glaces diminuera beaucoup moins, mais il s'agira surtout de glace fraîche, d'épaisseur réduite et d'autant plus encline à fondre par temps chaud.

Quant aux glaciers, leur état est examiné en détail dans ce nouveau rapport de l'ONU qui prévient que si rien n'est fait, de nombreux glaciers disparaîtront d'ici la fin du siècle. La diminution est patente. En tirant mes données de ce bulletin (.PDF) du World Glacier Monitoring Service, basé en Suisse, j'ai obtenu la figure suivante, qui illustre l'évolution des glaciers dans neuf massifs montagneux différents tout autour de la planète.Jusqu'en 2005, on observe une perte cumulative nette (en millimètres d'eau par unité de superficie) pour la plupart des massifs montagneux. Et les pertes sont beaucoup plus grandes que les quelques gains...

Pour les années les plus récentes, les données moyennes disponibles selon ces résultats préliminaires pour 2005-2006 et 2006-2007 révèlent de nouvelles pertes. Pour tous les glaciers suivis par les chercheurs, ce sont respectivement l'équivalent en eau de 1048 et 528 millimètres d'épaisseur en moins; pour les trente glaciers dits de référence (parce que leur répartition géographique est plus uniforme) qui sont suivis depuis au moins 1980, les pertes sont encore plus marquées : 1255 et 673 millimètres.

Certes, on aimerait avoir des observations suivies sur une période plus longue. En fait, il existe d'autres preuves du recul de nombreux glaciers depuis la fin du XIXe siècle, mais elles sont plus approximatives. Nettement, la tendance sur presque trente ans est assez claire.

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2009-02-18

 

Lectures du passé

Autrefois, on lisait en remuant les lèvres parce que la lecture était encore proche de la parole et de l'oralité. En anglais, le mot lecture désigne d'ailleurs une allocution de vive voix, un discours prononcé à haute, voire un cours au complet. Dans le film The Reader, inspiré par le roman Der Vorleser de l'auteur allemand Bernhard Schlink, la lecture de livres se fait aussi à voix haute. Est-ce pour autant un cours d'histoire et de civisme qu'on nous inflige?

En revenant dans mon quartier à pied, sur quatre kilomètres sous les étoiles, j'ai changé d'idée plusieurs fois sur le film. Hanna Schmitz, la femme dont s'éprend le jeune Michael Berg en 1958, ne dit rien de son passé à son jeune amant, et pour cause! Elle était une simple ouvrière de Siemens quand elle a accepté un poste de garde-chiourme au sein des SS chargés du camp d'Auschwitz et de ses satellites. Ce qu'elle ne prévoyait peut-être pas, elle l'a vécu.

Mais l'histoire se complique quand Michael assiste huit ans plus tard au procès de son ancienne amante, que la loi a retrouvée pour la juger avec d'autres gardiennes. Quand Hanna se montre trop franche, ou trop bête pour mentir, parce qu'elle a cru qu'elle faisait tout simplement le travail qu'on lui avait confié, elle devient le bouc émissaire désigné parce qu'elle cache une seule chose, un secret honteux que Michael devine enfin et qui change beaucoup de choses. De nombreux détails s'éclairent quand on se rend compte que Hanna est illettrée : guide de voyage qu'elle refuse de lire, menu qu'elle ne consulte pas, promotion qui la fait fuir puisqu'elle sera obligée d'exécuter un travail de bureau... Et, bien entendu, quand elle demandait à Michael de lire, ce n'était pas seulement pour le plaisir d'entendre sa voix, mais parce que c'était la seule manière pour elle de découvrir la littérature. Une manière de faire qu'elle avait adoptée auparavant à Auschwitz, en obligeant des prisonnières à lire pour elle.

Mais Michael n'ose pas informer le tribunal de ce qui pourrait modifier le cours du procès puisque Hanna passe pour la rédactrice d'un rapport falsifié sur un incident particulièrement atroce. S'abstient-il parce qu'il ne veut pas se mêler du sort d'une brebis galeuse, trop étrangère à sa condition bourgeoise et à sa future carrière judiciaire? Ou parce qu'il juge qu'elle mérite d'être punie, d'être le bouc émissaire d'un peuple qui, comme Michael, n'a rien vu et n'a rien su tant que ça l'arrangeait?

Le film ne nous éclaire pas sur les revirements de Michael. Du coup, le film se prête à une nouvelle lecture : au cœur de l'histoire, ce n'est plus Hanna qui doit porter le fardeau de la culpabilité et des crimes nazis, mais bien la faiblesse humaine de ceux qui n'agissent pas parce que c'est plus simple de ne rien faire et de laisser l'église brûler, en même temps que les prisonniers enfermés à l'intérieur. Michael, pourtant averti par le destin de l'Allemagne nazie et encouragé par son professeur à poser le bon geste, se dérobe et opte pour les plaisirs du présent, tellement plus prometteurs que les impénétrables complications du passé. Mais si tout le monde est faillible, ne faut-il pas exonérer dès lors tout un peuple? Une fois les règles décidées par d'autres, ce seraient les circonstances qui feraient les criminels, et non les choix personnels.

