2006-11-25

 

Prestiges de la magie et de la science

Parti voir Bond, j'ai fini par voir The Prestige, longtemps après tout le monde.

Il s'agit d'un film de Christopher Nolan qui se situe quelque part entre Memento et Batman Begins. De Memento, il a hérité l'obsession d'un personnage, jeune magicien montant qui en veut au rival qui a causé la mort de sa femme. De Batman, il a hérité le recours aux inventions d'une science qui finit par basculer dans l'extraordinaire.

La narration entrecoupée de retours en arrière rappelle aussi Memento, car les deux antagonistes du film se retrouvent tous les deux en train de lire le journal personnel de l'autre. De même, les révélations et les coups de théâtres évoquent les surprises successives de Memento. Par contre, Nolan a refait appel à Michael Caine, déjà employé à bon escient dans Batman Begins.

Inspiré d'un roman de Christopher Priest, le film est passionnant... presque jusqu'à la fin. J'avoue que j'avais fini par comprendre le truc du Professor, car les indices étaient semés à profusion. En revanche, je crois que Nolan a volontairement laissé planer l'ambiguïté sur l'invention de Tesla, qui ne nous est connue que par l'intermédiaire d'un journal de bord excessivement suspect. L'accepter comme telle pouvait paraître trop facile, mais elle est la clé d'une révélation finale évidente mais pourtant choquante. Cependant, ce même caractère d'évidence est à la base de notre déception puisque nous nous attendions à un truc de plus, bien trouvé mais ne débordant pas du cadre réaliste du récit (situé vers 1899). Or, il aurait été possible d'utiliser des ressources techniques contemporaines plausibles pour justifier la chose.

Le recours à une invention scientifique fait donc basculer The Prestige dans la science-fiction, mais une forme de science-fiction plus proche de Tintin et le lac aux requins que de Gattaca. Néanmoins, le choix d'une ficelle science-fictive souligne le thème de la rivalité des deux magiciens : il y a toujours un truc, sauf quand il n'y en a pas. En fin de compte, le truc du Professor est simplissime, tellement évident qu'on n'y pense pas. Le truc du Great Danton a aussi une explication, mais elle repose sur un novum scientifique. Du coup, l'intervention science-fictive trahit les prémisses d'un film qui démonte de nombreux tours de magie, mais elle s'y conforme aussi puisque la science invoquée par Tesla est explicitement étrangère au surnaturel... Personnellement, je serais resté fidèle au réalisme du reste du film, mais Nolan a préféré ne pas livrer un film qui ne serait qu'une histoire de tromperies superposées dans le genre de La prisonnière espagnole de Mamet. La science-fiction lui permet de faire basculer le film dans l'extraordinaire.

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2006-11-23

 

Une nation, deux nations, trois...

Au Canada, il y a déjà les Premières Nations, dont on situe le nombre quelque part entre 300 et un peu plus de 600. Le Québec pourrait maintenant obtenir le titre de 634e nation du Canada. Ou peut-être de seconde nation du Canada si on considère que les Premières Nations occupent le premier rang ex-aequo... Comme le Canada n'a pas encore été compté, il faudrait donc que le Canada soit quelque chose comme la troisième nation du pays du même nom.

Cette insistance à rechercher le titre de nation, pourtant bien dévalué, peut étonner. (Le nombre de nations présentes aux Nations Unies a été multiplié par quatre depuis 1945, alors que la population du monde n'a été multipliée que par 2,5.) En faire toute une affaire, c'était lâcher la proie pour l'ombre. Néanmoins, l'ombre est maintenant à portée de main. Le plus intéressant, désormais, ce sera de voir ce que les nationalistes feront ensuite...

Il y a longtemps, on disait de Moscou dans certains cercles qu'elle était la troisième Rome, car Constantinople avait été la seconde Rome, la nouvelle capitale de l'Empire romain après la chute de Rome. S'il existe une nation canadienne, elle serait la troisième dans l'ordre chronologique à revendiquer le territoire canadien, mais la dernière arrivée est parfois celle qui dure le plus longtemps.

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2006-11-20

 

La SF en images de synthèse

Comme on disait de Mahomet et de la montagne, on peut dire que si le cinéma ne vient pas à la littérature, il devient maintenant possible pour la littérature de venir au cinéma...

L'auteur français Yann Minh (Thanatos — Les récifs) a réalisé un court-métrage en haute définition disponible ici en QuickTime. Il s'agit d'une expérience plus visuelle que narrative, mais j'ai eu l'impression d'y retrouver des images et des scènes qui auraient pu être inspirées par le roman. En tout cas, il s'agit d'une réalisation à base d'images de synthèse qui vaut bien 90% de ce qu'on peut voir ces temps-ci sous l'étiquette « science-fiction ». J'ai beau aimer ce que je vois, de temps en temps, de Battlestar Galactica ou de Stargate Atlantis, sans parler de trucs plus anciens comme Stargate SG-1 ou les différentes séries de la machine Star Trek, mais on finit souvent par retrouver le même imaginaire visuel.

Si cinq minutes de cette qualité peuvent être réalisées par un seul créateur, j'avoue me demander ce qui empêcherait la création de réalisations semblables inspirées par d'autres textes de SF. La rentabilité, sans doute... Et le problème des acteurs. On peut synthétiser l'apparence des acteurs, voire certaines mimiques, mais on ne peut pas encore créer des voix ex nihilo. Et même si c'est sans doute loin de coûter ce que coûte une super-production de SF de nos jours, un petit budget n'est pas plus facile à justifier qu'un grand s'il n'y a pas un retour sur investissement acceptable...

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2006-11-18

 

Les enfants de Daniel Sernine?

En France, Serge Lehman avait préfacé l'anthologie de science-fiction Escales sur l'horizon par un texte intitulé « Les enfants de Jules Verne ». Un texte, mais aussi une analyse, une thèse, un manifeste!

