2007-10-07

 

La fin du monde sans cesse ajournée?

Les pires scénarios du réchauffement climatique ne nous prédisent-ils qu'une fin du monde comme toutes les autres? C'est-à-dire un futurible qui nous en dit plus sur les peurs d'une époque et les projections de nos mortalités individuelles sur le canevas du monde que sur la réalité des menaces pesant sur le monde... L'enthousiasme eschatologique de certains est assez troublant. Comme je l'ai déjà fait remarquer, depuis la fin des eschatologies religieuses, l'humanité se donne volontiers des fins du monde plus prosaïques.

En 1857, Achille Genty, un érudit de Mortagne dans le Perche, non loin de Nigelle, faisait le point sur la crainte des comètes suscitée au XVIIIe siècle par quelques astronomes dont Laplace. Il concluait à l'inanité de ces craintes dans un article signé pour la revue de vulgarisation La Science pour Tous, qui publiait les lignes suivantes le 5 mars :

LA FIN DU MONDE.

Transformations incessantes des mondes organique et inorganique. — Destruction inévitable du globe terrestre et des races qui l'habitent. — Choc de la terre par une comète, peu probable. — Ce qui résulterait d'un tel choc. — Le docteur Lardner. — Laplace. — Nature intime des comètes. — Vitesse de leur marche comparée à la vitesse de la terre et des vents. — Résumé.

I.

En voyant que, dans l'univers, il n'est rien, absolument rien, qui ne soit sujet à la mort, c'est-à-dire à des changements, à des modifications, à des révolutions; en considérant toutes les transformations que subit l'homme physique, soit avant sa naissance, soit pendant sa vie, soit après sa mort; en réfléchissant, pour tout dire en un mot, que le monde organique, comme le monde inorganique, offre le spectacle d'une instabilité prodigieuse, étonnante, inconcevable, — inconcevable, parce que l'amour du vivre, la passion du moi est tellement passée dans l'homme à l'état d'habitude, de manie même, qu'il ne se peut résoudre à troquer cette manie contre une autre; en envisageant donc ces métamorphoses universelles, incessantes, ne serait-il pas insensé d'affirmer que le globe terrestre et les races animales dont il est peuplé ont le privilège exclusif de demeurer indéfiniment stables, ou du moins de ne subir qu'une modification insignifiante, une modification qui n'enlève à personne le souvenir flatteur de son identité? Sans doute.

II.

Mais, pour la terre et pour l'homme, d'où viendra ce bouleversement grandiose qui doit de tous deux faire un je ne sais quoi qui n'a de nom encore dans aucune langue connue? L'écorce terrestre, incessamment menacée par l'expansion du foyer central du globe, doit-elle finalement céder à la pression de bas en haut qui s'exerce contre ses parois, et se répandre à travers l'espace, disloquée, brisée, morcelée? Doit-elle, au contraire, tout redouter seulement d'un ennemi extérieur, d'une comète, par exemple, qui, la heurtant brusquement au milieu de sa course, produirait pour elle un résultat analogue? Enfin doit-elle mourir de vieillesse, c'est-à-dire ne disparaître que quand le foyer incandescent qui séjourne vers son centre se sera pour jamais éteint, et ne lui permettra plus de faire pénétrer jusqu'à ses extrémités la chaleur vivifiante dont il est la source?

De ces trois questions, une seule aujourd'hui sera l'objet d'un examen sérieux : c'est celle qui a trait au danger que les comètes peuvent faire courir à la terre.

Ce danger est-il réel?

Que la rencontre d'une comète avec la terre soit possible, on ne saurait le nier. Mais quel est le degré de cette probabilité? Quels en seraient les effets?

Pour qu'une comète rencontrât la terre, il faudrait qu'une double condition fût remplie:

1º L'orbite de la comète devrait couper celle de la planète;

2º Les deux corps devraient arriver en même temps au point d'intersection.

Mais, de toutes les comètes connues, en est-il une dont l'orbite coupe celle de quelque planète ? Non. Cependant, il existe une comète dont l'orbite est si voisine de l'orbite terrestre que la distance entre les deux points où elles se rapprochent le plus est inférieure au demi-diamètre de la comète; de sorte que, si la terre et la comète arrivaient en même temps à ces deux points, la terre traverserait la comète. Si la comète était solide, — ce qui n'est pas, — une collision, un choc aurait lieu. Mais elle n'est composée que d'une matière infiniment légère, infiniment peu dense; par conséquent, la terre n'éprouverait, en la traversant, pas plus de dommage que si elle traversait un nuage extrêmement léger.

Objecte-t-on que ce raisonnement, excellent pour les comètes dont les orbites sont connues, ne saurait s'appliquer aux comètes dont les orbites ne le sont pas? Nous acceptons l'objection. Nous allons y répondre.

On a constaté que, en supposant le plus fort possible le chiffre des comètes qui passeraient par l'orbite terrestre, en supposant les plus considérables possibles leurs grandeurs respectives, les chances qu'elles auraient pour rencontrer la terre seraient dans le rapport de 1 à 281 000 000.

En d'autres termes : voici une urne; dans cette urne, on a déposé 281 millions de boules blanches et une boule noire. Tirer la noire, c'est tirer la mort. Y a-t-il réellement beaucoup de chances contraires à courir? Non, évidemment; il n'y en a, en quelque sorte, que de favorables.

Eh bien, telle est la position de la terre vis-à-vis des comètes.

IV.

On voit par là que, s'il n'est pas absolument impossible, comme dit Francœur, que quelque comète rencontre la terre, il y a des millions de probabilités contre cet événement.

