2006-12-27

 

La comète de Fabrice

Le nouveau roman de Mark Frutkin d'Ottawa, Fabrizio's Return, a occupé mes rares loisirs avant Noël. L'ouvrage me laisse toutefois dans l'indécision, et c'est sans doute ce que désirait l'auteur...

Même si le roman se passe à Crémone en Italie et coïncide avec deux passages au périhélie de la comète de Halley (depuis revenue en 1835, 1910 et 1986), il n'a pas grand chose d'historique. Malgré quelques allusions à des personnages réels et quelques clins d'œil, Frutkin s'intéresse beaucoup plus à la fiction qu'à l'histoire. Dès les premières pages, le texte en fournit la preuve. Un personnage demande à un autre si un télescope relève de la science ou de la magie, une question que l'on poserait aujourd'hui peut-être si on était mis en face d'une merveille, mais qui était loin d'être aussi simple au XVIIe siècle. (Après tout, d'aucuns ont proposé que la première description du télescope réfracteur remonte au célèbre Magiae naturalis de Giambattista della Porta au milieu du XVIe siècle.) Bref, Frutkin bascule parfois dans l'anachronisme.

Le personnage principal est sans doute Michele Archenti, l'« avocat du diable » chargé en 1758 de l'enquête sur la canonisation du prêtre Fabrizio Cambiati, un habitant de Crémone au siècle précédent réputé pour ses cures et guérisons. L'intrigue noue trois fils enchevêtrés, le premier s'intéressant à Fabrizio, le deuxième à Archenti et le troisième aux aventures de quelques personnages (Arlequin, Pantalon) issus d'une prestation de la commedia dell'arte. De nombreux miracles sont attribués à Cambiati, mais Archenti ne tarde pas à découvrir qu'il pratiquait l'iatrochimie, c'est-à-dire l'application de la chimie/alchimie à la médecine, dans la lignée de Paracelse. En attendant de découvrir quelque chose de nettement plus compromettant sur les origines du bon docteur.

De fait, la narration brouille vite toutes les distinctions et toutes les distances, confondant l'ordinaire et l'extraordinaire, le passé et le futur, la science et la magie, la réalité et la fiction. Des personnages impossibles hantent les pages du livre, en particulier ce Rodolfo apparemment immortel qui porte sur son dos le squelette de son frère, assassiné par vengeance. Des visions apparaissent aux personnages et des événements extraordinaires bouleversent la vie des gens.

La prose de Frutkin donne chair à ces événements extraordinaires, mais ce poète devenu romancier façonne un monde beaucoup plus qu'il ne lui donne une vie propre. Les personnages sont trop clairement pris au piège de destins voulus par l'auteur, qui déguise à grand-peine ses intentions pour eux. On a l'impression de voir se nouer et se dénouer un mélodrame italien, pas si différent des aventures de Pantalone et Arlecchino que l'écrivain n'a pas négligé d'inclure, peut-être en guise d'avertissement au lecteur. Mais la mise en abyme d'un texte conscient de son propre projet suffit-elle à justifier la banalité? Pas sûr.

Bref, on lira ce roman pour la prose brillante de Frutkin, pour l'évocation de l'Italie lombarde aux XVIIe et XVIIIe siècles et pour des personnages (en particulier féminins) qui prennent vie... encore que l'attribution de la sensualité la plus chaude aux femmes et de l'intellect le plus froid aux hommes a quelque chose d'un peu trop tranché pour convaincre. Mais je suis resté sur ma faim pour tout le reste des plaisirs d'un bon roman.

(Du : Illustrated London News, 23 avril 1910)

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