L'autre soir, à l'Alliance française d'Ottawa, les personnes réunies pour une mini-table ronde sur la SFCF ont découvert qu'elles avaient presque toutes quelque chose en commun : l'influence de Daniel Sernine. J'avais déjà parlé de la génération de jeunes auteurs et lecteurs arrivés dans le milieu de la SFCF au tournant des années 1990 après avoir été des fans de la première heure des romans de Daniel Sernine. Si j'ai bien compris, c'était aussi le cas de Caroline-Isabelle Caron et Christian Sauvé, qui avaient découvert très tôt la science-fiction de Sernine, dont l'œuvre aurait même aidé à les convertir aux vertus de la sf.

Mon propre cas est un peu différent, car je ne me souviens pas d'avoir commencé à lire les ouvrages de Sernine avant d'avoir découvert la SFCF contemporaine, en m'abonnant à imagine..., en lisant Solaris et en empruntant à la bibliothèque les livres de la collection « Chroniques du futur » des Éditions Le Préambule. Mais Daniel Sernine n'était pas seulement auteur et directeur littéraire, il signait aussi un éditorial dans la principale revue pour jeunes de l'époque, Vidéo-Presse. Comme moi, Caroline-Isabelle Caron se souvient distinctement de l'éditorial qui avait expliqué le processus de soumission d'un manuscrit aux éditions Paulines... Je n'avais pas donné suite directement, mais, quelques années plus tard, la collection « Jeunesse-Pop » a publié un de mes premiers livres.

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2006-11-17

 

L'auteur tient salon

La semaine aura été occupée. D'une présentation sur les automates médiévaux à New York vendredi dernier à une séance de signatures au Salon aujourd'hui, elle a aussi été marquée par deux cours et une présentation hier soir sur Jules Verne et la SF d'ici à l'Alliance française d'Ottawa, avec l'excellente collaboration de Caroline-Isabelle Caron, Michèle Laframboise et Christian Sauvé...

Mais le Salon du Livre de Montréal a ouvert ses portes. Je me dois donc de signaler les présences suivantes.

Samedi, Laurent McAllister sera présent dans l'espace du diffuseur Prologue de 12h30 à 14h30.

Dimanche, dans le même espace, je reviendrai tout seul comme un grand pour signer de 14h à 15h30...

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2006-11-16

 

Le design inintelligent

L'autre jour, à New York, lors de sa conférence à l'Université Fordham, Lynn Margulis a bien fait rigoler la galerie.

En parlant des mécanismes envisagés pour expliquer l'origine des espèces, elle avait noté la transmission des caractères acquis (l'explication lamarckienne), l'apparition et l'accumulation de mutations aléatoires (l'explication néo-darwinienne), l'acquisition de génomes (par la symbiogenèse ou autrement) et, bien entendu, le design intelligent.

Elle avait tout de suite rejeté ce dernier mécanisme. Mais non le design inintelligent! Celui-ci est à l'œuvre partout et en tout temps. Quand on pisse dans les bois, après tout, on favorise les bactéries du sol capables d'assimiler l'ammoniac contenu dans l'urine. C'est la sélection par inadvertance...

La plaisanterie rappellera à l'amateur de science-fiction la nouvelle « Genèse » de Francis Carsac (reprise dans l'anthologie Genèses d'Ayerdhal) où un visiteur extraterrestre débarque sur la Terre, sans vie, il y a des milliards d'années et crache, méprisant, dans la mer. Ce qui sera, implicitement, la genèse de la vie sur Terre...

Néanmoins, la plaisanterie de Margulis fait réfléchir sur les activités humaines qui peuvent influencer l'évolution. Voire sur les activités d'extraterrestres de passage, il y a quelques milliards d'années ou non, qui pourraient également jouer un rôle. Dans le cas des romans de Brin sur l'évolution dirigée (la série de l'«Uplift»), le design est tout à fait intelligent. Mais il me semble que le design par inadvertance est plus rare dans la science-fiction, encore que je pourrais renvoyer les intéressés à une nouvelle de Laurent McAllister, « Driftplast », qu'on verra peut-être un de ces jours dans Solaris...

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2006-11-14

 

Le futur rend visite à Ottawa

La science-fiction au Canada francophone, de Jules Verne à aujourd’hui

Les auteurs de science-fiction sont des visiteurs du futur. Comme tous les voyageurs, ils racontent ce qu’ils ont vu et ils donnent envie de connaître l’avenir dont ils arrivent. Si vous voulez des nouvelles du futur, venez à l’Alliance française d’Ottawa le jeudi 16 novembre à 18h.

Encore aujourd’hui, Jules Verne est l’archétype de ces visionnaires. Le centenaire de sa mort en 2005 a été l’occasion de se pencher sur ses romans qui ont fait rêver des générations de lecteurs, de Vingt mille lieues sous les mers à Robur le Conquérant, en passant par De la Terre à la Lune et L’Île mystérieuse.

Au Canada, que Jules Verne a visité en personne, il n’est pas un inconnu. Dès le dix-neuvième siècle, il a été lu, acclamé et copié. En fait, il a inspiré de nombreux écrivains postérieurs au Canada français tout en demeurant une référence pour de nombreux pionniers et enthousiastes de la modernité, y compris le Frère Marie-Victorin. Je présenterai donc l’histoire de cette présence vernienne au Canada, images et textes à l’appui.

Après le passé, le présent. Une table ronde réunira ensuite des connaisseurs franco-ontariens de la science-fiction d’ici. Michèle Laframboise est une écrivaine et créatrice de bandes dessinées, qui a gagné plusieurs prix pour sa fiction et qui a lancé deux nouveaux albums en 2006, La Plume japonaise et Séances de signatures.

Caroline-Isabelle Caron est professeure à l’Université Queen’s de Kingston et une autorité internationale dans le domaine de la culture populaire. Elle a publié entre autres sur Star Trek et l’histoire populaire acadienne. Enfin, Christian Sauvé animera cette partie du programme. Critique émérite, Sauvé est un des collaborateurs de la revue Solaris, la principale revue consacrée à la science-fiction et au fantastique au Canada.