Cependant tout ce qui est probable peut arriver. Il est donc indispensable, si l'on ne veut être pris au dépourvu, d'admettre comme devant se réaliser les probabilités les plus improbables.

Donc, la terre est rencontrée par une comète. Que s'ensuivra-t-il?

«Il est facile, dit Laplace, de se représenter les effets du choc de la terre par une comète. L'axe et le mouvement de rotation changés; les mers abandonnant leur ancienne position pour se précipiter vers le nouvel équateur; une grande partie des hommes et des animaux noyée dans le déluge universel, ou détruite par la violente secousse imprimée au globe terrestre; des espèces entières anéanties; tous les monuments de l'industrie humaine renversés : tels sont les désastres que le choc d'une comète a dû produire. »

La description est belle, mais sombre. Si Laplace eût eu à son service tous les documents dont la science dispose aujourd'hui, il ne l'eût pas écrite; il eût reconnu que le désordre, ou mieux la révolution géologique à laquelle il fait alussion, n'a pu avoir pour cause l'invasion de la terre par une comète.

Qu'est-ce, en effet, qu'une comète?

« Les comètes, dit sir John Herschel, ne doivent être regardés que comme de grandes masses de vapeurs subtiles, susceptibles d'être percées de part en part par les rayons solaires, et les réf1échissant de toutes les parties de leur intérieur et de leur surface. Que personne ne regarde cette explication comme forcée, ou ne soit disposé à attribuer à la comète elle-même une propriété phosphorescente, pour rendre compte de ces phénomènes, mais plutôt que l'on considère l'énorme espace que les comètes éclairent ainsi, et la masse ou densité extrêmement faible que l'on est en droit d'attribuer à ces corps. Il deviendra dès lors évident que les nuages les plus déliés flottent dans les régions les plus élevée de notre atmosphère; ceux qui semblent, au coucher du soleil, imprégnés de lumière et transparents dans toute leur profondeur, comme s'ils étaient en ignition, sans la moindre ombre ou le moindre côté obscur, peuvent être regardés comme des corps denses ou massifs, comparés aux fils déliés du tissu volatil d'une comète. Aussi, toutes les fois que de puissants télescopes ont été braqués sur des comètes, la solidité que l'on attribuait à leur partie la plus condensée, la tête, qui paraît à l'œil comme un nœud, n'a pas manqué de s'évanouir; il est vrai cependant que, dans quelques-unes, un point stellaire a été vu, indice de l'existence d'un corps solide. »

Dans quelques-unes!...

De son côté, le docteur Lardner donne aux comètes une densité plusieurs milliers de fois plus faible que celle de l'atmosphère terrestre.

V.

Donc la terre ne court pas le risque de voir une comète déranger la loi générale à laquelle elle obéit.

Est-ce à dire cependant qu'elle n'a rien à redouter de la part de ces corps?

« La vitesse des vents les plus impétueux, dit Pouillet, celle des ouragans qui abattent les édifices et qui en emportent au loin les débris, ne paraît pas dépasser 40 ou 45 mètres par seconde. »

Or qu'est-ce que cette vitesse en comparaison de la vitesse de certaines comètes?

La comète de 1843, par exemple, avait une vitesse d'environ 2000 mètres par seconde. La vitesse de certaines comètes est plus considérable encore. Comme, de son côté, la terre a une vitesse d'environ 333 mètres par seconde, qui croire que, en 1843, il ne fût résulté rien de fâcheux d'une collision? Personne, tout d'abord.

Mais quand on réfléchit que, si la vitesse d'une comète est au moins cinquante fois plus grande que la vitesse d'un ouragan terrestre, la densité de la matière dont elle se compose est au moins mille fois plus faible que la matière dont se composent les ouragans, ne trouve-t-on pas, ne saisit-on pas, ne devient-il pas évident que le choc de la terre par une comète ne saurait, suivant l'expression d'un savant, produire sur cette planète un effet plus sensible que le choc par un moucheron d'un convoi immense lancé à toute vapeur?

VI.

Résumons.

Il y a au moins 281 000 000 à parier contre 1 que la terre ne sera pas, le 13 juin, abordée par une comète.

Mais, le fût-elle, il n'y a nullement à se préoccuper des conséquences. Qui se préoccupe des caresses du zéphyr et de ses suites?

La fin du monde est encore une fois indéfiniment ajournée.

Achille Genty
Photo : R. Evans, J. Trauger, H. Hammel et l'équipe de la science des comètes du télescope Hubble, et NASA

Petit moucheron, grands effets... Les photos ci-dessus représentent bien sûr les impacts des fragments de la comète Shoemaker-Levy 9 qui avaient percuté Jupiter en 1994.

Genty se trompait-il? D'une part, il avait raison de relativiser l'apocalypse cométaire de Laplace. D'autre part, il avait tort de minimiser le risque posé par les comètes, qu'il compare à la douce caresse d'un simple zéphyr... Le plus intéressant, c'est qu'il relève l'identification par Herschel d'un corps solide au cœur des comètes, mais sans comprendre que l'identification positive dans quelques cas n'exclut pas l'existence d'un tel objet dans tous les cas. Et ce sont ces noyaux cométaires, dotés des vitesses déjà connues en 1857, que l'on voit trouer et labourer l'atmosphère de la gigantesque Jupiter.
Ceux qui, aujourd'hui, minimisent les risques posés par le réchauffement climatique ne craignent-ils pas de négliger des éléments de la situation? Or, quand un oubli mineur peut se traduire par des conséquences majeures, il faut peut-être se garder d'un excès de confiance en la matière...

Libellés :


Comments: Publier un commentaire

<< Home

This page is powered by Blogger. Isn't yours?