Sauf que la faiblesse ou le dépit de Michael permet à des coupables d'échapper à leur châtiment tandis que Hanna paie pour les autres. Est-ce juste? Mais des centaines d'autres personnes, des milliers et des dizaines de milliers d'autres ont participé à la machine de mort. En condamner une ou six, c'est quand même disculper toutes les autres.

En fin de compte, le film penche pour la valeur de la franchise. Les silences de Michael et de Hanna leur ont porté malheur. Le silence a trop souvent permis de fermer les yeux. Michael décide enfin de raconter la vérité à sa fille, de dire à voix haute sa propre histoire au lieu de lire celle des autres.

Mais quand Michael emmène sa fille visiter une vieille église à la fin du film, j'ai cru qu'il l'amenait voir quelque monument à la mémoire des femmes qui avaient péri, enfermées dans une église en train de brûler parce que personne ne voulait prendre la responsabilité d'ouvrir les portes, victimes emblématiques de la folie allemande. Eh bien, non! Il l'amène voir la tombe de Hanna... Ce ne sont pas les victimes qui justifieront le choix de la franchise, mais une de ces nombreuses personnes qui obéirent aux ordres sans trop s'interroger.

Est-ce trop égocentrique d'ignorer les victimes pour se préoccuper des coupables et de la cartographie exacte de leur culpabilité? Mais le film s'adresse de nos jours à des auditoires occidentaux plus susceptibles de compter en leur sein des bourreaux potentiels que des victimes potentielles.

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2009-02-17

 

Des collisions révélatrices

Le 15 janvier, un Airbus A320 percute une volée de bernaches (car ce ne sont pas les volatiles en question qui ont cherché à intercepter un avion volant plus vite qu'eux !) au-dessus de New York. Un amerrissage parfait sauve tous les passagers, et l'équipage aussi.

Le 3 ou le 4 février, un sous-marin nucléaire britannique percute un sous-marin nucléaire français (ou vice-versa). Pas de morts, pas de blessés, mais l'océan Atlantique n'a jamais semblé aussi petit.

Le 10 février, un satellite du réseau Iridium percute un satellite russe défunt. Le nuage de débris enveloppera sans doute la planète au complet et menace d'autres satellites, et même la station spatiale internationale ou la navette.

Quelles conclusions faut-il en tirer? Qu'est-ce que la métaphysique des collisions?

À la petite école, nous apprenions l'anglais en chantant « Where Have All the Flowers Gone? » de Pete Seeger et « It's A Small World (after all) » des frères Sherman. Si la chanson de Seeger n'avait pas tort au sujet de la guerre, c'est la chanson composée pour l'Exposition universelle de 1964 et reprise par Walt Disney qui voyait juste en anticipant la mondialisation actuelle : le monde est petit. Il n'y a plus de place pour les canards sauvages, l'espace n'est pas infiniment vaste, l'atmosphère est trop mince pour contenir tout le gaz carbonique qu'on y injecte et les océans sont décidément trop petits pour les sous-marins nucléaires et les sacs de plastique. Puisque le monde n'est pas si grand, vivons donc un peu moins largement et nous ne risquerons pas de nous cogner un jour aux murs de notre cellule.

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2009-02-16

 

Une thèse sur la science-fiction canadienne (et quelques autres)

Les vétérans du milieu de la science-fiction au Canada se souviennent peut-être des recherches conduites par Henry Leperlier vers le milieu des années quatre-vingt-dix afin de mener à bien sa thèse de doctorat en littérature canadienne comparée à l'Université de Sherbrooke. Il avait profité de l'existence des premières listes de distribution électronique et de l'acquisition d'adresses de courriel par un nombre grandissant d'auteurs pour communiquer directement avec les principaux acteurs et intervenants du milieu, de sorte que sa thèse s'appuie non seulement sur les ouvrages imprimés mais sur les témoignages et points de vue des membres du milieu.

Intitulée Canadian Science Fiction: A Reluctant Genre (.PDF), cette thèse est disponible sur le site des thèses canadiennes. Leperlier n'est pas un historien ou un théoricien, et il ne faut pas compter sur ce texte pour faire des découvertes sur le passé de la SF canadienne, ou pour en savoir plus sur la définition de la science-fiction. Mais il livre, dans cette thèse relativement courte (212 pages), une description fouillée de la situation de la science-fiction canadienne vers 1996, alors riche d'une évolution de vingt ans et porteuse d'un certain nombre de discours. C'est à la fois la force et la faiblesse de l'œuvre, qui ne transcende pas son époque d'origine même si elle en dresse un portrait fidèle.

L'insularité de la SFQ n'échappe pas au regard de l'auteur, car Leperlier relève aussi bien la revendication de l'appartenance québécoise dans le sigle le plus usité pour une littérature qui déborde le Québec que l'exclusion de tout texte en anglais (même du Québec) traduit dans les anthologies de « SFQ », tandis qu'une anthologie canadienne-anglaise comme Tesseracts est ouverte aux traductions du français. En même temps, il reconnaît que l'inclusion des auteurs francophones par les ouvrages en anglais tient aussi du désir de se démarquer de la science-fiction des États-Unis — besoin que les anthologistes francophones n'éprouvent pas. Et il relève que cet insularisme n'est que la rançon de la cohérence du milieu de la SFCF dont les institutions éditoriales et critiques demeuraient fort enviables à cette époque pour les auteurs anglophones du reste du Canada.

