2009-02-22

 

Science-fiction à très petite distribution

En janvier 1998 (année décidément faste pour la science-fiction à l'université au Canada), Marc Provencher (né en 1963) remettait un travail de thèse de maîtrise en création littéraire. Intitulé Poussières d'empire (farce de science-fiction) / Autour de Poussières d'empire (dossier d'accompagnement) , il combinait une longue nouvelle de science-fiction avec une analyse des procédés littéraires à l'œuvre dans le texte.

Le début est un peu cahoteux, mais la nouvelle s'avère passionnante, en particulier par son maniement de la langue qui donne vie à un monde où la pollution est devenue un état de nature. En lisant, je me suis souvenu des qualités de certains textes signés par Jean Barbe et Marc Provencher dans les années quatre-vingt. Prenons ce passage en page 23:

Entre le silence des agglucités désertes et la fixité taciturne de mes mégardiens, je me retrouve seul face à la rature. De loin en loin, je stoppe les machines et, ventousé à la rambarde de l'égout, je m'abîme dans la contemplation d'une putrine bouillonnante, d'un cimetière de métaux, d'un dépotoir aux profondeurs insondables, d'un méthang où batifolent les récureuils. Je médite sombrement en scrutant, au loin, l'oléan démonté par une tempête de poussière, je me recueille devant nos millionnaires amas de détritus, dont le nombre et le volume — je le signale avec inquiétude — ne cesse de diminuer sous l'action des équipes de vermineurs chargés de la cueillette des munitions. Je fixe des dizaines d'yeux sur l'horizon dans l'espoir bien mince de voir surgir la Grande Coquerelle, incarnation mythique de notre divinité.
L'idée d'une civilisation née dans les déchets de la précédente n'est pas neuve, mais elle est portée à un point paroxystique par Provencher. Comme il l'explique lui-même, il se fie surtout à la logique interne et aux connotations de ses néologismes pour évoquer ce monde futur, car ce qu'il en décrit directement n'est guère convaincant du point de vue de la science-fiction, mais l'allégorie reste valable. Le narrateur a découvert la vérité sur l'humanité qui a mis en place les conditions nécessaires à l'avènement d'une nouvelle espèce, la sienne, et il finit par admettre sa dette envers les humains de jadis :

Car s'il nous apparaît illogique qu'une espèce ne supportant pas les radiations se soit mise à en émettre à une fréquence industrielle, et s'il est certes peu reluisant d'avoir pour origine mutancestrale une forme plus fragile encore que toutes celles que nous avons empirées jusqu'ici hormis les nitouchables d'Opopanax, il n'en reste pas moins que c'est à l'humanité, lointaine et pourtant si proche, que nous devons tous nos fulgluants panoramas : la douceur quiète des brumes méthaniques, le miroir des oléans, le picotement revigorant des pluies sulfuriques et chlorhydriques, les riches gisements de croupines et de cloartz, le chant de l'oxydon dans les profondeurs ocres du rouillis... tant de merveilles encore ! Et où aurions-nous puisé les munitions qui nous ont permis d'empirer nos premières galaxies?
Car la pollution est devenue l'arme secrète des successeurs de l'humanité sur Terre, qui vont finir par découvrir toutefois qu'elle n'est pas une ressource renouvelable...

Depuis, Provencher a livré un recueil, Treize contes rassurants (2007), qui ne semble pas comprendre le texte en question à en juger par les résumés fournis et la longueur probable des contributions. Sa parution a rafraîchi la mémoire à au moins une ancienne connaissance de l'auteur qui signe un excellent billet sur leur première rencontre. Cet Eric McComber (né en 1964) est lui-même un homme-orchestre devenu auteur sur le tard, y compris d'un roman, Antarctique (2002), qui touche à l'anticipation politique et qui lui valait d'être salué comme un porte-parole de la jeunesse québécoise (à trente-huit ans et plus... ce qui me fait me sentir plus jeune, tiens).

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