2008-11-07

 

Jean Charest, néo-conservateur?

Après les émotions, les rebondissements et le suspense des élections aux États-Unis, il faut bien redescendre sur Terre et s'intéresser aux élections québécoises, même si elles promettent d'être à peine moins douloureuses pour l'intelligence et le sens critique que les élections canadiennes. C'est le devoir du citoyen, après tout.

Mais le citoyen doit-il participer à la chose politique? Examinons donc le discours de Jean Charest dans toute son intertextualité... Pour lancer sa campagne, Charest a répété dans un discours qu'il fallait une seule autorité à la barre du navire de l'État : « Pour traverser cette crise, le Québec doit se donner un gouvernement qui tient fermement le gouvernail », « L'enjeu de cette élection est clair : quel parti a l'équipe, la compétence et le plan pour tenir le gouvernail pendant cette période de tempête? », « Seul le Parti libéral du Québec a la compétence, l'expérience, lavision et l'équipe pour tenir le gouvernail en période de tempête. »

Il a ensuite enfoncé le clou avec une belle image : « Les Québécois savent aussi que pendant une tempête, il ne devrait pas y avoir trois paires de mains sur le gouvernail. »

La comparaison de l'État à un navire est fort ancienne. Platon l'emploie plus d'une fois dans ses réflexions. Ainsi, dans Le Politique (.PDF), il compare les meilleurs chefs d'État aux pilotes sagaces : « Comme le pilote, toujours préoccupé du salut de son navire et des passagers, sans écrire des lois, mais en se faisant une loi de son art, conserve ses compagnons de voyage ; ainsi, et tout pareillement, l’État serait prospère, s’il était administré par des hommes qui sauraient gouverner de cette manière, en faisant prévaloir la puissance supérieure de l’art sur les lois écrites»

Mais ce n'est pas seulement un éloge de l'instinct ou du talent inné pour le gouvernement des États, c'est aussi une condamnation des cadres législatifs et du gouvernement par la masse, car Platon déplore aussi les catastrophes arrivées aux navires gouvernés par des ignorants : « Car il y a un temps infini que les États sont en butte à ces maux, et l’on en voit cependant quelques-uns rester debout, stables et fermes. Beaucoup, il est vrai, submergés comme des navires que l’eau envahit, périssent, ont péri ou périront par la sottise des pilotes et des matelots, qui n’ont en partage sur les plus grandes choses que la plus grande ignorance, et qui, les plus étrangers du monde à la politique, se persuadent que c’est de toutes les sciences celle qu’ils possèdent le mieux. »

L'allégorie est encore plus claire dans le Livre VI de La République, où Platon montre les matelots ignorants tombés sous la coupe de beaux parleurs qui dédaignent le vieux patron qui tient le gouvernail :

« Imagine donc quelque chose comme ceci se passant à bord d'un ou de plusieurs vaisseaux. Le patron, en taille et en force, surpasse tous les membres de l'équipage, mais il est un peu sourd, un peu myope, et a, en matière de navigation, des connaissances aussi courtes que sa vue. Les matelots se disputent entre eux le gouvernail : chacun estime que c'est à lui de le tenir, quoiqu'il n'en connaisse point l'art, et qu'il ne puisse dire sous quel maître ni dans quel temps il l'a appris. Bien plus, ils prétendent que ce n'est point un art qui s'apprenne, et si quelqu'un ose dire le contraire, ils sont prêts à le mettre en pièces. Sans cesse autour du patron, ils l'obsèdent de leurs prières, et usent de tous les moyens pour qu'il leur confie le gouvernail; et s'il arrive qu'ils ne le puissent persuader, et que d'autres y réussissent, ils tuent ces derniers ou les jettent par-dessus bord. Ensuite ils s'assurent du brave patron, soit en l'endormant avec de la mandragore, soit en l'enivrant, soit de toute autre manière; maîtres du vaisseau, ils s'approprient alors tout ce qu'il renferme et, buvant et festoyant, naviguent comme peuvent naviguer de pareilles gens ; en outre, ils louent et appellent bon marin , excellent pilote, maître en l'art nautique, celui qui sait les aider à prendre le commandement — en usant de persuasion ou de violence à l'égard du patron — et blâment comme inutile quiconque ne les aide point : d'ailleurs, pour ce qui est du vrai pilote, ils ne se doutent même pas qu'il doit étudier le temps, les saisons, le ciel, les astres, les vents, s'il veut réellement devenir capable de diriger un vaisseau ; quant à la manière de commander, avec ou sans l'assentiment de telle ou telle partie de l'équipage, ils ne croient pas qu'il soit possible de l'apprendre, par l'étude ou par la pratique, et en même temps l'art du pilotage. Ne penses-tu pas que sur les vaisseaux où se produisent de pareilles scènes le vrai pilote sera traité par les matelots de bayeur aux étoiles, de vain discoureur et de propre à rien? »

Bref, chez Platon, le peuple ne doit pas se mêler du gouvernement du navire, ou de l'État. En ce qui concerne Jean Charest, qui trahissait peut-être l'affinité des néo-conservateurs aux États-Unis pour le parti pris aristocratique de Platon, on peut quand même se demander s'il prétend être le pilote expérimenté qui doit garder la barre malgré la démagogie et le populisme de ses rivaux, sans se soucier de l'avis des citoyens, ou s'il fait partie des chevilles ouvrières au service d'une mainmise par la foule ignare...

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