Leperlier, né en France de parents d'origine viêtnamienne et réunionnaise, est une incarnation du multiculturalisme. La biographie fournie par sa thèse spécifie qu'en 1998, il enseignait le français et l'espagnol à Dublin, ainsi que la traduction, au terme d'études en anglais, allemand et économie à Grenoble. Après avoir pratiqué la traduction du français et du néerlandais à l'anglais, et enseigné le gaélique irlandais à Bruxelles, il a travaillé comme informaticien à l'adaptation des logiciels à des langues comme le chinois et l'inuktitut. Bref, il se présente comme parlant couramment l'anglais, le français, l'espagnol, le gaélique irlandais, le breton et l'allemand, en plus d'avoir une bonne connaissance du chinois, du néerlandais, du russe, de l'italien, du catalan, du créole, du danois et du suédois... De quoi flanquer un complexe d'infériorité à la plupart des Canadiens.

L'année 1998 a d'ailleurs été fertile en thèses sur la science-fiction au Canada puisque, la même année, celle de Salvatore Proietti, The Cyborg, Cyberspace, and North American Science Fiction (.PDF), était acceptée par le département d'anglais de l'Université McGill. L'année précédente, Donna Louise Harris avait soumis une thèse de maîtrise au département d'anglais de l'Université du Manitoba sur le sujet de la maternité dans la science-fiction: Acts of Genesis: A Feminist Look at the Changing Face of the Mother in Selected Works of Science Fiction by Women (.PDF). Toujours en 1997, Ann F. Howey avait remis une thèse de doctorat, Once and Future Women: Popular Fiction, Feminism and Four Arthurian Rewritings (.PDF), au département d'Anglais de l'Université de l'Alberta, qui portait sur plusieurs autrices, dont Marion Zimmer Bradley.

Une autre thèse de maîtrise était soumise en 2000 au département des littératures de l'Université Laval par Daniel Laforest, Un fantôme dans la machine : Questionnement sur la déshumanisation postmoderne en lien avec le thème de la machine (.PDF); malgré le titre, il n'était pas question de Ghost in the Shell, l'auteur s'intéressant plutôt à Crash, Microserfs et Blade Runner. En 2000 aussi, Lucie Lalonde signait une thèse sur l'utilisation de la science-fiction pour la communication scientifique, An Examination of Science Fiction with a View Towards Improving Scientific Literacy (.PDF), au département d'Éducation de l'Université Concordia.

Plus récemment encore, Jocelyn Lefèvre a soumis en 2002 une thèse de maîtrise au département de Lettres anglaises de l'Université d'Ottawa qui portait sur le cyborg : Caught in the Mirror: Fictional Representation of "Cyborgs" and "Serials" in Postmodern American Technoculture (.PDF). Mais ce ne sont que les thèses disponibles sous forme électronique : le répertoire complet comprend une cinquantaine de thèses dont le titre comprend le mot « science-fiction », dont des thèses de Carine Tremblay, Sandrine Nicolas et Julie Dallaire sur Esther Rochon ou Élisabeth Vonarburg, la thèse de Kim G. Kofmel (dont j'ai connu quelques travaux préliminaires fascinants) sur les lecteurs de science-fiction, les thèses de Pamela Bedore, Tara Aletha Dentry, Ross Edward Glanfield, Jessica Georgina Harvey, Cara L. James, Maureen C. LaPerrière, Patrica Ellen Mascaro, Christine Mary Reed, Athanassia Spillios et Annegret Johanne Wiemer sur la sf féministe, la thèse de Ruth A. Dyck Fehderau sur Monica Hughes, l'analyse typologique de la science-fiction canadienne par la thèse de maîtrise de Randy Woods, la thèse de Patricia Anne Wilson sur les croyants catholiques en science-fiction (!), la thèse de Fernando « Nando » Michaud, la thèse de Rita Painchaud sur la « Constitution du champ de la science-fiction au Québec, 1974-1984 », la thèse de Matthew David Brock Rose sur la science-fiction russe et soviétique, la thèse de Roger Francis Bakes sur Brian Aldiss, celle de Timothy Newman sur Ursula K. Le Guin, la recension de la science-fiction allemande dans les revues d'Hugo Gernsback (1926-1935) par Linda Jordan en 1987, les deux thèses de Sophie Beaulé et les deux thèses de Veronica Hollinger, la thèse d'Adam Nichols sur la science-fiction comme littérature d'idées de 1911 à 1979, la thèse sur la science-fiction française de Jean-Marc Gouanvic, la thèse d'Isa Ulrike Gabbe sur Auf zwei Planeten (1897) de Kurd Lasswitz et, enfin, la thèse de Gouanvic sur Vian et la science-fiction en 1976 qui semble être la plus ancienne dans ce répertoire à mentionner la science-fiction dans son énoncé.