Le tout se passera à l'Alliance française d’Ottawa (352 MacLaren) à compter de 18h, le jeudi 16 novembre 2006.

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2006-11-13

 

Le développement du Québec

Les industries basées sur la simple extraction et exportation des matières premières ont toujours été jugées plus caractéristiques des économies en voie de développement que des économies les plus avancées.

Au Québec, pourtant, on dorlote ces industries (même quand elles sont en voie d'effondrement, comme dans le cas de l'exploitation forestière) et le numéro du 15 novembre de L'Actualité donne la parole à André Caillé, ancien PDG d'Hydro-Québec, qui en profite pour se faire l'avocat des ventes d'électricité à l'étranger.

Pourtant, le même numéro signale le financement croissant de la recherche en Ontario, tandis que le Québec traîne la patte. Citation : « Alors qu'en 1991 les dépenses en recherche des universités du Québec correspondaient à 85% de celles des universités ontariennes, elles n'en représentent plus que 63% en 2005 ».

Évidemment, en 2005, la population du Québec ne représente plus que 60,5% de la population de l'Ontario alors qu'en 1991, elle représentait encore 67% environ de la population de l'Ontario. Comme le Québec est plus pauvre que l'Ontario et a quasiment gelé les frais d'inscription des étudiants universitaires depuis avant 1991 (ce qui affecte indirectement le soutien de la recherche universitaire), la performance est en fait plus qu'honorable.

Si l'Ontario remonte la pente en matière de financement de la recherche, c'est sans doute qu'il commence à se rendre compte qu'il ne pourra plus dépendre longtemps des industries de transformation du secteur secondaire (en particulier dans le domaine de l'automobile) qui sont de plus en plus menacées par la compétition asiatique, la hausse du dollar canadien et le ralentissement de la croissance démographique en Amérique du Nord, alors que le Québec désire réduire sa dépendance sur l'extraction de matières premières depuis au moins la Révolution tranquille et mise depuis longtemps sur la recherche (en particulier dans le domaine de l'aéronautique et de la pharmaceutique) pour assurer la croissance économique.

Y a-t-il péril en la demeure pour le Québec? A première vue, le Québec, malgré des pertes ponctuelles de cerveaux signalées par cet article, n'est pas si mal placé. Simplement, il est en train de perdre un avantage comparatif, celui du financement, et il va devoir décider si certains de ses désavantages comparatifs, dont le fardeau de la réglementation, ne sont pas de trop dans le nouveau contexte d'une course interprovinciale aux meilleurs cerveaux.

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2006-11-12

 

Le chemin du retour

Je n'aurai pas eu le temps de prendre des photos autrement que par la fenêtre de ma chambre d'hôtel...

C'est sans doute la marque du succès de ce congrès annuel de la SLSA. Le programme était intéressant et les participants encore plus. Même en ce dernier jour à New York, j'ai opté pour le programme du congrès plutôt que pour les musées. Je me suis donc rendu au Deutsches Haus dans l'espoir d'entendre Todd Avery parler de la nanotechnologie dans la littérature et dans l'enseignement de la littérature, en particulier dans le contexte des deux cultures de C. P. Snow. Malheureusement, il avait fait faux bond au congrès.

Je me suis donc rabattu sur une séance intitulée « The Politics of Posthuman Becomings », avec pour espoir d'entendre Maria Aline Ferreira du Portugal sur le sujet des mythes de création dans Atwood (Oryx and Crake) et Houellebecq (La possibilité d'une île). Le tout a commencé sous les meilleurs auspices, Jennifer Rose White livrant une communication fascinante sur le roman Solar Storms de l'écrivaine étatsunienne autochtone Linda Hogan. Le roman combine la quête plus personnelle d'une jeune autochtone et la crise de la Baie James. White a fait ressortir la volonté d'adopter une vision plus évolutionniste de l'identité autochtone que strictement défensive des anciennes traditions...

Une définition lancée en passant : la posthumanité voit l'émergence remplacer la téléologie. Une réflexion inspirée par cette communication : la critique de gauche aux États-Unis rejette l'idée de l'individu libéral et universel, mais c'est peut-être parce que ceux qui incarnent cet idéal aux États-Unis, les hommes et les femmes les plus privilégiés, comptent parmi les citoyens de ce monde les moins détachés de leurs racines nationales...

Toutefois, la communication de Ferreira a été abrégée faute de temps. Elle a tout juste eu le temps de parler d'Atwood et d'invoquer Sloterdijk, puis Hayles, pour qui la post-humanité n'est pas la fin de l'humanité, mais la fin de la conception d'une humanité composée d'agents autonomes. Sa communication semblait suggérer que chez Atwood et Houellebecq, la fin de l'humanisme se traduit par une bestialisation des humains, conformément au diagnostic posé par Sloterdijk. Or, c'est bel et bien cette voie qu'empruntent ces deux auteurs... (N'empêche que je me demande toujours à quel point ces deux auteurs riches, choyés et célébrés ne sont pas à ce point coupés du reste de l'humanité qu'ils sont enclins à voir leurs congénères comme bien plus bêtes qu'eux?)

Je suis parti après la communication de Deboleena Roy, une biologiste californienne qui pratique le subcloning et qui demandait si les féministes devraient cloner. Et qui, au terme de nombreux détours et de citations lues in extenso, concluait qu'il fallait pouvoir poser cette question. Et la réponse, nom d'une Déesse?

Pour une fois, peut-être même la première dans les annales de mes voyages, je suis non seulement arrivé en avance au terminus des autobus, mais j'ai aussi attrapé le bus précédent, d'où une heure d'avance au départ... Et seulement un quart d'heure d'avance à l'arrivée, en raison des retards accumulés en chemin et à la frontière. La prochaine fois, j'arriverai à la dernière minute, comme d'hab!

