2008-03-28

 

Emmanuel Jouanne (1960-2008)

Ici-bas, le monde est un peu plus terne, un peu plus ennuyeux. Jouanne est mort et il ne pleuvra plus dans les astronefs... Je n'aime pas parler de série noire quand les auteurs de science-fiction s'éteignent. Statistiquement parlant, étant donné le nombre sans cesse croissant d'auteurs de science-fiction dans le monde, il est quand même inévitable que des auteurs connus et moins connus disparaissent — la preuve, le grand auteur chilien Hugo Correa (1926-2008) est mort dimanche (il avait le même âge que Phyllis Bloom Gotlieb). Mais que Clarke et Jouanne meurent le même mois, à quelques jours d'intervalle, cela fait beaucoup. Beaucoup de cruauté.Et pourtant, c'étaient deux auteurs aux antipodes, à l'exception peut-être de leur choix d'un certain isolement, Clarke sur son île et Jouanne dans sa campagne. Et peut-être de leur choix d'écrire de la science-fiction sans avoir (trop) honte du terme. Et peut-être de leur génie. Mais le génie avait pris des formes différentes chez chacun d'eux. Jouanne était l'écrivain, et aussi le rêveur de chats. Il avait le courage de ses obsessions, de ses folies. S'il poursuivait une idée, c'était sans la moindre référence à autrui ou à autre chose. Cet irrespect fondamental des conventions était essentiel à son art (mais on ne tranchera pas aujourd'hui entre l'art qui est grand parce qu'il est libre et l'art qui est grand parce qu'il choisit de limiter sa propre liberté). Il faut relire Jouanne pour les phrases que cette liberté lui permettait d'écrire, et d'aligner, et de recommencer. Seulement, la liberté, dans ses infinies errances, ne renvoie parfois qu'à elle-même. L'aller ne peut se libérer du retour.Je reste sur le souvenir de ma seule rencontre avec Jouanne, à la Convention mondiale de La Haye en 1990. Dans une salle du centre des congrès, la délégation française s'était rassemblée et Jouanne trônait parmi eux, cigarette à la main, pieds nus...Il me semble qu'il portait quelque chose de noir et de brodé, peut-être un bijou ou deux aussi, mais rien qui ne l'empêchât de paraître, lui le plus auteur de tous, complètement déplacé au sein des auteurs et lecteurs réunis à La Haye, fans et professionnels qui vivaient leur passion sans se départir des habillements les plus conventionnels. Il avait trente ans, ressemblait à un elfe vieillissant banni de Féerie et s'était montré encourageant (dans le genre dictatorial) pour son jeune interlocuteur canadien. Je me promets de le relire, pour le plaisir des mots et la douleur de l'absence.

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Comments:
Je n ai aime que la première nouvelle de 'cruautes', peut être l écrit le plus authentique, le plus émouvant, d' un homme qui voulait être un autre
 
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