2008-02-21

 

Le Nouveau Déluge

Retour sur la science-fiction d'hier...

Noëlle Roger.
Le Nouveau Déluge.
Paris : Calmann-Lévy, 1922.
308 pages.
Dès les premières pages du Nouveau Déluge, Noëlle Roger évoque l'attrait des scénarios les plus catastrophistes : « La perspective de la fin du monde n'a jamais cessé de troubler les gens nerveux... C'est une sorte d'hystérie collective... ». De nos jours, on applique des diagnostics semblables aux prophètes de malheur pour l'environnement en les rattachant aux millénaristes médiévaux ou à des visionnaires plus récents. Mais la catastrophe envisagée dans le calme d'un salon bourgeois au fil des premières pages du roman de Roger va bel et bien se réaliser... Dans l'édition illustrée par André Devambez pour La Petite Illustration (édition également parue en 1922), le premier chapitre est coiffé de la gravure ci-contre d'un village côtier et station balnéaire que l'océan engloutit — histoire d'appâter le lecteur qui sera obligé de patienter puisque la scène ne sera décrite qu'après plusieurs pages.

Douze ans après la parution de « L'éternel Adam » de Jules Verne, Noëlle Roger offre une autre version de l'engloutissement du monde. Le roman a en commun avec le récit vernien l'horreur du cataclysme et la conviction de l'éternel recommencement des choses. Mais Verne se contentait de servir un avertissement à une civilisation au faîte de la réussite. Roger, elle, écrit dans la foulée de la Première Guerre mondiale et du fameux constat de Paul Valéry (« Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles », 1919). Elle se souvient peut-être de certains avertissements d'avant-guerre, alarmistes en apparence, qui se sont pourtant avérés. Et la montée des eaux entraîne des scènes qui pouvaient rappeler des épisodes de la guerre, comme dans le cas du train ci-dessous, assailli de passagers... Ce qui n'était pas dans « L'éternel Adam », c'est la condamnation par les personnages de la société disparue, l'exaltation du travail manuel et même une spiritualité balbutiante — autant d'ingrédients qui se retrouveront en revanche à des degrés divers dans Ravage de Barjavel. Ce qui n'y était pas non plus, ce sont les scènes d'apocalypse. Roger est plus explicite que Verne, même si elle reste discrète. Ainsi, le roman de Roger assure une sorte de transition entre les réserves effarées de Verne et le rejet féroce de la modernité de Barjavel. Dans Le Nouveau Déluge, on ne se réjouit pas de la disparition du monde englouti, mais les survivants ne tardent pas à admirer les beautés de la vie simple ou du cadre montagneux de leur refuge. Ils recréent une société, même si elle prend les traits les plus primitifs. Contrairement à Verne, Roger met en scène des amoureux, des couples, des familles et toute une galerie de personnages, malgré l'espace restreint. Au cœur de l'action, il y a la famille du professeur et académicien François de Miramar (dont le nom signifie « regarde la mer »). Ce portrait d'un paléontologue vieillissant doit sans doute quelque chose au mari de Noëlle Roger, de son vrai nom Hélène Pittard, née Dufour : Eugène Pittard, célèbre anthropologue et paléontologue suisse.

Le fils Hubert de Miramar est un estropié de la Grande Guerre, revenu des tranchées et de la captivité avec une jambe plus courte que l'autre. Aigri et incrédule, c'est pourtant lui qui reçoit un avertissement surnaturel de la montée des eaux à venir.

La fille aînée, Eva (au nom prédestiné), est fiancée à un jeune ingénieur, Max Dainville. Parmi les amis de la famille, il y a Jean de Lavorel, médecin chercheur, qui passera ses vacances dans la montagne tandis que la famille de l'académicien part à la plage.

La montée de la mer, mystérieuse mais inexorable, malgré des pauses imprévisibles, chassera vite le petit clan de sa villégiature. Aiguillonnés par Hubert, ils s'enfuient jusqu'en Suisse, aboutissant dans un vallon dénudé de la haute montagne. Le récit tourne alors à la robinsonnade, mais dans un cadre (un réduit alpin battu par la mer) qui lui confère un minimum d'originalité. (Et il y a une ironie certaine à ce qu'un paléontologue assiste à la reconstitution d'un mode de vie qu'il avait cru évanoui!) Les incidents propres à la reconstitution d'une communauté, voire d'une société primitive, rappelleront bien d'autres livres, mais le drame n'exclut jamais la description émerveillée de la montagne, la drôlerie de quelques situations ou l'émotion. Roger termine sur la confrontation des survivants du petit village alpin et de survivants de la haute société qui ont trouvé refuge dans un grand hôtel et qui tiennent à entretenir leurs illusions jusqu'au bout... Quand l'hôtel brûle, ce sont aussi les illusions de la Belle Époque qui se consument. Désormais, le monde peut renaître.Si le recommencement a une dimension morale ici, il est encore exempt de l'intention politique d'oeuvres postérieures, dont celles de Barjavel et Bugnet. C'est ce qui garde au Nouveau Déluge la part d'intemporalité qui fait encore aujourd'hui son charme.

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