En 2007, le congrès de la SLSA aura lieu à Portland (Maine). Un des invités d'honneur sera Brian Massumi, de l'Université de Montréal...

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2006-11-11

 

Souvenirs new yorkais

D'une part, la nation étatsunienne célèbre le jour du souvenir, mais le souvenir de l'armistice du 11 novembre 1918 se mue en une célébration de l'héroïsme des soldats du pays. L'horreur de la guerre, ou ne serait-ce que le regret des horreurs de la guerre, n'a toujours pas pénétré les esprits aux États-Unis. Cela s'appelle le jour des vétérans, bien entendu, mais l'exaltation du devoir accompli par des soldats automatiquement assimilés à des héros me semble surtout propice à lever de nouvelles générations de vétérans.

D'autre part, la journée aura été riche en souvenirs. Même si je connaissais le site de Bioteknica, c'est différent quand on fait la connaissance des artistes. Shawn Bailey et Jennifer Willett ont décrit leur travail avec des tératomes et des tissus cultivés à partir d'échantillons prélevés sur Bailey lui-même, les uns et les autres servant de point de départ à des sculptures vivantes obtenues en injectant les cellules dans des bioréacteurs dotés d'échafaudages en polymères. En principe, l'échafaudage pourrait reproduire en miniature un scan du corps des artistes. La sculpture de chair qui en résulte peut avoir sa beauté propre (reproduite dans des photographies, tout comme les créations du Land Art) ou peut faire partir d'une installation qui montre un être humain servant de bioréacteur dont on extrait des créations vivantes. Ce qui rappelle les artistes organiques d'Ayerdhal et Dunyach dans Étoiles mourantes.

Bailey et Willett ont aussi parlé des obstacles qu'ils ont affronté, quand les autorités locales ont dû approuver leurs travaux. Willett fit remarquer qu'ils vivaient jusqu'alors dans une bulle où les tératomes étaient leurs amis. D'où le choc quand ils durent composer avec les règles de déontologie sur les expériences avec des sujets humains, même quand les sujets sont eux-mêmes! Les laboratoires scientifiques ont aussi représenté des obstacles pour ces deux artistes : la banalité des environnements standardisés et des instruments manufacturés faisait toutefois ressortir la matérialité et la vie propre des entités qu'ils créaient. Pour Bailey, l'instrumentalisation rationnelle du corps par la médecine moderne est d'ailleurs monstrueuse et son art biotechnique ne doit pas l'ignorer.

Comme Baily et Willett sont canadiens et travaillent à l'Université Concordia, on les reverra sans doute au congrès Boréal.

Ce fut ensuite au tour de la chercheuse suisse Vera Bühlmann de parler de la création d'oikoborgs. Il s'agit de doter les maisons et les édifices urbains de peaux intelligentes. L'usage de façades qui sont des écrans réactifs rappellent un peu les descriptions de Beijing dans La Taupe et le dragon de Champetier, mais il faut imaginer un univers de médias qui ne seraient pas que commerciaux et qui seraient interactifs. Les édifices perdraient alors leur solidité figée pour acquérir quelque chose de la pré-spécificité du virtuel, qui est intrinsèquement pré-concret. Leur architecture deviendrait aussi évolutive que des tératomes formés de cellules souches capables de se différencier diversement et de prendre différentes formes concrètes. Mais ces édifices seraient aussi presque vivants, des quasi-espèces venant s'ajouter à la faune urbaine...

Après avoir entendu parler des films surréalistes, réalisés ou non, de Joseph Cornell, dont les sculptures étaient citées dans la fiction cyberpunk de William Gibson, j'ai fait le saut dans le sud de Manhattan pour assister à une dernière séance. Des quatre communications, j'ai retenu celle de Karen Leona Anderson, sur les réactions des poètes à l'eugénisme d'avant la Seconde Guerre mondiale, et aussi celle d'Adelheid Voskuhl sur les automates musicaux de la fin du XVIIIe siècle, qui avait motivé mon déplacement.

En effet, Voskuhl a comparé les joueuses (réelles) d'instruments à percussion de l'époque, qui étaient formées à ressentir des émotions exprimées par les mouvements de leur corps afin de susciter les sentiments correspondants chez les spectateurs, et les joueuses (automates) dont la conception permettait de mimer des émotions destinées à susciter les sentiments correspondants chez les spectateurs... (Cette formation était basée par les maîtres de musique sur les catégories de la rhétorique pour classer les affects à produire : tristesse, joie, gravité. Elle justifiait sans doute les simagrées que Napoléon Aubin raillait en parlant des demoiselles de Québec jouant du piano en 1839...)

Ces automates étaient mus par des mécanismes qui produisaient (i) le jeu musical, (ii) l'apparence de la vie (sur une durée allant jusqu'à 30 minutes) et (iii) une révérence finale. Ainsi, l'automate pouvait affecter l'apparence de la vie (respiration, mouvements de la tête et des yeux) longtemps avant de se mettre à jouer, tandis que les spectateurs s'assemblaient, ce qui était de nature à renforcer l'illusion du vivant. Dans sa fiction, Jean-Paul Richter, l'auteur du conte « Les hommes sont les machines des anges » dont j'ai déjà parlé, se moque des joueuses (humaines) dont le jeu expressif est le résultat d'exercices qui ne sont pas si éloignés de la programmation des joueuses (automates). Pourtant, à la lumière de Damasio, la simulation d'une émotion peut bel et bien susciter les sentiments recherchés, mais il est bien vrai que ceci brouillerait la distinction entre humains et machines à laquelle Richter voulait se cramponner...

