2007-01-22

 

Deus ex infante

Un vieux dicton hollywoodien veut qu'un acteur ne doit jamais s'attendre à avoir la vedette s'il joue dans un film avec des animaux ou des enfants. (« Never work with animals or children », un aphorisme attribué à W. C. Fields.)

Nous sommes génétiquement prédisposés à céder aux appels pressants d'un bébé. C'est ce qui rend leurs cris si dérangeants (en particulier quand ce n'est pas notre enfant). Faire la sourde oreille aux miaulements de félins en chaleur, aux beuglements d'un animal en détresse ou aux couinements d'une bête qu'on égorge, c'est nettement plus facile qu'ignorer les pleurs d'un bébé.

Dans un sens, le film Children of Men (adapté du roman éponyme de P. D. James et porté à l'écran avec intelligence par Alfonso Cuarón, qui ne chôme pas puisqu'il a aussi participé à la réalisation du Laberinto del Fauno) repose sur la puissance de l'être le plus faible et le plus désarmé. À la rigueur sur le récit archétypal de la naissance d'un certain persécuté en Palestine il y a deux mille ans. Mais sur pas grand-chose d'autre.

Le film rappelle la valeur de l'enfance (ce qui n'est pas sans intérêt dans un monde où il y a près de deux milliards d'enfants de quinze ans et moins), mais il n'établit aucun lien utile, concret, intéressant entre notre monde et ce futur pour le moins improbable.

Pour une fois, l'anticipation se démarque clairement de la science-fiction. Children of Men est un excellent film d'anticipation, et un film de science-fiction exécrable. L'action se passe en 2027, dix-huit ans après la naissance du dernier enfant des hommes. Depuis, les femmes sont stériles et personne ne sait pourquoi. L'ordre mondial et l'économie se sont effondrés, sauf en Angleterre, soumise à un régime répressif qui traque les réfugiés, et apparemment en Argentine, où vivait le plus jeune membre de l'humanité jusqu'à son assassinat. Cet exceptionnalisme britannique (symbolisé par la manchette légendaire d'un journal qui n'était pas le Times de Londres : « Fog in Channel — Continent Isolated ») se retrouvait déjà dans V for Vendetta.

Malgré les moyens gigantesques qui auraient été consacrés à la solution de l'infertilité, on ne connaît même pas la cause de cette stérilité subite. Et on ne saura pas non plus pourquoi une femme a conçu, si c'est la première ou si c'est une simple exception.

Le scénario de l'infertilité humaine universelle n'est pas nouveau en sf. (Le Canadien Edward Llewellyn avait décrit dans sa série « The Douglas Convolution » un monde décimé par la stérilité attribuable à un médicament répandu ou à l'emploi de contraceptifs.) Mais l'absence d'explication fait de ce film une œuvre frustrante de science-fiction, au point où cela n'en est plus.

On accepte d'habitude qu'un récit de science-fiction incorpore un « miracle » que le lecteur ou spectateur doit admettre sans s'interroger. Mais ici, il y en a deux. Les femmes arrêtent d'avoir des enfants, puis une femme recommence.

Certes, on peut, même en restant dans le cadre du film (je n'ai pas lu le livre), relever des éléments d'explication. La mini-fourgonnette où le protagoniste Theo retrouve la future mère d'une nouvelle génération appartient à un quelconque Biological Institute, ce qui suggère que des recherches plus ou moins licites ont abouti... Et l'infertilité est apparue dans la foulée d'une épidémie mondiale d'influenza.

Mais le film s'en tient aux péripéties de la fuite de Theo avec la réfugiée enceinte qu'il escorte vers la liberté, pour la sauver comme il n'a pu sauver son ancienne épouse. L'espoir de lendemains meilleurs est symbolisé par le bateau envoyé à leur rencontre, baptisé Tomorrow et armé par un certain Human Project. (Ce nom tient du plaidoyer implicite pour les valeurs de l'humanisme et de l'apologie controversée d'un humanisme manipulateur par Sloterdijk.)

Ces péripéties ont l'avantage d'être passionnantes et contrastées, combinant humour et pathétique, ce qui les rend plus réalistes que le film d'action hollywoodien de base. La scène de chasse-poursuite en voiture subvertit complètement cinquante ans ou plus de clichés... L'intrigue n'est pas sans défaut, toutefois. J'ai beaucoup de mal à croire que la police, qui recherche aussi Theo, ne sait pas où trouver les parents de celui-ci, alors que les clandestins l'ont découvert en quelques jours de surveillance artisanale de Theo... Et si la Grande-Bretagne est coupée du monde, on se demande comment elle réussit à se nourrir — ou à faire pousser du café...

Néanmoins, la naissance de l'enfant tant attendu transforme le film. Il ne s'agit plus seulement d'une dénonciation du virage fascisant de la Grande-Bretagne, certaines scènes saisissantes évoquant Abu Ghraib et Guantánamo. Le bébé devient un sauf-conduit, un talisman qui s'époumone. Sa seule présence émeut, suffisant à imposer un cessez-le-feu, et on ne peut pas s'empêcher de se dire que tous les enfants du monde devraient avoir droit aux mêmes égards. Et on regrette qu'il n'en soit pas ainsi.

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