2008-03-27

 

L'Empereur et le fonctionnaire

Dans son nouveau roman Birthstones (Robert J. Sawyer Books, 2007), Phyllis Gotlieb continue à explorer l'univers de GalFed, la fédération galactique qui s'étend sur de nombreuses planètes et inclut plusieurs espèces intelligentes. Comme cela fait quelques années que je n'ai pas lu un de ses livres, j'ai du mal à rattacher celui-ci aux ouvrages précédents. Je crois bien qu'on a déjà visité Barrazan V, mais Shar, c'est moins clair... En revanche, on croise des représentants d'espèces connues, dont Rengha, qui est une Ungrukh, c'est-à-dire un grand félin intelligent originaire d'un monde auquel Gotlieb avait déjà consacré une trilogie. Mais les principaux protagonistes de ce livre sont soit des humains, comme l'Observateur Delius qui travaille pour GalFed, et des Shar ou Meshar, membres d'une espèce extraterrestre native de la planète Shar. Cette espèce se distingue par son pelage et son pouvoir de téléportation qui se déclenche sous l'empire d'émotions fortes. Sur Shar, une mutation presque universelle a fait de la plupart des femmes des êtres anencéphales, si j'ai bien compris, et qui ne sont guère plus que des corps capables d'enfanter. Mais, sur Barrazan V, les Meshar venus de Shar ont encore des femmes qui sont les égales des hommes et GalFed entreprend, avec le soutien de l'Empereur élu Aesh, de rendre aux peuples de Shar des femmes autonomes et physiquement pareilles aux hommes.

Mais le projet est victime d'un attentat à la bombe qui tue la plupart des femmes Meshar venues de Barrazan V à l'exception de Ruah, qui a tout juste le temps de se téléporter à l'extérieur du complexe bio-médical. Dégoûtée, Ruah rejette le projet de GalFed et fuit les tentatives de la retrouver. Mais elle est finalement capturée par les mercenaires de l'ancien propriétaire de Xanthrotek, qui a d'étranges vues sur elle... Pendant ce temps, la situation politique d'Aesh sur Shar est compliquée par l'échec du projet et il doit aussi faire face à des attentats dont il ignore l'origine... Enfin, l'Observateur Delius dont la femme a été blessée dans l'attentat tente de comprendre ce qui lui arrive et il finit par se faire renvoyer sur Shar afin de témoigner du soutien de GalFed au projet...

Gotlieb approfondit une thématique qu'elle maîtrise de plus en plus, car, depuis Sunburst (1964), elle a souvent écrit sur des personnages estropiés, infirmes ou marginalisés en raison de leurs singularités physiques. Le sens de ce choix de thématique n'est pas toujours clair, mais il peut sembler fondamentalement canadien. La seule survie est parfois un triomphe. Et les personnages de Gotlieb en font plus. En dépit des obstacles matériels à leur accomplissement en tant qu'individus (je songe ici à un personnage de robot dans une nouvelle de Gotlieb), ils parviennent à leurs fins. Dans Birthstones, c'est tout un peuple — représenté par Aesh — qui hésite entre le statu quo et un futur incertain. Ce n'est pas entièrement neuf chez Gotlieb : cela me rappelle une de ses nouvelles que j'ai lue dans une anthologie en espagnol, il y a longtemps, car la nouvelle avait été publiée dans les années soixante. Néanmoins, ce choix a quelque chose de fort dérangeant, car il pose aux lecteurs des questions existentielles. Et c'est le courage exigé par le traitement de ces thèmes qui fait toute la grandeur de la science-fiction de Gotlieb.

Gotlieb a toujours écrit comme une poète. Chaque mot compte double, et on peut lire entre les lignes des dissertations complètes. Certaines parties de l'histoire ne s'en portent que mieux. Les vertus de l'économie narrative sont souvent sous-estimées... mais les vertus de l'explicitation le sont aussi. Ainsi, j'ai été ému et touché par l'histoire d'Aesh, qui tient lieu de cœur du roman. Mais il m'a parfois manqué quelques paragraphes supplémentaires d'explication, qui auraient conféré à l'univers des profondeurs supplémentaires, même factices, et qui auraient clarifié certains des enjeux. Je garde toutefois de ma lecture le souvenir de scènes comme seules un auteur de science-fiction peut en imaginer, poignantes et exotiques, ordinaires et incroyables, cruelles et beaucoup trop familières.

Libellés : ,


Comments: Publier un commentaire

<< Home

This page is powered by Blogger. Isn't yours?