2009-05-22

 

Questions sur les subjectivités collectives

La montagne est-elle plus propice à la concentration qu'à la dissipation? Tout dépend du paysage. Au saut du lit, je prends quelques photos des environs et je m'élance sur les pentes qui surplombent le village afin de cadrer le village dans son environnement montagnard, à près de 1500 mètres d'altitude. De toute évidence, un cadre trop agréable risque d'être une source de distractions si on est sensible à ses attraits...Au programme, des tentatives de mieux cerner le concept de subjectivité collective dans ses rapports potentiels avec l'histoire, la société, la littérature et la politique. Tout d'abord, Serge Lehman prend la parole pour introduire le premier sujet de la matinée, « Subjectivités collectives et naissance d'un genre ». Relativement à la constitution de la science-fiction comme genre, Lehman rappelle l'article de Maurice Renard sur le merveilleux scientifique dans Le Spectateur en 1909 (voir la version anglaise d'Evans), où il propose un nouveau type de roman (ouvert sur l'inconnu, le douteux, l'inexpliqué), mais la critique ne suit pas. D'autres observateurs de la même époque (voir cette bibliographie), dont Alfred Jarry qui écrit dans La Plume en 1903 un article intitulé « De quelques romans scientifiques » (voir aussi Le Surmâle de lui, dit « néo-scientifique »), dont Hubert Matthey qui signe en 1915 un Essai sur le merveilleux dans la littérature française depuis 1800 et même Freud, qui aurait parlé de féerie « scientifique ». La question qui se pose, c'est donc de savoir si les auteurs de la première vague du roman scientifique se rattachent à un groupe social lié aux nouvelles sciences et techniques partageant une subjectivité collective? À bien des égards, la période inaugurée par Renard et prolongée par Gernsback met en place la sensibilité de la science-fiction moderne. Mais le contexte historique est une arme à double tranchant. Au siècle de Nietzsche et Freud, quand les dieux ont déserté la culture occidentale, la science-fiction, par trop eschatologique, surhumaine et métaphysique, aurait-elle été rejetée comme trop adolescente? Aujourd'hui, se pourrait-il que la culture et la science-fiction réintègrent aujourd'hui la métaphysique, voire la théologie?Après la pause, Simon Bréan a pris le relais en discutant la question suivante : « Les mythes sont-ils une physique sociale? ». Il commence par poser que les mythes prennent la forme de récits, mais peuvent être représentés sous la forme de statues ou de pièces de théâtre; un mythe ne se résume pas à un traitement spécifique. Où commence et finit le mythe? Les mythèmes (Lévi-Strauss) sont les éléments irréductibles, constitutifs d'un mythe; les mythes s'entre-croisent (Pégase entre Persée et Bellérophon); dans la mythologie grecque, les récits sont harmonisés et forment un tout cohérent (une gigantesque histoire), mais dont certains épisodes sont contradictoires. Bréan recense quatre variétés de mythes : (i) les mythes métaphysiques, explicatifs, des origines, sotériologiques; (ii) les mythes légendaires présentant des figures pseudo-historiques et historiques (comme dans les romans de chevalerie); (iii) les mythes littéraires présentant des figures ayant acquis une autonomie par rapport à leurs textes d'origine; et (iv) les mythes abstraits (l'éternel féminin, l'American Way of Life, la toute-puissance de la science). Ces mythes fournissent des réponses ou répondent à des inquiétudes, sont très largement connus et sont partagés par les individus d'une culture donnée, échappant généralement au contrôle et à la censure d'un groupe unique (sauf dans le cas des religions instituées). Or, les subjectivités collections se réalisent dans la communication, le partage, l'échange d'affects communs (par opposition à de purs échanges d'informations); ceci devrait inclure des micro-récits mythiques destinés à combler les brèches dans la représentation du monde du groupe en question. Par conséquent, les mythes sont pris dans une relation dynamique, évoluant à la fois en chaque subjectivité et à chaque échange entre les subjectivités. Par contre, les mythes se distinguent parce qu'ils sont partageables par tous les milieux et s'imposent aux individus; ils font partie d'un paysage commun qu'il est intellectuellement coûteux de remettre en cause et ils sont donc source de plaisir parce qu'ils procurent des réponses commodes et rapides. Dans ce cas, peuvent-ils être compris comme une physique sociale : ont-ils une portée prescriptive? peuvent-ils nous fournir des indications sur les règles sociales des groupes qui les ont produites?

Une source contemporaine de mythes serait la science-fiction qui, en tant que processus collectif d'élaboration d'images et d'idées, est la source et la chambre d'écho de mythes contemporains. Par mythe issu de la science-fiction, on entendrait toute images ou notion qui dépasse le cadre d'une œuvre particulière et qui se matérialise de manière incontrôlée. Par exemple, la science-fiction dote l'extraterrestre de caractéristiques matérielles (être vivant, avec ses règles biologiques et sociales) qui en font l'étranger par excellence, l'Autre, parfois dangereux, qui nous sert un reflet déformant de nous-mêmes. L'extraterrestre est parfois un rival, un interlocuteur ou un sauveur, mais il peut devenir aussi un élément subversif (agissant souvent de l'intérieur) ou un reflet symbolique. Durant la discussion qui s'ensuit, Roland Wagner cite Michel Meurger, pour Alien Abduction, sur les extraterrestres et la croyance aux enlèvements qu'ils opéreraient...Au retour du repas, Roland Wagner a abordé le sujet intitulé « Littérature, fiction et psychanalyse ». Il a fourni une brève introduction avant d'ouvrir la discussion. En fin d'après-midi, Ugo Bellagamba demande « Qu'est-ce qu'une communauté politique ? ». Il suggère qu'en comprenant la nature d'une communauté politique, on a des chances de mieux comprendre la science-fiction... Malheureusement, mes notes s'arrêtent à cet endroit. Néanmoins, il s'agissait aujourd'hui de savoir si la notion de subjectivité collective pouvait éclairer l'histoire et la politique? Cette question siamoise est sans doute celle que je retiens le plus volontiers de la journée : autrement dit, les subjectivités collectives sont-elles des agents et acteurs historiques? L'essai de Klein refusait de s'engager sur une hiérarchisation des subjectivités collectives et semblait suggérer que rien ne distinguait en soi une subjectivité collective d'une autre, sauf le degré de la relation au monde des entités concrètes. Qu'est-ce que cela sous-entend pour les situations historiques qui ont vu des groupes sociaux s'affronter (Européens et Américains après la rencontre colombienne) ou des mouvements politiques rivaliser (capitalisme, communisme) ?

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Comments:
Je serais pas mal distraite aussi au milieu d'un tel paysage. Bel endroit pour tenir un congrès Boréal!
 
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