Concluons sur quelques thèses récentes qui n'ont pas l'air ennuyeuses : celle de Jordan Fouts sur les cataclysmes dans la science-fiction russe depuis la Pérestroïka, After the end of the line: apocalypse, post- and proto- in Russian science since Perestroika (.PDF); la thèse de maîtrise de Daniel Racicot à l'UQTR en 2007 sur les discours de la science postmoderne dans Dune; celle de Meighan Sarah C. McCrae sur les ouvrages de Zukunftskrieg et les peurs d'invasion en Grande-Bretagne; et celle d'André Caron à Concordia sur la « xénopsie ».

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2009-02-15

 

La solitude des pauvres

L'autre jour, j'ai regardé un vieux film de Marcel Carné, L'Air de Paris, qui n'est pas un de ses plus connus, mais qui a quand même le mérite de compter Gabin et Arletty parmi les vedettes du film. Ceux-ci n'étaient plus jeunes en 1954, mais Gabin est quand même magnétique dans son rôle d'ancien boxeur qui prend sous son aile un poulain récalcitrant dans l'espoir de faire de lui le champion que lui-même n'a été que trop brièvement. Longtemps avant Rocky, Carné fait dépendre de péripéties pugilistiques le sort de personnages attachants qui veulent se sortir d'une certaine indigence. Le film nous plonge donc dans les milieux modestes de Paris et fait parler ceux qui rêvent de mieux, comme le jeune André Ménard. La seule incertitude dans l'intrigue vient de la rencontre de Dédé avec une jeune dame du grand monde, qui a fait le sacrifice de ses sentiments pour bénéficier de la sécurité dans une cage dorée, mais qui s'éprend malgré elle du jeune boxeur. Ce dernier doit choisir entre l'amour et la boxe, mais c'est la jolie môme de son cœur qui tranche.

Mais l'intérêt du film, c'est aussi le Paris de 1954, celui de l'adolescence de ma mère et celui dont il reste encore beaucoup de traces, ou dont il restait de nombreux vestiges quand je passais des jours et des semaines à Paris durant les étés de ma jeunesse. À première vue, je n'ai pas eu l'impression que Carné avait abusé de décors et de reconstitutions de Paris en carton-pâte. De toutes façons, l'important, c'est qu'il met en scène le Paris des petites gens, des immigrés nord-africains, des chambres d'hôtel étriquées et des boutiques encombrées. Le Paris de Léo Malet, aussi, qui se lançait dans les Nouveaux Mystères de Paris la même année. Le Paris que les grands travaux, la modernisation et l'embourgeoisement ont beaucoup grugé. Voyage en France et voyage dans le temps.

En même temps, je réfléchissais qu'on ne voit plus très souvent au cinéma des vies ordinaires aussi modestes, à moins de tomber sur un film à thèse. Les films hollywoodiens semblent considérer que l'Étatsunien moyen vit obligatoirement dans une maison (sauf à New York, ce qui explique sans doute l'ambivalence éprouvée par le reste des États-Unis à l'égard de la métropole) avec garage. (De fait, 68% des ménages sont propriétaires de leur logement, ce qui inclut beaucoup de maisons.) C'est sans doute particulièrement vrai dans les films pour jeunes, et moins vrai dans les films d'action où les personnages fréquentent parfois ce qu'on présente comme les bas-fonds de la société.

Autre exception : les films à petit budget... Le film étatsunien Wendy and Lucy, par la cinéaste indépendante Kelly Reichardt, met en vedette un personnage aussi paumé que le jeune Ménard de L'air de Paris. La jeune Wendy a quitté l'Indiana pour gagner l'Alaska quand sa voiture rend l'âme dans un stationnement d'une ville de l'Oregon. Comme son argent est compté, elle tente de faire durer son viatique en volant à l'étalage afin de nourrir sa chienne Lucy, et elle se fait arrêter. Et quand elle revient chercher Lucy, celle-ci a disparu. Bref, la situation empire de jour en jour pour Wendy, qui dormait dans sa voiture, mais qui doit confier celle-ci à un garage pour finir par apprendre que le moteur est fichu.

J'ai lu au moins une critique qui suggérait que le film raconte une déchéance qui culmine avec un désastre. En fait, je ne l'ai pas entièrement perçu ainsi. Certes, Wendy accumule les coups durs, doit renoncer à sa voiture et à sa chienne, mais quand elle saute dans un train pour reprendre son voyage, il lui reste presque tout son argent et elle espère encore trouver du travail en Alaska. Mais son expression dure n'a plus la relative décontraction des premiers moments du film. Quand elle est prise sur le fait au supermarché, l'employé qui insiste pour appeler la police lui jette au visage qu'elle ne devrait pas avoir un chien si elle n'a pas de quoi le nourrir. En fin de compte, cette observation aussi cruelle que juste est implicitement acceptée par Wendy, même si ce jugement signifie en fait que les pauvres n'ont pas le droit d'avoir des amants, des amis ou des animaux de compagnie... Ils n'ont que le droit de vivre seuls ou mourir.

