2008-04-03

 

L'âge d'or du roman pour jeunes

Et si nous vivions un âge d'or du roman pour la jeunesse? Outre le succès phénoménal de la série des Harry Potter, les jeunes lecteurs peuvent se mettre sous la dent un riche assortiment de romans pour jeunes qui sont palpitants, soigneusement imaginés ou authentiquement émouvants. La série des orphelins Baudelaire de Lemony Snicket, ou la trilogie His Dark Materials de Philip Pullman, offrent des récits bourrés d'idées et fort complexes. En français, j'ai beaucoup aimé les aventures d'Alaët de Laurent Genefort et, malgré quelques réserves, ou le voyage au pays de Montnoir de Christiane Duchesne. La prose des auteurs est souvent sans concession — car si l'on décrie parfois la qualité de l'écriture de Rowling et des autres écrivains pour jeunes, il faudrait quand même comparer ce qui se fait aujourd'hui au style nettement plus puéril des romans de la série de Narnia de C. S. Lewis avant de débiter des sottises. Pour des lecteurs du même âge, Rowling et les autres signent des textes beaucoup plus riches, et souvent plus nuancés aussi. Et China Miéville n'est pas une exception, sauf peut-être en ce qui concerne la nuance. Car Miéville est aux antipodes de Lewis sur le plan idéologique et politique, mais il s'en rapproche sur celui de la conviction. Et, s'il m'a soutenu à l'occasion d'un congrès Readercon qu'il n'y avait pas d'allusion politique dans The Scar, il lui sera difficile de nier les allégories politiques présentes dans Un Lun Dun.

Mais c'est un des seuls reproches qu'on peut lui faire. Miéville s'amuse à déjouer les attentes de ses lecteurs. Au début, on croit se retrouver dans une histoire de personne élue et de quête à mener. À Londres, il y a deux amies, Deeba et Zanna, qui mènent une vie parfaitement ordinaire. Des animaux et d'étranges personnages commencent à témoigner un intérêt déplacé pour Zanna, qu'ils interpellent en l'appelant « Shwazzy », c'est-à-dire la « Choisie ». Zanna et Deeba finissent par basculer dans un Londres parallèle, où la magie permet tout ce que l'imagination peut concevoir. (J'ai songé au pays de Rêverose dans les aventures d'Olivier Rameau, ou un peu aux romans de Laurent McAllister.) Toutefois, la prophétie qui prédit le triomphe de Zanna contre le grand ennemi de la ville d'Un Lun Dun, Smog, éprouve vite des ratés. Zanna se fait malmener et les deux amies reviennent de justesse dans le Londres familier qu'elles ont quitté.

Puisque Zanna souffre d'une amnésie partielle, Deeba, l'amie négligée, va prendre le relais, de sorte que ce ne sera pas la « Shwazzy » qui sauvera Un Lun Dun, et ce ne sera pas en suivant la prophétie à la lettre, une étape à la fois. C'est la principale audace de Miéville, qui flatte quand même les prédilections du public en donnant à Deeba un pistolet fort peu orthodoxe qui sera l'arme décisive contre Smog.

Toutefois, les jeunes lecteurs aiment souvent que les choses soient claires et Miéville n'explique jamais pourquoi le livre parlant (ah, Zelazny...) qui renferme de nombreuses prophéties a parfois raison, et parfois non. C'est plus réaliste, sans doute, mais Miéville ne mise pas là-dessus et n'explique pas que tous les livres contiennent des erreurs, des approximations, des omissions, des informations périmées, parce qu'il arrive aux auteurs d'être mal lunés, distraits, mal informés, etc. J'ignore si les jeunes lecteurs seront sensibles à de telles failles, mais le reste du roman est narré avec beaucoup d'énergie, d'inventivité et aussi de tendresse.

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