2006-11-10

 

Une petite journée frénétique

Même si je n'ai pas l'impression d'avoir fait grand-chose, je ne peux pas me plaindre de ma journée d'hier ou de celle d'aujourd'hui.

Hier, c'était la découverte (enfin!) de la New York Public Library de 42nd Street. L'édifice est magnifique, monumental à souhait... et à faire rougir la Grande Bibliothèque de Lise Bissonnette ou la Grande Bibliothèque de François Mitterrand. Les services ne sont pas mauvais non plus. J'ai pu m'inscrire (sans payer) et consulter un livre afin de compléter un peu de travail pour un de mes cours. Et il y avait aussi une salle pour se connecter sans fil (et sans frais) à internet. Mais comme j'avais fait le chemin à pied, j'ai aussi découvert une tranche variée du paysage urbain de Manhattan, y compris le fameux Flatiron Building qui abrite les bureaux de Tor.

Aujourd'hui, c'était l'occasion de livrer ma communication sur les automates dans la fiction médiévale (les Boréaliens en avaient eu la primeur il y a un an) et l'accueil a semblé bon... même si la période de questions a été interrompue par un exercice d'évacuation en cas d'incendie au moment précis où j'allais répondre. Et il ne faut pas croire que je l'avais arrangé avec les pompiers de New York pour éviter de prendre la parole!

Outre la communication fascinante de Scott Lightsey sur l'utilisation par le roi Édouard en Angleterre d'un automate londonien pour se mettre en scène comme roi guerrier et salvateur au début de la guerre de Cent Ans (spectacle qui a pour pendant l'hommage rendu à Charles VII à Rouen par un cerf automate en 1449 à la fin de la guerre), j'ai surtout retenu les communications d'une séance sur l'histoire et la philosophie des mathématiques.

Ellen Moll a évoqué la vie et l'œuvre d'Ada Lovelace, ainsi que sa représentation dans certaines fictions (mais pas dans The Difference Engine). Entre autres, elle signalait les travaux d'Ada sur le fonctionnement du cerveau, ce qu'il faudrait rapprocher des tentatives de Boole de formaliser le fonctionnement de la pensée.

Et Bonnie Shulman a livré une communication volontairement provocante intitulée «What is White Mathematics?». Les mathématiques sont-elles universelles ou sont-elles des outils au service de l'imposition de la culture et des valeurs européennes sur d'autres sociétés? Elle a cité des exemples intéressants de sociétés qui ne valorisent pas autant la mesure ou le décompte, ou qui ont dû adopter les mathématiques occidentales en adoptant aussi des valeurs et des acquis culturels propres à l'Occident.

Il ne s'agissait pas de soutenir que les angles d'un triangle dans un plan de courbure nulle ne totalisent pas 180 degrés. Plutôt, il s'agissait de signaler (i) l'emploi des mathématiques occidentales par le commerce et l'administration coloniale de l'Occident, au détriment des traditions et valeurs antérieures, et (ii) le contenu culturel de la pédagogie des mathématiques dans les écoles coloniales. (Un problème de calcul concernant des escaliers mécaniques pouvait être soumis à de jeunes Africains il y a cinquante ans.)

Néanmoins, cette remise en question me semble esquiver des questions cruciales. Dans quelle mesure certains pays, comme le Japon ou la Chine, ont adopté des pratiques mathématiques occidentales même quand elles n'étaient pas imposées par la force, tout simplement parce que ces pratiques étaient plus efficaces? Dire que les mathématiques modernes sont le produit d'une certaine histoire et de certains pays, et que les manuels reflètent cette origine, ne me paraît pas exactement bouleversant comme découverte.

Enfin, je reste dubitatif face aux critiques de cet enracinement occidental des mathématiques. Comme Shulman l'indiquait, on pouvait trouver des questions en décalage avec la culture des jeunes élèves même aux États-Unis. Les mathématiques imposent l'abstraction et il ne faut pas sous-estimer à quel point c'est une difficulté quand on a toujours travaillé avec des objets concrets et particuliers. (Un problème sur des articles d'habillement, pris au niveau le plus concret, suscitera des questions sur le juste prix d'un blouson plutôt que l'application de la bonne procédure pour obtenir la solution.)

Mais on frise la démission, à mon avis, quand on suggère qu'il ne faudrait pas enseigner l'abstraction qui permet la généralisation ou qu'il ne faudrait jamais exposer les jeunes, élèves et étudiants à des réalités nouvelles pour eux. Quand des critiques étatsuniens célèbrent la singularité culturelle et les particularités culturelles, au nom d'une certaine rectitude politique, ne sont-ils pas en train de légitimer le refus commun de leurs concitoyens de s'intéresser vraiment à d'autres cultures, bref, de défendre leur propre exceptionnalisme culturel?

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Comments:
C'est ce que je dénonce dans mes propres "travaux", qui se rapprochent des idées d'orwell, c'est-à-dire que l'on éduque pas les gens. Ils n'ont ensuite aucun esprit critique et peuvent gober n'importe quoi et en particuliers tous les "relativismes", c'est-dire toutes les idées affirmant que tous le monde est pareil, le gentil ou le méchant.
Ce genre de façon de penser (ou pultôt de ne plus penser) de la part de ses citoyens est idéale pour une dictature (qui peut même porter le doux nom de démocratie, par exemple)
 
En effet, c'est toujours plus facile de mener par le bout du nez des gens qui n'ont jamais appris à voir plus loin que le bout de leur nez.

Le cas de l'Irak est patent. Bush lui-même, au moment de déclarer la guerre, n'avait pas la moindre idée des distinctions sectaires (chiisme, sunnisme) en Irak...
 
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