Wendy était déjà seule. Personne ne se souciait d'elle. Quand elle appelle sa sœur à des centaines de kilomètres de là, elle se fait rembarrer. Wendy est le symbole de l'isolement et de la solitude des pauvres, dont la pauvreté est souvent le résultat de cette absence de filet de sécurité. En même temps, les critiques qui font des péripéties du film des désastres exagèrent peut-être un peu... ou peut-être n'ont-ils jamais dormi dans leur voiture, vu la nuit tomber sans savoir où ils coucheraient, erré la nuit dans une ville parce qu'ils n'avaient nulle part où dormir, ou fait d'une toilette publique leur salle de bain.

Wendy se débrouille comme elle peut et sans se plaindre; parfois, elle se paie de petits luxes qu'on a envie de lui reprocher, mais c'est bien parce que le film nous oblige à voir — sans verser dans le mélo comme L'Air de Paris — le quotidien de personnes qu'on essaie de ne pas voir, d'habitude. (Mais contrairement à Leon Logothetis et aux jeunes itinérants qui réclament l'aumône pour eux et pour leurs chiens, Wendy ne quémande jamais. Parfois, on lui fait la charité, mais c'est la charité ordinaire de ceux qui ne se privent pas du nécessaire pour aider les autres.) Film emblématique d'une nouvelle ère aux États-Unis? C'est peut-être un peu tôt pour le comparer à The Grapes of Wrath, mais s'il annonçait la fin d'une ère d'égoïsme et d'égocentrisme (dont Confessions of a Shopaholic serait l'emblème), ce serait déjà ça de pris.

Mais, ah! les femmes et leurs chiens... Plus ça va, plus je vais finir par croire que ce sont les femmes qui ont domestiqué les chiens.

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2009-02-14

 

Les carnets de Léonard

Léonard de Vinci demeure un personnage connu de tous, sans doute parce qu'il est devenu l'archétype du précurseur, de l'inventeur visionnaire en avance sur son temps et de l'esprit universel de la Renaissance. Beaucoup de choses pour un seul homme.

Comme inventeur, on trouve beaucoup de ses croquis, schémas et calepins sur internet. Ce plan de cours, par exemple, ou cette exposition consacrée au Codex Atlanticus de la Bibliothèque Ambroisienne, qui inclut plusieurs reproductions de pages manuscrites de Léonard. En fait, les expositions virtuelles ne manquent pas, dont celle-ci qui date de 2006, celle-ci qui remonte à 1997, celle du Musée national de la science et de la technologie à Milan, le château du Clos-Lucé à Amboise ou le musée léonardien à Vinci, et la plus récente est sans doute celle qui a ouvert le 31 janvier dernier au musée de l'air et de l'espace de San Diego. (Encore que la page d'accueil illustre la prétendue bicyclette de Léonard, dont l'attribution au génie italien semble plus que douteuse. Comme quoi beaucoup de légendes continuent à circuler...)

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2009-02-13

 

Le festin des cannibales

L'auteur ontarien Wayland Drew (1932-1998) a débuté sa carrière littéraire de manière frappante en signant The Wabeno Feast en 1973. Le roman incorpore une dimension science-fictive dans la mesure où l'on voit la société canadienne sombrer dans l'anarchie et s'effondrer à une date indéterminée (dans le courant des années soixante-dix, probablement), mais il joue aussi sur le registre fantastique en incluant des personnages qui semblent transcender la mort (et un manuscrit dont la permanence est également instable). Mais il y a place pour l'hésitation, et le fantastique se nourrit aussi du récit encastré d'un négociant écossais de la Compagnie du Nord-Ouest qui se rend dans le nord de l'Ontario en 1785 en compagnie d'un double probablement imaginaire, ainsi que du spectacle d'un festin de mages amérindiens, les wabenos, d'où le titre. Le socle du récit est en apparence parfaitement typique d'une certaine littérature canadienne, une plongée dans le passé d'une petite ville canadienne au bord du lac Supérieur, vouée aux pâtes et papier, dans les années trente et quarante, et illuminée par des réminiscences traitées sur un mode essentiellement réaliste. En même temps, Drew incorpore à la trame du roman le témoignage d'un négociant au temps de la traite des fourrures, une époque traitée comme constitutive de l'histoire et de la culture canadienne au début du vingtième siècle — est-ce un hasard si cet Écossais égaré dans le nord de l'Ontario, Drummond MacKay, a pour prénom le nom de William Henry Drummond, un poète aujourd'hui oublié mais autrefois canonique, dont les textes s'inspiraient de l'épopée des voyageurs et coureurs de bois en exploitant lourdement le pittoresque de leurs vies et de l'anglais qu'ils estropiaient?