En soirée, nous avons tous pris le métro pour aboutir à l'Université Fordham afin d'assister à une allocution de Lynn Margulis, invitée d'honneur du congrès. Première conjointe de Carl Sagan, co-conceptrice de l'hypothèse de Gaia avec James Lovelock et tenante de la thèse de l'évolution par la symbiose et la fusion de génomes, Margulis est un personnage de premier plan. Elle a commencé par insister que la biologie est une sous-catégorie de l'étude de l'évolution, et non l'inverse. Elle a ensuite invoqué Vernadsky disant que l'indépendance est un concept purement politique car séparer un être vivant de la biosphère, c'est la mort. La vie, c'est l'interdépendance.

Margulis a identifié cinq grandes étapes dans l'évolution de la vie, soit, plus ou moins dans l'ordre, l'apparition des bactéries, des animaux, des plantes et des champignons. Elle a ensuite soutenu sa thèse de l'évolution par la symbiogenèse en l'illustrant de quelques cas particulièrement frappants. Ainsi, le ver planaire Convoluta roscoffensis est un animal qui vit en symbiose avec une algue photosynthétique. Plus fort encore, le symbionte d'une termite, Mixotricha paradoxa, est un eucaryote qui compterait jusqu'à cinq génomes et qui bénéficie lui-même de rapports symbiotiques serrés avec des spirochètes et d'autres bactéries.

Peut-être parce qu'elle soutient une position hétérodoxe et qu'elle comprend la nécessité de séduire, ou peut-être parce qu'elle est authentiquement curieuse de tout et ouverte d'esprit, Lynn Margulis est non seulement venue au congrès pour prononcer son allocution, mais elle a assisté à de nombreuses communications. De l'aveu même des organisateurs, c'était presque sans précédent. Comme elle a présenté un argument frappant et des vidéos fascinantes des créatures extraordinaires (chimériques!) qu'elle étudie, elle a eu droit à des applaudissements nourris.

En tout cas, Boréal n'a pas à rougir de l'organisation de son propre congrès. La dispersion du programme qui se déroulait dans trois lieux distincts ne facilitait pas l'assistance aux événements, malgré un temps superbe tout à fait propice à la marche. De plus, j'ai été confirmé dans ma détermination comme organisateur à ne jamais sous-estimer la fréquentation d'un événement. La séance avec Bailey, Willett et Bühlmann a attiré tant de monde que plusieurs personnes ont dû suivre les présentations du corridor...

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2006-11-10

 

Une petite journée frénétique

Même si je n'ai pas l'impression d'avoir fait grand-chose, je ne peux pas me plaindre de ma journée d'hier ou de celle d'aujourd'hui.

Hier, c'était la découverte (enfin!) de la New York Public Library de 42nd Street. L'édifice est magnifique, monumental à souhait... et à faire rougir la Grande Bibliothèque de Lise Bissonnette ou la Grande Bibliothèque de François Mitterrand. Les services ne sont pas mauvais non plus. J'ai pu m'inscrire (sans payer) et consulter un livre afin de compléter un peu de travail pour un de mes cours. Et il y avait aussi une salle pour se connecter sans fil (et sans frais) à internet. Mais comme j'avais fait le chemin à pied, j'ai aussi découvert une tranche variée du paysage urbain de Manhattan, y compris le fameux Flatiron Building qui abrite les bureaux de Tor.

Aujourd'hui, c'était l'occasion de livrer ma communication sur les automates dans la fiction médiévale (les Boréaliens en avaient eu la primeur il y a un an) et l'accueil a semblé bon... même si la période de questions a été interrompue par un exercice d'évacuation en cas d'incendie au moment précis où j'allais répondre. Et il ne faut pas croire que je l'avais arrangé avec les pompiers de New York pour éviter de prendre la parole!

Outre la communication fascinante de Scott Lightsey sur l'utilisation par le roi Édouard en Angleterre d'un automate londonien pour se mettre en scène comme roi guerrier et salvateur au début de la guerre de Cent Ans (spectacle qui a pour pendant l'hommage rendu à Charles VII à Rouen par un cerf automate en 1449 à la fin de la guerre), j'ai surtout retenu les communications d'une séance sur l'histoire et la philosophie des mathématiques.

Ellen Moll a évoqué la vie et l'œuvre d'Ada Lovelace, ainsi que sa représentation dans certaines fictions (mais pas dans The Difference Engine). Entre autres, elle signalait les travaux d'Ada sur le fonctionnement du cerveau, ce qu'il faudrait rapprocher des tentatives de Boole de formaliser le fonctionnement de la pensée.

Et Bonnie Shulman a livré une communication volontairement provocante intitulée «What is White Mathematics?». Les mathématiques sont-elles universelles ou sont-elles des outils au service de l'imposition de la culture et des valeurs européennes sur d'autres sociétés? Elle a cité des exemples intéressants de sociétés qui ne valorisent pas autant la mesure ou le décompte, ou qui ont dû adopter les mathématiques occidentales en adoptant aussi des valeurs et des acquis culturels propres à l'Occident.

Il ne s'agissait pas de soutenir que les angles d'un triangle dans un plan de courbure nulle ne totalisent pas 180 degrés. Plutôt, il s'agissait de signaler (i) l'emploi des mathématiques occidentales par le commerce et l'administration coloniale de l'Occident, au détriment des traditions et valeurs antérieures, et (ii) le contenu culturel de la pédagogie des mathématiques dans les écoles coloniales. (Un problème de calcul concernant des escaliers mécaniques pouvait être soumis à de jeunes Africains il y a cinquante ans.)

Néanmoins, cette remise en question me semble esquiver des questions cruciales. Dans quelle mesure certains pays, comme le Japon ou la Chine, ont adopté des pratiques mathématiques occidentales même quand elles n'étaient pas imposées par la force, tout simplement parce que ces pratiques étaient plus efficaces? Dire que les mathématiques modernes sont le produit d'une certaine histoire et de certains pays, et que les manuels reflètent cette origine, ne me paraît pas exactement bouleversant comme découverte.

