2006-05-21

 

Science, fiction et imaginaires

J'ai raté l'ACFAS cette année (en toute franchise, même si je suis membre, je n'ai pas encore réussi à trouver l'occasion d'assister au congrès); il faudra que je me reprenne au Congrès des sciences sociales et humaines à l'Université York la semaine prochaine. J'affectionne les grands congrès de ce type en raison de leur nature profonde qui est celle d'être un festival d'idées, dont certaines qui seraient dignes de figurer dans des ouvrages de science-fiction. L'ACFAS a l'avantage d'embrasser les sciences exactes aussi bien que les sciences sociales et humaines, ce qui enrichit singulièrement les séances. En revanche, cela complique la tâche des dirigeants et porte-parole qui représentent des chercheurs qui sont parfois extrêmement gâtés par les nouvelles politiques de financement axées sur le développement de l'économie du savoir mais aussi d'autres chercheurs dont les recherches n'obtiennent pas autant de crédits.

Dans le supplément paru dans Le Devoir la fin de semaine dernière, il apparaît clairement que la problématique a été scindée en deux par les politiques gouvernementales. D'une part, il y a le financement de la recherche. D'autre part, il y a le financement des universités. Au Québec, ce sont des ministères différents qui chapeautent l'un et l'autre. La situation financière précaire de l'État québécois et l'augmentation sans frein des frais pour la santé a entraîné des gels et des remaniements dans les deux cas, et la priorité est donnée aux recherches qui engendrent des retombées mesurables et qui obtiennent l'appui d'intervenants externes. La Fédération québécoise des professeures et professeurs d'université (FQPPU) souhaiterait que les universités aient leur mot à dire dans ces grandes orientations, pour que les recherches moins « profitables » (en arts, en sciences sociales et humaines, et même dans les sciences naturelles quand elles se penchent sur des problèmes fondamentaux) ne soient pas entièrement négligées. Évidemment, l'avis des universitaires pèserait plus lourd si les universités québécoises avaient quelque chose à mettre dans la balance. Mais la FQPPU a soutenu la grève des étudiants et même si celle-ci ne visait pas exactement les droits de scolarité, elle n'allait pas non plus dans le sens du réalisme. Ainsi, les universités québécoises sont privées des revenus propres que représenteraient des frais de scolarité à la hauteur de la moyenne canadienne et commencent souvent tout juste à accumuler des fonds issus de dons et de legs. On devine sans peine que la voix des universitaires continuera à ne se faire entendre que faiblement dans les conseils des ministres...

Il y aura sans doute un peu plus d'optimisme dans l'air à l'Université York, dans un contexte où tous les chercheurs se retrouvent sur le même pied approximativement puisque tous ou presque relèvent des mêmes secteurs négligés. Et j'ai remarqué dans le programme de mes associations une ouverture notable sur l'étranger; le congrès semble attirer plus d'intervenants d'outre-mer, en paticulier de la France. Je me promets donc beaucoup de plaisir, et beaucoup de découvertes et de nouvelles idées, qui alimenteront peut-être ma science-fiction.

D'ailleurs, mon pessimisme relativement à l'utilisation de la science par la science-fiction n'est pas partagé par tous; un nouveau dossier en-ligne souligne les emprunts de parts et d'autre, et le fait avec beaucoup de sérieux.

Un autre dossier en-ligne recense les réponses de nombreux penseurs à une question de la Edge Foundation : quelle est votre idée dangereuse?

Une des idées les plus dangereuses demeure le matérialisme, semble-t-il, en particulier du point de vue de l'âme. Dangereuse non pas en raison de ses conséquences concrètes, mais en raison de l'opposition qu'elle suscite. L'ombre du 11 septembre 2001 nous porte-t-elle à exagérer l'importance de cette opposition? Il faut sans doute inscrire dans la même catégorie les réponses qui citent le choc non des civilisations mais de la science et de la religion, dans un sens ou dans l'autre. Ou ne s'agit-il que de deux manifestations d'un même phénomène, comme dans le cas du choc des civilisations? Cette idée aussi est citée...

La question corollaire de la nature et surtout des limites de la conscience humaine est soulevée avec une fréquence comparable. La thèse de la singularité des mondes, c'est-à-dire le contraire de la thèse de la pluralité des mondes, est aussi apparue. Encore une fois, ce sont moins les conséquences concrètes immédiates qui seraient révolutionnaires que la prise de conscience de notre solitude et de notre unicité. Et la question des différence entre les races ressurgit — au moins, personne ne minimise les risques de la réouverture de ce débat.

Dans plusieurs cas, ai-je remarqué, l'évaluation du danger se base non sur l'idée elle-même mais sur les réactions qu'on attribue aux autres. Et les penseurs en cause envisagent parfois des réactions diamétralement opposés à la même idée dangereuse...

Parmi mes préférées, j'aime bien la réponse de Nisbett, qui ne m'apprend rien mais qui serait effectivement tenue pour fort dangereuse pour la grande majorité des commentateurs, analystes et auteurs qui croient encore aux modèles simplifiés que nous échafaudons pour expliquer le comportement d'autrui et notre propre comportement. Sans trop pousser, on peut soutenir qu'il en découle que la fiction psychologique est de la foutaise, par conséquent, et que la littérature d'action est nécessairement plus réaliste.

J'aime aussi la réponse de Dennett, qui ramène sur le tapis le sujet des mèmes, et s'en sert pour demander qui nous deviendrons dans un monde submergé par un déluge de nouveaux mèmes. Ceci rejoint certaines de mes propres réflexions sur le déferlement exponentiel des nouvelles entités potentielles (prototechnologiques) dû à la combinatoire des idées existantes. J'ai déjà proposé que cette prolifération pourrait neutraliser la Singularité vingienne, et elle pourrait également exiger, dans un proche avenir, le développement de filtres comme adjuvants essentiels des esprits humains (ou non-humains)... Sans de tels filtres, chaque individu serait exposé à développer sa propre culture, au point de ne partager aucune référence commune avec autrui. La préservation de communautés humaines dont les discours seraient mutuellement intelligibles passerait par le développement de filtres de réalités, ou plutôt de filtres de cultures...

Et la réponse de Geoffrey Miller rejoint les observations de Bodanis et de nombreux autres. Malgré l'enthousiasme de Kurzweil, le gros du progrès technique tend à concerner de plus en plus les techniques de la virtualité — ce qui certes pourrait accélérer la transition à une intelligence supérieure, mais non l'avènement d'une civilisation technologique quasi omnipotente, ou capable d'exploits confinant à la magie dans le sens clarkien du terme. Il est assez amusant d'envisager que Miller aussi bien que Kurzweil ont raison, que nous aurons des intelligences numériques (artificielles ou non) d'ici dix ans, mais que le monde matériel ne sera pas beaucoup plus avancé que le nôtre l'est actuellement...

J'ai déjà lancé plusieurs séries de contributions dans le cadre de ce blogue, dont celle de l'iconographie de la SFCF et celle des films. La prochaine sera sans doute celle des idées dangereuses.

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