2006-06-12

 

Dans le tourbillon de Wilson

Le titre du roman reste mystérieux jusqu'au bout, franchement.

Malgré les tentatives de Robert Charles Wilson de justifier le titre de son roman Spin, qui désigne une membrane temporelle placée autour de la Terre par des puissances supérieures à l'aube du vingt-et-unième siècle, on n'y croit pas. Les rapports qu'il essaie d'établir entre le nom qu'on donne à cette membrane qui a fait disparaître les étoiles du ciel et les conséquences sur un monde désorienté sont beaucoup trop artificiels. La Terre n'est pas plongée dans un tourbillon révolutionnaire par cette intervention énigmatique; au contraire, c'est le monde à l'extérieur de la membrane qui se met à tourner tellement plus vite que des millions d'années s'écoulent dans le système solaire tandis que les mois se succèdent sur Terre.

Si Wilson avait imaginé un hétérocosme où la Terre aurait été prise au piège d'un tourbillon cartésien, le titre aurait eu quelque fondement, mais ce n'est pas le cas. (Je n'emploie pas ici hétérocosme dans le sens général de Linda Hutcheon, mais dans le sens plus spécifique d'un cosmos délibérément différencié du nôtre, tout comme une uchronie renvoie à une Histoire délibérément différenciée de celle que nous connaissons.) J'ai vraiment l'impression que le titre avait été trouvé avant l'écriture du roman, ou après-coup pour des raisons de mise en marché (une syllabe! un titre! ne manque que le point d'exclamation!).


Planche des Principia Philosophiae de Descartes (1644)

J'en ai déjà trop dit pour ne pas déflorer plusieurs des surprises du roman. En effet, Wilson nous tient en haleine et propose un roman de science-fiction extrêmement satisfaisant pour les fans de vieille date. (D'ailleurs, Spin a été mis en nomination pour un Prix Aurora.) Wilson s'était déjà essayé deux ou trois fois en nous offrant des grands mystères cosmiques dans Mysterium, Darwinia et quelques autres romans, mais il n'avait jamais réussi à tenir la distance. La révélation tombait à plat, les personnages n'étaient que partiellement sympatiques ou bien la conclusion se perdait dans les méandres de l'action, ou vice-versa.

Ce n'est pas le cas ici. Malgré quelques longueurs vers la fin de la première moitié, Wilson livre son roman le plus abouti depuis longtemps. Il distille les surprises et les rebondissements avec le brio d'un vétéran, sans nous faire attendre plus que nécessaire et en sachant même détourner notre attention jusqu'au moment souhaité. Bref, il ne rate pas une occasion de ferrer le lecteur.

L'action au présent se passe aux antipodes de l'Amérique du Nord. Le personnage principal, Tyler, endure des journées fiévreuses dans un hôtel anonyme de l'Indonésie tandis que sa compagne, Diane Lawton, cherche à se procurer les moyens de partir. Mais Tyler n'est pas malade, il devient plus qu'adulte grâce à un traitement martien qui lui inspire aussi une forme de graphomanie qui l'amène à se pencher sur son passé, dont il est séparé par quatre milliards d'années.

Un soir de son enfance, les étoiles ont disparu. Tyler a grandi dans l'entourage de la riche famille Lawton dont les enfants, Jason et Diane, deviendront des amis — et rien de plus, à son grand regret, dans le cas de Diane qu'il aime sans tout à fait se l'avouer.

Wilson combine plusieurs histoires. D'une part, il y a l'histoire des rapports entre Tyler, Jason et Diane, et leurs familles respectives. Comme toujours chez Wilson, les personnages sont particulièrement vivants et, comme dans toutes les familles qui se respectent, il y a des secrets qui finiront par sortir. Mais le roman s'attache aussi au mystère de la membrane temporelle et des intentions de ses constructions. Au fil des ans, des projets seront montés par l'humanité pour se donner une chance de les percer à jour — et d'échapper au sort qui l'attend, puisque le Soleil vieillit et gonfle à l'extérieur de la membrane....

Wilson réussit donc à combiner l'histoire d'un homme, de son enfance jusqu'à ses retrouvailles avec la femme qu'il a toujours aimée, et aussi celle de la planète. Il mise sur l'attrait intellectuel d'une énigme cosmique à résoudre en décrivant les hypothèses, les tentatives et les progrès graduels dans la compréhension de ce qui s'est passé. Si certains rebondissements semblent un peu mécaniques, il y a un nombre suffisant d'idées brillantes pour contenter tout amateur de sf classique. Et les scènes culminantes du roman nouent avec un synchronisme parfait qui n'a rien de trop visiblement forcé toutes les intrigues en cours.

Ma seule réserve concerne le futur dépeint par Wilson, qui est entièrement statique sur plusieurs plans (politique, technologique, etc.). Cette stabilité socio-politique lui permet de se concentrer sur les deux facettes principales de son histoire, mais cela mine un peu la vraisemblance de l'intrigue. Heureusement, le lecteur tourne si vite les pages pour savoir ce qui va se passer qu'il n'a pas vraiment le temps d'y réfléchir!

L'équilibre est délicat, mais Wilson réussit le tour de force de ne rien livrer trop tôt de ses meilleures révélations et d'offrir à un roman dominé par la peur de la fin du monde une conclusion qui opte pour l'optimisme à l'ancienne, et non pour le cynisme aigri des Houellebecq et Atwood.

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