2008-11-27

 

Nudité publique

Dans le New York Times d'aujourd'hui, un article examine les attitudes scandinaves face à la sexualité en concluant sur la visite d'un parc meublé de statues dénudées qui n'attirent aucunement l'attention des passants — contrairement à ce qui se passerait aux États-Unis, selon le journaliste, où ce serait scandaleux. Pourtant, ce ne fut pas toujours le cas. Au dix-neuvième siècle, l'art sculptural n'hésitait pas à exhiber le corps dans toute sa splendeur, qu'il soit sur la place publique, dans les institutions ou dans les foyers. C'est cette production qui exigeait l'emploi de modèles comme la jeune Trilby du roman éponyme dont j'ai déjà parlé. En visitant Albany, je suis passé par le musée des beaux-arts, dont la collection permanente inclut une copie (?) d'une sculpture célèbre d'Erastus Dow Palmer, The White Captive (1858). Ma photo reproduite ci-contre ne lui rend pas justice. Pour l'admirer (ou se rincer l'œil), on cliquera plutôt sur cette page du Metropolitan Museum of Art à New York. Cette jeune fille (adolescente?) attachée par les poignets à un tronçon d'arbre est une prisonnière des « Sauvages », dont les enlèvements avaient suscité dès le dix-septième siècle les « histoires de captivité indienne », une littérature nord-américaine sensationnelle et complaisante qui diabolisait les ravisseurs autochtones (en jouant sur les stéréotypes sexuels d'une manière rappelant fort l'orientalisme contemporain) et renforçait la définition des rôles sociaux de chaque sexe. De nos jours, une telle statue relèverait de la pornographie juvénile, à peu de chose près... On se demande quels rapprochements l'amateur d'art de l'époque était porté à faire avec les captives noires du Sud esclavagiste contemporain, surtout que le pendant de cette statue représentait une captive amérindienne...

De nos jours, l'opinion s'opposerait aussi à la mise en scène d'une femme-objet exhibée dans une relation d'infériorité signifiée non seulement par sa nudité mais par son statut de captive. La preuve, c'est que j'ai tout de suite songé à une sculpture semblable aux seins nus, celle de la martyre Margaret Wilson qui était exhibée au collège Knox de l'Université de Toronto et qui a été déplacée vers 1992 parce qu'elle gênait les sensibilités féministes, entre autres. (D'abord déménagée dans un endroit du collège réservé aux seuls membres, elle aurait retrouvé une certaine visibilité publique, mais pas dans un endroit aussi passant qu'à l'origine...) On notera que la statue de Margaret Wilson est plus modeste que celle de la captive blanche de Palmer, mais les deux remontent à la même époque. Selon une note parue dans le Presbyterian Record en janvier 2001, la statue de Wilson (acquise par le collège Knox en 1938) serait l'œuvre de Charles Bell Birch (1832-1893). Néanmoins, la valeur historique ou artistique n'est plus une excuse suffisante aujourd'hui, apparaissant comme de vulgaires prétextes déguisant mal les intentions qu'un point de vue actuel peut mettre... à nu.

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