La petite ville en question, Sable Creek, est imaginaire, située quelque part entre Schreiber et Thunder Bay. Le poste de Frog Lake, où aboutit MacKay, est également imaginaire, quelque part entre Grand Portage et le Lac à la Pluie, si j'ai bien suivi. Mais si Drew commence par explorer des thèmes familiers, il surprend ses lecteurs en faisant tout sauter! La petite ville si prosaïque n'est que le prologue à un cataclysme qui menace les certitudes de notre civilisation, tandis que le récit du négociant écossais sûr de ses vertus face aux Amérindiens est battu en brèche par la rencontre avec une tribu qui refuse tout contact avec les Européens, tandis que le festin des sorciers, qui mettait en scène la gloutonnerie (en sous-entendant une forme de cannibalisme), l'ivresse du risque et la destruction d'une île, devient la métaphore de toute l'entreprise colonisatrice, voire de toute l'entreprise progressiste et matéraliste de la civilisation occidentale. Car les wabenos ont le teint pâle et des habitudes d'ordre que MacKay ne reconnaît pas aux autres Amérindiens qu'il a côtoyés. Beaucoup plus tard, quand la civilisation s'effondre, Paul Henry de Sable Creek relit le manuscrit de MacKay au fil des étapes de son voyage dans le nord, puis il en brûle les pages.

Le message de Drew est clair. Il faut brûler ce qu'on a adoré et adorer ce qu'on a brûlé. L'ancienne culture du Canada anglais nationaliste a fait son temps; il faut donc réhabiliter la nature qu'on a ravagée et les Premières Nations qu'on a méprisées. Bref, Drew était de son temps et son ouvrage reflète sa conscience de la crise environnementale que l'on commençait à pressentir au tournant des années soixante-dix. Dans une certaine mesure, la science-fiction et le fantastique sont instrumentalisés afin de dynamiter les valeurs sûres d'autrefois; Drew ne s'intéresse que moyennement au futur en tant que tel ou aux sources des phénomènes surnaturels qu'il évoque. Mais l'ouvrage mérite néanmoins l'attention des historiens de la science-fiction au Canada puisqu'il signale une légitimation nouvelle de la science-fiction pour aborder des thèmes majeurs.

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2009-02-12

 

Le Dieu des autobus

Y a-t-il une providence pour les compagnies de transport en commun en ces temps de crise économique? Si oui, elle les oblige sans doute à croire à Darwin et à fêter son deux centième anniversaire de naissance aujourd'hui.

Après l'initiative britannique de placarder un message essentiellement athée sur des autobus, une association canadienne veut prendre le relais. (Pour l'instant, l'Association Humaniste du Québec ne se manifeste pas sur le sujet, encore que j'ai cru entendre des francophones s'exprimer sur le sujet à la radio.) Tout ce qu'il s'agit de faire, c'est d'affirmer qu'il est possible de ne pas croire en Dieu et de vivre sans commettre le mal ou craindre les flammes de l'enfer en essayant de trouver le bonheur. Cela suffit pourtant à blesser des personnes qui ne s'offusquent pas des nombreuses expressions publiques de la foi de telle ou telle personnalité. Les discussions que l'on peut entendre restent d'un niveau assez affligeant, entre ceux qui rejettent la religion en bloc et ceux qui la tiennent pour essentielle aux règles de la morale. Dans les deux cas, les découvertes et observations de la psychologie actuelle invitent à relativiser : la religion reste une consolation incontournable, mais la morale est en partie un inné biologique que nous partageons avec beaucoup d'autres animaux sous ses formes les plus élémentaires.

En guise de conclusion, je signale le colloque « Darwin's Legacy » à l'Université McMaster de Hamilton sur la sélection naturelle comme principe organisateur dans les sciences qui aura lieu en mai. Il rejoindra une longue liste d'événements tenus cette année pour commémorer à la fois Darwin et sa théorie de la sélection naturelle, de l'ouverture d'une exposition aux États-Unis à l'exposition du Museum d'Histoire naturelle à Londres.

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2009-02-11

 

Suicides et pesticides

On a souvent fait état, dans certains milieux, de la recrudescence de suicides parmi les fermiers en Inde, ce qui serait dû à l'appauvrissement entraîné par la conversion de l'agriculture de subsistance à des pratiques industrielles et à la pression exercée par les compagnies semencières et les fabricants d'engrais ou de pesticides. On cite des statistiques apparemment effarantes : 100 000 suicides d'agriculteurs entre 1998 et 2003, motivés par l'endettement; ou 138 000 de 1995 à 2003; ou 180 000 suicides de fermiers et de leurs proches entre 1997 et 2007 selon une autre source... Et on évoque le cas de nombreux patrons et pères de famille qui, incapables de rembourser leurs dettes accumulées, choisiraient de s'empoisonner en utilisant les pesticides qu'ils ont précisément achetés à crédit.

Cependant, il est très difficile d'obtenir des taux fiables pondérés en fonction de la population considérée (sans parler de l'âge ou du sexe). Par exemple, on évalue à 600 millions de personnes la population qui se consacre à l'agriculture en Inde; ailleurs, on parle de 60% d'une population de 1,15 milliards de personnes, ce qui serait plus proche de 700 millions de personnes. Prenons ce total de 180 000 suicides en dix ou onze ans. Si on le rapporte à une population de 630 millions, on obtient un taux de suicide de l'ordre de 2,6 par 100 000 personnes par année.

