2006-11-05

 

La faute à Henry Sanders

La faute à qui?

Dans le New York Times, Michael Kinsley signe cette fin de semaine un article (inscription requise) sur le déclin de la démocratie aux États-Unis, sous la forme d'un survol des livres parus sur le sujet de la politique étatsunienne et de sa réforme. Tout en faisant le tour des différentes thèses, il propose sa propre théorie sur le sujet. En gros, il impute la déchéance de la démocratie étatsunienne à la malhonnêteté intellectuelle. Trop d'acteurs de la vie politique affirment des choses qu'ils savent être fausses et refusent d'appliquer à leur cas les mêmes raisonnements qu'ils appliquent au cas des autres, ou vice-versa. (Un nouveau livre soutient, par exemple, que la Maison Blanche de Bush ridiculisait les fondamentalistes chrétiens et leurs dirigeants dès qu'ils avaient le dos tourné, alors que les Républicains de Bush faisaient souvent étalage en public de leur adhésion aux valeurs chrétiennes...)

Le problème me semble nettement plus fondamental. Ce sont toutes les lois, règles et normes qui sont rejetées par la culture dominante aux États-Unis, en particulier ces injonctions prudentielles qui exigent de l'individu un certain contrôle de soi. L'ancien idéal anglo-saxon de la retenue, le self-restraint du gentleman flegmatique, n'est plus vanté. Or, refuser de mentir quand c'est la solution la plus facile et respecter la loi quand elle nous gêne, c'est exigeant, c'est contraignant et c'est la base de la civilisation. Au contraire, l'idéal régnant est beaucoup plus inquiétant : la fin justifie les moyens. Tous les moyens.

Plus encore que le vieil aphorisme « All's fair in love and war », c'est l'aphorisme attribué à Vince Lombardi qui gouverne : « Winning isn't everything, it's the only thing ». (En fait, même si Lombardi a souvent fait de la victoire une vertu cardinale, il s'agirait d'un bon mot inventé par un entraîneur antérieur, Henry Russell Sanders.) Si on peut tout justifier dans le cadre d'un simple jeu, et tout jeu perd beaucoup de son intérêt si on triche, que ne justifiera-t-on pas quand l'enjeu sera plus important?

Vouloir gagner à tout prix, c'est subordonner la vérité à son propre plaisir. Tricher, c'est refuser la réalité du rapport des forces ou de ses propres qualités. La dictature de la satisfaction individuelle et immédiate est une tendance lourde aux États-Unis et elle concerne aussi bien la droite que la gauche. Elle sous-tend les habitudes de consommation, elle a alimenté la contre-culture des années soixante et le relativisme outrancier de certains intellectuels, elle pousse à la fraude dans tous les domaines, y compris la finance (Enron) et la science (voir le cas d'Eric Poehlman). Quelques commentateurs ont fait le lien, mais sans forcément entrevoir l'effet corrosif du rejet des règles au nom d'une fin ultime, la gratification de l'égoïsme de chacun.

Car, si on fait de la gratification individuelle la valeur suprême, il ne reste aucun moyen de trancher entre deux égoïsmes autre que le recours à la force. Et si la force impose à la longue sa propre version de la réalité, l'exercice est souvent long et toujours destructeur.

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