Enfin, je reste dubitatif face aux critiques de cet enracinement occidental des mathématiques. Comme Shulman l'indiquait, on pouvait trouver des questions en décalage avec la culture des jeunes élèves même aux États-Unis. Les mathématiques imposent l'abstraction et il ne faut pas sous-estimer à quel point c'est une difficulté quand on a toujours travaillé avec des objets concrets et particuliers. (Un problème sur des articles d'habillement, pris au niveau le plus concret, suscitera des questions sur le juste prix d'un blouson plutôt que l'application de la bonne procédure pour obtenir la solution.)

Mais on frise la démission, à mon avis, quand on suggère qu'il ne faudrait pas enseigner l'abstraction qui permet la généralisation ou qu'il ne faudrait jamais exposer les jeunes, élèves et étudiants à des réalités nouvelles pour eux. Quand des critiques étatsuniens célèbrent la singularité culturelle et les particularités culturelles, au nom d'une certaine rectitude politique, ne sont-ils pas en train de légitimer le refus commun de leurs concitoyens de s'intéresser vraiment à d'autres cultures, bref, de défendre leur propre exceptionnalisme culturel?

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2006-11-09

 

New York, que faire?

Me voici à New York, aux confins de Greenwich Village, aux prises avec une question : que faire?

N'empêche que cela tombe bien. J'arrive à New York, capitale des États bleus d'Amérique (à moins que ce ne soit San Francisco), au lendemain de la victoire démocrate dont la taille reste encore suspendue au décompte des voix en Virginie. C'est plus énergisant que d'y arriver au temps de l'hégémonie des Républicains! Les journaux annoncent en une le départ de Donald Rumsfeld («Rums felled», «Don's Gone») et, comme par hasard, il fait soleil. Pourtant, le temps est au changement.

Les mesures de sécurité sont présentes (il fallait voir la débauche de nouvel équipement aux douanes), mais pas nécessairement plus qu'à Paris. Ainsi, on avertit les usagers du métro que les gros sacs peuvent être fouillés à la discrétion des forces de l'ordre, mais les poubelles n'ont pas l'air d'avoir incorporé la crainte des bombes qui se manifeste à Paris par l'emploi de sacs transparents, par exemple. D'ailleurs, si les journaux gratuits ne manquent pas, le métro a du retard, dirait-on, sur le métro de Montréal (qui a longtemps eu du retard sur le métro de Toronto) : pas trace de poubelles ou bacs pour le recyclage.

En attendant le début du congrès pour lequel je suis venu, j'ai quelques heures à occuper. Comme je suis à deux pas de la Fifth Avenue, j'ai l'embarras du choix, puisque c'est l'artère des grands musées — Guggenheim (fermé aujourd'hui), MOMA — et aussi des bureaux de Tor.

Alors, que faire?

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2006-11-05

 

La faute à Henry Sanders

La faute à qui?

Dans le New York Times, Michael Kinsley signe cette fin de semaine un article (inscription requise) sur le déclin de la démocratie aux États-Unis, sous la forme d'un survol des livres parus sur le sujet de la politique étatsunienne et de sa réforme. Tout en faisant le tour des différentes thèses, il propose sa propre théorie sur le sujet. En gros, il impute la déchéance de la démocratie étatsunienne à la malhonnêteté intellectuelle. Trop d'acteurs de la vie politique affirment des choses qu'ils savent être fausses et refusent d'appliquer à leur cas les mêmes raisonnements qu'ils appliquent au cas des autres, ou vice-versa. (Un nouveau livre soutient, par exemple, que la Maison Blanche de Bush ridiculisait les fondamentalistes chrétiens et leurs dirigeants dès qu'ils avaient le dos tourné, alors que les Républicains de Bush faisaient souvent étalage en public de leur adhésion aux valeurs chrétiennes...)

Le problème me semble nettement plus fondamental. Ce sont toutes les lois, règles et normes qui sont rejetées par la culture dominante aux États-Unis, en particulier ces injonctions prudentielles qui exigent de l'individu un certain contrôle de soi. L'ancien idéal anglo-saxon de la retenue, le self-restraint du gentleman flegmatique, n'est plus vanté. Or, refuser de mentir quand c'est la solution la plus facile et respecter la loi quand elle nous gêne, c'est exigeant, c'est contraignant et c'est la base de la civilisation. Au contraire, l'idéal régnant est beaucoup plus inquiétant : la fin justifie les moyens. Tous les moyens.

Plus encore que le vieil aphorisme « All's fair in love and war », c'est l'aphorisme attribué à Vince Lombardi qui gouverne : « Winning isn't everything, it's the only thing ». (En fait, même si Lombardi a souvent fait de la victoire une vertu cardinale, il s'agirait d'un bon mot inventé par un entraîneur antérieur, Henry Russell Sanders.) Si on peut tout justifier dans le cadre d'un simple jeu, et tout jeu perd beaucoup de son intérêt si on triche, que ne justifiera-t-on pas quand l'enjeu sera plus important?

Vouloir gagner à tout prix, c'est subordonner la vérité à son propre plaisir. Tricher, c'est refuser la réalité du rapport des forces ou de ses propres qualités. La dictature de la satisfaction individuelle et immédiate est une tendance lourde aux États-Unis et elle concerne aussi bien la droite que la gauche. Elle sous-tend les habitudes de consommation, elle a alimenté la contre-culture des années soixante et le relativisme outrancier de certains intellectuels, elle pousse à la fraude dans tous les domaines, y compris la finance (Enron) et la science (voir le cas d'Eric Poehlman). Quelques commentateurs ont fait le lien, mais sans forcément entrevoir l'effet corrosif du rejet des règles au nom d'une fin ultime, la gratification de l'égoïsme de chacun.

Car, si on fait de la gratification individuelle la valeur suprême, il ne reste aucun moyen de trancher entre deux égoïsmes autre que le recours à la force. Et si la force impose à la longue sa propre version de la réalité, l'exercice est souvent long et toujours destructeur.

