2006-08-16

 

Dans un cerveau bleu

L'étrange est bleu, les oranges sont bleues, la Terre est bleue comme une orange. Et quand on pèle une orange bleue, on a quelque chose qui ressemble fort à un cerveau bleu. De la matière grise et bleue...

Un cerveau bleu? Mais oui. Après Deep Blue, qui avait réalisé l'ambition de von Kempelen, c'est au tour du cerveau de devenir bleu comme IBM.

En effet, « Big Blue » a lancé l'an dernier la modélisation d'une partie du cortex humain dans le cadre du projet Blue Brain en partenariat avec le Brain-Mind Institute de l'École polytechnique fédérale de Lausanne

Il s'agit d'une autre voie pour se rapprocher de l'appréhension de la pensée, une méthode bottom-up pourrait-on dire, à opposer sans doute à la méthode top-down des chercheurs en intelligence artificielle d'hier. Pendant longtemps, il a été plus facile d'avancer avec des formalisations du raisonnement, comme dans le cas du Logic Theorist de 1956, dans la lignée des efforts de George Boole et Gottlob Frege. (Pour un survol de la question de l'intelligence artificielle, voir cette transposition PDF d'une présentation Powerpoint.)

En quelque sorte, on revient même à l'approche de Warren Sturgis McCulloch et Walter Pitts en 1943 quand ils publiaient dans le Bulletin of Mathematical Biophysics et collaient de très près à ce que l'on croyait savoir de l'activité des neurones.

Le premier pas, ce sera Blue Column, une modélisation d'un module cortical (aussi appelé hyper-colonne ou hypercolonne par certains), capable de simuler dix mille neurones et leurs interconnexions, au nombre de cent millions environ. (L'ampleur du défi de la simulation de tout le cerveau se laisse deviner des statistiques cérébrales.) Ce chiffre est typique d'un module cortical dans le cerveau du rat, car les modules corticaux du cerveau humain comptent plutôt soixante mille neurones environ. Il faut bien commencer quelque part... Cela devrait prendre deux ans — juste à temps pour l'Année du Rat en 2008.

Les responsables envisagent de reprendre plus tard la simulation en modélisant le fonctionnement des neurones au niveau moléculaire. L'étape suivante, ce serait évidemment de reproduire et réunir plusieurs modules corticaux (simplifiés, au besoin) afin de commencer à reproduire le néocortex, composé de centaines de milliers de modules (un million environ dans le cas du cerveau humain). De fait, à terme, les participants comptent s'attaquer à l'étude du cerveau humain.

Les avantages seraient nombreux. Le décodage du langage neural ne serait pas le moindre. Les auteurs de science-fiction pourraient envisager des formes de télépathie technologique. Et il deviendrait possible de songer à simuler tout le cerveau. Il deviendrait possible d'étudier la pensée de l'extérieur pour la première fois.

Du coup, l'investigation des mécanismes employés par la seule forme d'intelligence qui soit connue pour donner des résultats éclairerait les bases de leur fonctionnement, dans le but de les reproduire dans le cadre de l'intelligence artificielle. Entre autres, il deviendrait possible de maîtriser les bases de ce qu'on appelle un « ordinateur liquide » (Liquid Computer), mais aussi de mieux comprendre la vue humaine, le traitement du son et l'intégration de la motricité et des sens.

Malgré son nom, le projet reste loin de la reproduction d'un cerveau entier, mais, pour employer une métaphore informatique, ce sera l'ouverture d'une fenêtre donnant sur l'intérieur du crâne. Il existe au moins une entreprise concurrente, CCortex, dont l'ambition est plus grande mais dont le sérieux est difficile évaluer. D'autres groupes de neuroanatomie computationnelle, dont celui-ci en Pologne ou l'Équipe 3 de l'Unité 371 de l'INSERM en France, énoncent les mêmes visées. L'entreprise jouit d'une reconnaissance institutionnelle depuis au moins le lancement du Human Brain Project en 1993, aux États-Unis.

Le plus ironique, c'est sûrement que ces initiatives promettent de nous rapprocher de la pensée et des phénomènes conscients en général, mais que les responsables seraient sans doute les plus catastrophés si ces simulations manifestaient quelque chose de l'ordre de la conscience...

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