En guise de comparaison, selon ce rapport (.PDF) de l'Institut de la Statistique du Québec, le taux de suicide des femmes a oscillé entre 5 et 10 par 100 000 au Québec de 1971 à 1995 tandis que le taux de suicide des hommes a grimpé de plus de 15 par 100 000 à plus de 30 par 100 000, durant la même période. À première vue, les Québécois auraient de bien meilleures raisons de mobiliser la compassion du monde...

On tend à suggérer que les statistiques officielles de suicides chez les agriculteurs excluraient les suicides des femmes, des métayers et des journaliers. Certes, ce n'est pas impossible : cet article relève que pour l'Inde entière, les suicides de fermiers représentaient, en moyenne, 15% de tous les suicides enregistrés de 1995 à 2003 — alors que, je le rappelle, la population qui se consacre à l'agriculture représenterait 60% de la population indienne. L'enregistrement des suicides par les policiers ruraux serait donc au cœur du problème. Grosso modo, on peut calculer assez facilement que si le taux de suicide était le même dans le secteur agricole qu'à l'extérieur de ce secteur, il faudrait multiplier par dix le taux de suicide des fermiers et de leurs proches. Dès lors, le taux de suicide serait réellement très élevé, à peu près le double du taux de suicide global au Canada.

Mais tant qu'à faire, on pourrait aussi supposer qu'il est vingt fois plus élevé! En l'absence de données additionnelles, on spécule dans le vide. Il ne s'agit pas seulement de faire dire ce qu'on veut aux statistiques, mais de dire ce qu'on veut à la place des statistiques. À ce jeu, on gagnera toujours. Bref, il existe peut-être une crise agricole en Inde liée à sa modernisation, mais il est très difficile de savoir s'il s'agit d'une crise aiguë, ou d'une mutation qui fait succéder les échecs de gestion dans un nouveau cadre commercial à la misère brute comme mobile de suicide, les totaux restant stables même si les causes changent.

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2009-02-10

 

Les transports d'aujourd'hui et demain

Dans un numéro récent de la revue Corporate Knights, Guy Dauncey évoquait le futur des transports en commun. Un futur plus vert et plus efficace. Comme j'évoquais l'autre jour les carences du nouveau budget Flaherty à ce sujet, j'en profite pour faire le tour des liens les plus intéressants.

Par exemple, Dauncey évoque également les trains à grande vitesse, mais en rêvant d'un réseau pan-canadien, ce qui serait une entreprise pharaonique, et sans doute superflue, tant les distances sont grandes et plus commodément franchissables en avion. Mais il signale le site des partisans canadiens des trains à grande vitesse; malheureusement, c'est un site lourd, gangrené par la publicité et privilégiant les ouvertures de fenêtres superposées. Par contre, c'est un site à jour, qui inclut déjà un lien vers un entretien avec un des nouveaux sénateurs conservateurs. Celui-ci veut militer pour une liaison Québec-Windsor à grande vitesse, mais il admet que le gouvernement Harper ne se laissera pas convaincre facilement, et surtout pas s'il faut envisager tout de suite un tracé aussi ambitieux.

Dauncey relève aussi le lancement prochain du projet Bixi à Montréal, faisant suite au programme Vélib' de Paris. Le partage de voitures fait aussi partie des initiatives qu'il loue, faisant allusion à l'entreprise Communauto de Montréal (et autres lieux au Québec) mais en renvoyant ses lecteurs à ce site qui fait l'inventaire des programmes nord-américains en ce sens.

Dans une veine plus futuriste, Dauncey retient le dirigeable futuriste Aeroscraft, qui tire sa portance autant de son aérodynamique que des gaz contenus dans son enveloppe, sur lequel planchait (jusqu'en 2007 seulement?) cette compagnie.

J'avoue que je retiens d'emblée les projets qui me plaisent le plus, sans doute parce qu'ils correspondent en partie aux solutions que j'ai retenues le plus souvent dans ma fiction. Les vélos à part...

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2009-02-09

 

La fuite de l'année?

Le site Wikileaks annonce l'obtention de 6 780 rapports préparés par le Congressional Research Service, un organisme de la branche législative aux États-Unis. En principe, ces rapports financés par les fonds publics sont réservés aux membres du Congrès, mais ceux-ci ont la permission de les rendre publics s'ils le jugent bon. Il semblerait qu'un élu ou un employé du Congrès ait décidé de jouer la transparence en gros et non plus au détails, ces rapports ayant coûté après tout un milliard de dollars au total, ce qui revient à la coquette somme de 148 000 dollars par rapport.

On trouve naturellement de nombreux rapports qui concernent le Canada. En théorie, les rapports sont censés présenter des informations neutres, sans parti pris, mais il y a toujours moyen de se prononcer si on sait choisir ses mots... Par exemple, ce rapport (.PDF) du 25 mars 2008 porte sur l'état de la réglementation sur les exigences d'entrée aux États-Unis pour les citoyens des pays limitrophes : le Canada, le Mexique, les Bermudes et les nations des Antilles. En particulier, les resserrements successifs pour réclamer de plus en plus souvent un passeport...

L'essentiel du rapport est descriptif et historique. Toutefois, dans la dernière section, on soulève quelques soucis, mais en les écartant aussitôt au nom de la sécurité nationale.

