2008-09-18

 

Des hordes d'ingénieurs?

De temps en temps, au nom de la compétitivité de nos économies, on se fait dire que les États-Unis ou les pays occidentaux sont menacés par les hordes de nouveaux ingénieurs éduqués en Chine et en Inde. Par exemple, le site du documentaire étatsunien Two Million Minutes affirme que « Compared to the U.S., China now produces eight times more scientists and engineers, while India puts out up to three times as many as the U.S. ». Mais est-ce bien le cas? Et est-ce réellement grave?

Les totaux actuels peuvent s'avérer inquiétants pour l'avenir, mais, dans les deux cas, il est permis de croire qu'ils représentent des chiffres atteints récemment, au terme d'une augmentation rapide de la population et d'une modernisation récente des systèmes d'enseignement. Par conséquent, ils n'affecteraient que modérément le total des ingénieurs en activité dans chacun de ces pays ou la qualité moyenne de la formation de ces ingénieurs.

Cela dit, les chiffres bruts restent impressionnants. En 2006, selon les statistiques chinoises, ce seraient 1 992 426 jeunes Chinois qui auraient entamé des études en génie.

Toutefois, un rapport (.PDF) étatsunien qui s'est penché sur le sujet des taux de diplomation d'ingénieurs en Chine, en Inde et aux États-Unis a souligné qu'il fallait distinguer le nombre d'ingénieurs de plein droit, émoulus d'un programme universitaire de quatre ans, et le nombre d'ingénieurs et de techniciens issus de programmes plus courts. Ainsi, des 644 106 diplômes décernés en Chine en génie en 2004, on ne pouvait retenir que 351 537 diplômes comparables aux diplômes des ingénieurs aux États-Unis. Du coup, les quelque 137 000 ingénieurs diplômés aux États-Unis ne faisaient pas si mauvaise figure (tout en notant qu'un certain nombre étaient sans doute originaires de Chine!).

Une étude de l'OCDE pour 2004 a renseigné un tableau disponible sur un site des États-Unis qui fournit des données sur les diplômés dans plusieurs disciplines pour les pays de l'OCDE. En tenant compte des données du rapport de l'Université Duke, j'ai tiré de ce tableau les statistiques pour quelques pays choisis et j'ai rapporté les totaux approximatifs de diplômés en sciences et génie à la population de chaque pays. Ainsi, dans le diagramme ci-dessous, on trouve le nombre de diplômés par 100 000 personnes dans chacun des pays considérés pour les secteurs indiqués.

Il convient tout d'abord de noter que pour l'Inde et la Chine, les chiffres correspondent aux ingénieurs issus de programmes de quatre ans et ils pourraient comprendre un certain nombre d'informaticiens. Au Japon, les mathématiciens et les informaticiens seraient inclus avec les scientifiques. Les autres données sont-elles comparables? Il faut faire confiance aux enquêteurs et statisticiens de l'OCDE...

Néanmoins, si on admet que ces résultats sont approximativement comparables, on peut se poser des questions sur la valeur du nombre de diplômés en génie comme indicateur de la compétitivité de nos économies du savoir. Relativement à la population, certains pays (la France et le Japon) font nettement mieux que les États-Unis quand il s'agit de former des ingénieurs, mais leur performance économique reflète-t-elle vraiment cet avantage? Inversement, un pays comme l'Allemagne compte nettement moins d'ingénieurs par habitant (quoique autant qu'au Canada ou aux États-Unis), mais il jouit d'une réputation établie pour ses produits de haute technicité. L'entrepreneuriat et le développement de nouvelles industries ne dépend donc pas seulement du nombre d'ingénieurs; le cas de la France suffirait sans doute à le prouver!

La masse des ingénieurs et des scientifiques en Inde et en Chine représente une proportion assez basse de leur population. Dans des pays où l'amélioration des seules infrastructures pourraient absorber de nombreux ingénieurs, il est loin d'être clair que les chiffres bruts soient vraiment inquiétants — à court terme... Si ces ingénieurs travaillent sur les infrastructures de leurs pays, ils ne concurrenceront pas les activités de recherche et de développement dans les pays occidentaux (du moins, tant que ceux-ci n'auront pas entrepris la réfection de leurs propres infrastructures vieillissantes!). Mais s'ils sont embauchés pour la recherche et le développement, ils ne pourrait pas travailler sur les infrastructures de leurs pays, qui resteront handicapés par des carences dans ce domaine...

Néanmoins, si le rattrapage chinois et indien se poursuit, les totaux deviendront si grands qu'il suffirait de distraire un petit pourcentage des ingénieurs disponibles pour rivaliser avec l'ensemble des efforts nord-américains et européens. Le retard nord-américain continue donc d'inquiéter, comme le démontre ce rapport (.PDF) de la société RAND.

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