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2006-11-04

 

Deux pointes de pizza

Mon horaire m'oblige parfois à manger au comptoir à pizzas le plus proche.

Ce que je remarque de plus en plus, ce sont des employés qui me proposent systématiquement d'acheter deux pointes. Il me semble qu'il n'en allait pas de même il y a dix ou quinze ans, à Toronto ou Ottawa.

Est-ce une tactique de vente inspirée par les méthodes bien connues en usage dans les McDonald's? Il suffit parfois d'offrir ou de suggérer pour qu'un client affamé décide d'acheter, même s'il n'y a aucun avantage financier à le faire. Ce qui fait que le commerçant a tout avantage à les inviter à en demander plus. Ou serait-ce les clients qui sont de plus en plus nombreux à réclamer deux pointes?

Quand il s'agit de jeunes gens dans la vingtaine, on se dit que leur métabolisme est sans doute en mesure de brûler plus de calories. Je veux bien, mais s'ils prennent le pli et continuent à commander des portions doubles, il ne faudra pas s'étonner qu'ils s'ajoutent au nombre grossissant (!) de personnes obèses...

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2006-11-03

 

Archéologie stellaire

Je m'intéresse depuis longtemps aux supernovae.

Tout naturellement, j'ai lu avec intérêt un pré-tirage (.PDF) portant sur SN 1987A. Dans cet article de M. Parthasarathy, David Branch, E. Baron et David J. Jeffery, on soumet à la communauté des astronomes une observation spectroscopique oubliée de l'étoile qui a donné naissance à la supernova observée en 1987.

Cette étoile, qui porte le nom fort peu poétique de Sanduleak -69 202, demeure un objet mystérieux. (Mais son nom n'est en rien mystérieux : il fait tout simplement référence à Nicholas/Nicolae Sanduleak (1933-1990), un astronome étatsunien d'origine roumaine qui a compilé avant 1970 une liste d'étoiles dans les Nuages de Magellan. Les chiffres décrivent probablement la déclinaison de l'étoile dans un système de coordonnées précis.) En effet, tout indique que c'est une supergéante bleue qui a explosé. Ceci ferait de SN 1987A une supernova atypique, car les modèles théoriques indiquent que la plupart des supernovae devraient résulter de l'explosion de supergéantes rouges.

Du coup, les astrophysiciens se demandent si Sanduleak -69 202 aurait été une supergéante rouge qui est devenue une supergéante bleue après avoir éjecté une partie de son atmosphère superficielle, ou s'il faut croire qu'elle est devenue une supergéante bleue quand elle aurait fusionné avec une compagne stellaire moins massive... D'autres croient que les supergéantes bleues pourraient exploser sous la forme d'une supernova si elles incluent moins de « métaux » ou si elles sont plus massives à l'origine que la moyenne des supergéantes rouges. (Quand les astronomes parlent de « métaux » dans la composition des étoiles, ils désignent par ce mot tous les éléments du tableau périodique qui ne sont ni de l'hydrogène ni de l'hélium...)

Le spectrogramme exhibé dans l'article en question est caractérisé par une très basse résolution, mais qui est suffisante pour distinguer les principales catégories d'étoiles. Un spectrogramme peut-il être touchant? Celui-ci me rend nostalgique, car il me rappelle une époque presque révolue de l'astronomie, quand on travaillait avec des plaques photographiques, avant le balayage presque complet du numérique.

Et puis, pour les astronomes canadiens, SN 1987 A est un peu leur supernova, car c'est un Canadien qui l'avait signalée au reste du monde, et plus précisément un collègue de mon alma mater, qui travaillait alors à l'observatoire de l'Université de Toronto au Chili. En effet, Ian Shelton avait pris les premières photos de la supernova d'un petit observatoire au sommet d'une montagne au Chili où j'ai travaillé moi aussi, cinq ans plus tard.

En même temps, l'exercice rattache l'astronomie à l'histoire. Un document presque historique éclaire l'histoire d'une étoile lointaine, qui est elle-même un objet récent... Sanduleak -69 202 est une étoile qui n'a vécu que quelques centaines de milliers d'années. Quand on visite la grotte du Pech Merle en France, on peut contempler des fresques pariétales plus anciennes que la nébuleuse qui entourait Sanduleak -69 202 avant la supernova. En vingt mille ans environ, l'étoile a terminé son parcours, accouchant d'une supernova visible sur Terre, à des kiloparsecs. Quelle sera la prochaine supernova visible de chez nous? Bételgeuse? Ou peut-être, note Phil Plait, que ce sera la supergéante bleue Sher 25 de l'amas NGC 3603 dans le bras galactique du Sagittaire, une jumelle de Sanduleak -69 202 à vingt mille années-lumière environ de la Terre?

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2006-11-01

 

L'économie va-t-en-guerre

La guerre n'est jamais loin quand on s'intéresse à l'histoire de l'humanité.

Et on peut en tirer des leçons intéressantes, voire surprenantes. Prenons donc ce cliché de la science-fiction que le président Ronald Reagan lui-même avait répété à Gorbatchev lors d'une rencontre à Genève, selon ses dires en 1985. Il aurait expliqué comment les différends opposant les États-Unis et l'Union soviétique compteraient pour bien peu si les peuples de la Terre étaient soudain menacés par une espèce extraterrestre : « We'd forget all the little local differences that we have between our countries, and we would find out once and for all that we really are all human beings here on this Earth together. »

En fait, le scénario d'Independence Day est loin d'être la norme quand des envahisseurs exotiques débarquent quelque part. À moins de véritablement manifester une volonté d'extermination tous azimuts, les conquérants de l'histoire connue ont souvent noué des alliances de circonstance avec telle ou telle faction pour ensuite s'imposer. Les exemples les plus récents en Afghanistan et en Irak montrent bien qu'un envahisseur disposé à faire quelques promesses ne ferait pas nécessairement l'union contre lui, au contraire. Divide et impera s'applique aussi à la constitution des empires...