— la duplication de la gestion des passeports, par le département d'État et celui de la Sécurité intérieure? L'inefficacité potentielle et les risques de confusion dans le public ne comptent pas quand on peut invoquer la sécurité du pays : « Others believe that border security is of utmost importance to national security, and that having two agencies with passport responsibilities provides a dual layer of protection. »

— le coût des passeports, qui atteint 100$ par adulte et 85$ par enfant, portant à 370$ le coût d'un voyage à l'étranger à partir du mois de juin 2009 ? Encore une fois, la rédactrice conclut le paragraphe en invoquant la sécurité : « The Department of State says that the current costs reflect the cost of doing background checks and expensive technology involved in securing identities. »

— les coûts imposés à l'industrie du tourisme et aux compagnies qui font des affaires transfrontalières ? Le paragraphe termine en citant le grand manitou de la Sécurité intérieure, sans relever que l'Europe de Schengen se passe de ces contraintes. Encore une fois, la sécurité prime tout (surtout quand on cite le Washington Post, journal de centre-droite de plus en plus droitisant) : « On the other hand, the Secretary of Homeland Security, Michael Chertoff, asserted, “It’s time to grow up and recognize that if we’re serious about this [terrorist] threat, we’ve got to take reasonable, measured, but nevertheless determined steps to getting better security.” »

On a changé d'administration, depuis, mais qu'en est-il des recherchistes?

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2009-02-08

 

Ne pas pousser assez loin...

Le nouveau film de sf du mois, Push, est un produit un peu surprenant. D'une part, les moyens mis en œuvre sont dignes d'un long métrage hollywoodien de première catégorie : quelques noms connus (Dakota Fanning, Djimon Hounsou, Chris Evans), un tournage dans les rues de Hong Kong et un budget qui nous vaut des effets spéciaux efficaces sans être ébouriffants. D'autre part, le scénario...

Ah, le scénario... Comme dans Jumper, on se demande ce que ça leur coûterait de payer un scénariste de plus pour accoucher d'un scénario bien ficelé. L'équivalent du budget de maquillage de Dakota Fanning? La création d'univers est quelconque : le film évoque l'intérêt de plusieurs pays pour les talents paranormaux, en particulier au temps de la Guerre froide, et il postule que ces gouvernements ont élevé en vase clos des personnes dotées de pouvoirs particuliers tout en cherchant à augmenter toujours plus la puissance de ces pouvoirs. Au fil des ans, les survivants de ces programmes ont obtenu de vivre en marge de la société... jusqu'au jour où une cobaye survit à l'injection du sérum censé amplifier ses pouvoirs. Cette Kira (la jolie Camilla Belle) s'enfuit et se retrouve à Hong Kong, en quête d'un vieil ami de cœur du nom de Nick. Là-dessus se greffe une jeune fille précognitive, dont la mère est prisonnière du gouvernement étatsunien, et débute alors une chasse-poursuite pour retrouver l'échantillon de sérum que Kira a dérobé en prenant la fuite.

On croyait les pouvoirs paranormaux périmés, mais pas à Hollywood, de toute évidence. Le film essaie de corser les choses en mettant en scène l'affrontement de deux voyantes qui, en travaillant chacune pour un camp, peuvent faire pencher la balance en déchiffrant correctement le sens des visions qu'elles obtiennent. Le protagoniste essaie de se soustraire à leur surveillance en rédigeant des instructions scellées et en se faisant effacer la mémoire pour que, soudain, personne n'ait plus conscience de préparer un futur spécifique. Ceci peut se justifier, mais le film n'a pas trouvé la formule frappante qui aurait convaincu les spectateurs. C'est encore pire quand le chef des agents chargés de retrouver Kira exerce sur elle son pouvoir de suggestion, celui de « pousser » (d'où le titre du film) des idées dans la tête des autres. Car Kira aussi a ce même don, et n'est-il pas censé être amplifié par le sérum qu'elle a pris? Mais son ennemi la convainc qu'elle est une agente double sans difficulté apparente... Plus tard, Chris lui fournit une preuve du mensonge qu'on lui a fait avaler, mais, à l'ère de Photoshop, elle n'est pas très convaincante. N'aurait-il pas été plus simple pour Kira de prendre de vitesse son ennemi en le persuadant qu'il l'avait déjà persuadée?

Sinon, c'est le style du film qui détonne un peu, car Push n'est pas du tout filmé comme un film de superhéros étatsuniens. Il rappelle beaucoup plus nettement la narration baroque des films d'action asiatiques, fantastiques ou non, et je ne crois pas que ce soit seulement le résultat du décor. Toutefois, ce goût d'un certain clinquant superficiel et de notes comiques toujours à la limite de l'incongruité, contrairement à l'esprit habituel des dramatiques hollywoodiennes, l'apparenterait plutôt à un certain genre de film de série B. Du coup, on a du mal à se positionner. On est à un doigt du pastiche, comme dans Ultraviolet, mais on ne verse jamais dans le psychotronique pur comme dans Truffe. En fin de compte, il manquait sans doute à Push la note d'émotion qui a permis à certains films de superhéros (comme The Incredible Hulk) de pousser un peu plus loin.

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