2006-12-12

 

Vêpres vénitiennes

Le nouveau Bond a un certain charme vespéral...

Je parle du film, évidemment. Casino Royale raconte le déclin et le naufrage de l'humanité de l'agent secret britannique 007. Le film précédent avait donné dans la science-fiction, et pas à près. Le retour à la réalité est d'autant plus percutant.

Il y a certes quelques gadgets improbables dans le décor, mais la modernité technologique se contente sans peine de téléphones cellulaires et autres ordinateurs portables. L'invraisemblance est plutôt au rendez-vous dans les dernières scènes qui se passent à Venise. J'ai la flemme d'aller voir sur internet comment on justifie l'écroulement dans l'eau de ce palazzo mineur. Aux dernières nouvelles, les maisons de Venise n'étaient pas des palais flottants... Et la profondeur requise pour engloutir cette demeure de deux ou trois étages semble bien improbable, au moins aussi improbable que la navigation des mêmes canaux par le Nautilus de Nemo dans The League of Extraordinary Gentlemen...

Casino Royale est le premier roman de Fleming que j'ai lu, peut-être même avant d'avoir vu mon premier Bond au cinéma. De mémoire, le roman se passait dans la France de l'après-guerre et ne manquait pas d'atmosphère. Lorsque le film arrive au Monténégro actuel (un choix intéressant, puisque la guerre civile yougoslave n'est pas si lointaine, mais le cadre n'est exploité que pour ses décors d'époque), l'intrigue commence à se rapprocher beaucoup de celle du roman.

Malheureusement, sans doute pour flatter le public étatsunien dans le sens du poil, les créateurs du film ont substitué le poker au baccarat (chemin de fer) comme jeu au centre de l'affrontement entre Bond et Le Chiffre. Dans le roman de Fleming, ce choix justifiait la stratégie de l'agent secret puisque le baccarat est un jeu de cartes dont les probabilités sont relativement faciles à calculer pour les joueurs. Le poker est bien différent. De fait, la narration se rabat sur les bluffs pratiqués par chaque joueur. Comme le soupçonne la comptable britannique qui flanque Bond, Vesper Lynd, le poker est beaucoup plus aléatoire...

Qu'est-ce qui a le moins vieilli dans la série des aventures de Bond? Peut-être bien que c'est le luxe. Il y a toujours des riches et des pauvres, comme il y a quarante ans. Les films ont parfois misé sur l'exotisme, ou sur les gadgets et les machines, mais ils ont souvent misé aussi sur la vie des gens riches et célèbres. Les ennemis de Bond sont souvent riches à millions (Le Chiffre en financier véreux qui mise cent millions de dollars sur une manigance boursière n'est pas une exception), ce qui permet à l'agent de vivre la vie dorée de ses ennemis... avant de les abattre. Ce qui en fait une sorte de Robin des Bois — qui, ne l'oublions pas, était aussi un aristocrate dans plusieurs versions du mythe.

L'obscénité du grand luxe fascine les spectateurs, mais il rend aussi les adversaires de Bond immédiatement antipathiques. La fin de Casino Royale nous montre un petit château, sans doute dans le coin du lac Como ou du lac de Garde, qui est justement l'humble logis du manipulateur responsable de tout.

Les agents secrets ont toujours appartenu à l'heure de la brunante, entre chien et loup, car ils sont justement quelque part entre les deux, entre le chien domestiqué et le loup sans loi. Le film joue sur cette trouble ambiguïté en nous présentant un agent secret qui se laisse aller à aimer, mais qui se montre également aussi impitoyable, voire cruel, qu'on s'y attendrait de la part d'un agent autorisé à tuer.

Le prochain Spiderman nous montrera un héros qui bascule du côté de la nuit. La force de Bond, en principe, est d'être un visiteur aguerri des ténèbres. Les films n'ont pas toujours misé sur cette dimension du personnage; Bond a toujours été celui qui livre la marchandise, le mâle qui performe, de sorte qu'il était parfaitement naturel de le faire jouer dans des films où il accomplissait avec succès une mission officielle, avant de conclure en acceptant une mission beaucoup plus intime et tout aussi masculine. Cette fois, Casino Royale se termine sur autre chose, qui ressemble plutôt à l'amorce d'une série qui formera un tout plus organique.

On verra.

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