L'Histoire suggère aussi que l'économie est loin d'être un facteur négligeable. Quand la Première Guerre mondiale a éclaté, les principaux pays européens étaient à l'apogée de leur puissance et de leur prospérité. En termes absolus et relatifs, ils n'avaient jamais été plus riches et plus puissants. Les générations montantes avaient connu une amélioration presque continuelle du niveau de vie rendue possible par les fruits de la première Révolution industrielle. Des nouvelles inventions, de l'éclairage électrique aux tramways, en passant par le téléphone, le cinéma et le moteur à explosion, rendaient la vie plus facile et ouvraient des perspectives séduisantes. Le règne européen sur de grandes parties du monde semblait confirmer la position privilégiée des natifs de cette péninsule mineure de l'Eurasie.

Faut-il s'étonner alors que les déclarations de guerre aient soulevé l'enthousiasme, sinon de tous, du moins de nombreuses personnes qui ne s'inquiétaient pas pour leur avenir et qui ne voyaient que l'intérêt de quelques mois de manœuvres militaires au vert, loin des villes crasseuses et des emplois abrutissants? Cette même prospérité était encore plus marquée pour les élites dirigeantes qui n'avaient jamais été obligés de se remettre en question. La guerre n'avait pas été déclarée de gaieté de cœur, non, car il y avait eu des réticences et des tentatives de se raviser à la onzième heure, mais personne n'avait envisagé autre chose que les scénarios les plus optimistes. Les pertes financières et humaines associées à une guerre de quelques mois suffisaient à effrayer les esprits les plus raisonnables, mais elles semblaient supportables dans le contexte d'alors. Les armées de l'Europe s'étaient donc ébranlées, mobilisant à la fois les hommes et les enthousiasmes.

Dans un livre sur cette époque, Modris Eksteins a souligné la part de dévotion, voire d'amour, que les grands projets d'une époque vouée au progrès savaient susciter. La guerre serait apparue au départ comme un grand projet qui exigerait des sacrifices mais qui, comme les autres grands projets, porterait fruit. L'ivresse du sacrifice poussait sans doute à croire que plus les sacrifices seraient grands, plus les résultats de l'entreprise seraient grandioses. La prospérité de la Belle Époque n'était-elle pas la confirmation concrète de cette équation? D'où l'enthousiasme va-t-en-guerre de ceux qui se croyaient invincibles.

En revanche, avant la Seconde Guerre mondiale, les principales démocraties optent pour l'apaisement, et non pour l'affrontement immédiat avec les dictatures fascistes. Elles se remettent à peine des misères de la crise économique consécutive au krach de 1929. Elles se souviennent aussi des coûts de la Grande Guerre, mais les difficultés intérieures les poussent à ne pas pousser à la guerre, à ne pas insister. (Auraient-elles été aussi coulantes avant 1929?) À la limite, les documents suggèrent que, dans le contexte de la dépression économique, on surestime en 1936 et en 1938 les coûts et les risques d'une guerre avec l'Allemagne nazie au moment où elle entame à peine son réarmement.

Sous-estimer les conséquences quand l'économie se porte bien et les surestimer quand elle va mal, c'est tout naturel, après tout. Du coup, on comprend mieux la décision des États-Unis de faire la guerre en 2002-2003. Quand ceux-ci renversent le régime des Talibans et envahissent l'Irak, le pays vient de connaître des années dorées, le long boom technologique que l'on croyait sans fin... (On peut d'ailleurs faire des rapprochements avec les États-Unis des années 1960, assez riches et prospères pour envisager une guerre au Viêt-Nam sans états d'âme inutiles.) Même si la bulle technologique avait implosé, il restait un fond de prospérité suffisant pour isoler les élites des réalités désagréables...

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Les générations qui paient...

L'annonce par Ottawa, ce soir, en ce qui a trait aux fiducies de revenu d'entreprise, est courageuse, surprenante, intelligente, voire habile.

Mais est-elle équitable? Elle est courageuse parce que les Conservateurs reviennent sur un engagement solennel... ou, du moins, une promesse électorale. Les politiciens ont l'habitude de remettre la réalisation de leurs promesses électorales aux calendes grecques et le public ronchonne sans jamais leur en tenir vraiment rigueur. Mais comme Stephen Harper fait grand cas de son respect de la parole tenue en matière de promesses électorales, rompre aussi spectaculairement une promesse faite aux électeurs les plus proches de sa ligne de pensée, c'est un sacrifice délibéré d'un certain nombre d'électeurs potentiels.

Elle est intelligente parce qu'elle met fin à l'emballement croissant des compagnies canadiennes pour les avantages fiscaux propres aux fiducies de revenu d'entreprise, avec tout ce que cela entraînait comme manque à gagner pour le Trésor canadien. Et elle sera habile si elle permet de renforcer l'impression que cherche à créer Stephen Harper en se présentant comme un chef avec des principes et de la poigne.

Mais est-elle équitable? Flaherty annonce deux mesures compensatoires. La première permettra désormais le fractionnement des revenus de pension d'un couple à la retraite, ce qui permettra donc aux retraités de payer des impôts correspondant à des revenus individuels beaucoup plus bas. (Deux individus gagnant 40 000 $ chacun paieront moins qu'un seul gagnant 80 000 $ en revenus de retraite.) La seconde haussera de 1000$ le crédit d'impôt en raison de l'âge. En plus, Flaherty a tenté d'amadouer les grandes compagnies en promettant une réduction de l'impôt sur les corporations.

La combinaison de ces mesures semble bénéficier avant tout aux retraités et aux personnes âgées. Sans oublier les compagnies qui ont trouvé un abri fiscal encore valable pour quelques années. À première vue, cela déplacera le fardeau fiscal relatif vers les autres contribuables, et en particulier les jeunes et les moins riches. Heureusement pour Stephen Harper, il ne compte pas vraiment sur eux pour se faire élire.

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