2006-05-18

 

Iconographie de la SFCF (9)

Commençons par un rappel des livraisons précédentes : (1) l'iconographie de Surréal 3000; (2) l'iconographie du merveilleux pour les jeunes; (3) le motif de la soucoupe; (4) les couvertures de sf d'avant la constitution du milieu de la «SFQ»; (5) les aventures de Volpek; (6) les parutions SF en 1974; (7) les illustrations du roman Erres boréales de Florent Laurin; et (8) les illustrations de la SFCF du XIXe siècle.

Non seulement la science-fiction moderne sera-t-elle une sorte d'OVNI dans le paysage littéraire et éditorial du Québec, mais elle arrivera aussi comme un OVNI, apparaissant sans crier gare. Exception faite des parutions isolées qui s'échelonne de 1896 à la fin des années 1950, la véritable transition s'amorce en 1960. Un des indices de cette découverte de la sf est l'excursion spatiale d'une grande série de la littérature populaire en fascicules de l'époque, celle des aventures de l'agent IXE-13. Cette littérature canadienne-française éditée sous forme de fascicules avait connu ses débuts durant la Seconde Guerre mondiale. Dans le domaine de la science-fiction que j'ai évoqué pour Solaris en 1999, il faut signaler les contributions d'Emmanuel Desrosiers (1897-1945). Lorsque les premiers fascicules à cinq cents sont lancés, Desrosiers signe sous un pseudonyme au moins cinq des six premières aventures du détective britannique John Steel. Dans la dernière aventure conservée, sixième de la série et datée du 8 avril 1941, le héros quitte Londres pour se rendre en Thuringe dans « l'Empire allemand ». Dans cet épisode intitulé Le monstre de Gravenstein, John Steel croise le fer avec un savant qui a créé une bête difforme née en laboratoire d'une seule cellule. (Ceci correspondait à certains travaux de biologistes contemporains qui avaient aussi impressionnés, entre autres, Aldous Huxley et Robert A. Heinlein dans Methuselah's Children.) Desrosiers a même touché à l'anticipation, dans le cadre incongru d'une série de romans d'amour en fascicules. En effet, il livre en 1941 une aventure intitulée Le lieutenant Aumont qui se déroule en 1979. Le Québec a été envahi par une armée venue du nord qui rase Trois-Rivières au moyen d'un explosif inconnu et prend par surprise les meilleurs généraux canadiens, pourtant des vétérans de la guerre russo-allemande de 1970... Après quelques péripéties, les envahisseurs se révèlent : ce sont des scientifiques qui ont décidé de prendre les grands moyens pour éradiquer un microbe dangereux, celui de la « scléro-dermie », maladie qui transforme la chair en pierre et qui s'est échappée des entrailles des Laurentides. Hormis la série éphémère (dix numéros peut-être) des Aventures futuristes de deux savants canadiens-français, parue en 1949 et signée du pseudonyme Louis Champagne, c'est bel et bien l'agent IXE-13, l'as des espions canadiens, qui va s'élancer le premier dans les espaces intersidéraux pour y connaître des aventures suivies. En effet, les aventures d'IXE-13 (Jean Thibault) et de sa femme T-4 (Gisèle Tuboeuf, jeune et jolie Française), et de leurs compagnons Roxanne et Marius Lamouche, occupent dix-huit livraisons, d'août à décembre 1960. Ce n'est pas beaucoup si on le rapporte aux 970 épisodes connus de la série, mais cela représente quand même environ 570 pages... A priori, c'est nettement plus étoffé que l'enclave science-fictive dans la série des Aventures amoureuses de la belle Françoise AC-12, l'incomparable espionne canadienne-française (Éditions Bigalle), dont on ne connaît que quatre épisodes parus entre 1957 et 1960 environ.

Le premier épisode de l'intermède sf est le 650, Les saboteurs du Pionnier I. L'agent IXE-13 et ses équipiers sont largués dans l'espace en essayant de prévenir le sabotage par des ennemis du « premier vaisseau de l'espace », doté d'un équipage de cinq personnes. Mais c'est l'épisode suivant qui passe de la politique-fiction à la science-fiction franche. Il est intéressant de noter que cette plongée dans la science-fiction coïncide avec une augmentation du prix des fascicules, qui passe de 12 à 15 cents à partir du numéro 652. La publicité placardée en quatrième de couverture de ce numéro permet de subodorer à quelles pressions les Éditions Police-Journal réagissaient en modifiant leurs prix et le contenu de leur série phare. Le magazine Tintin était vendu chaque semaine, et en couleur. Des enquêtes menés durant les années 1970 ont permis d'évaluer que le gros du lectorat de ces fascicules était composé de jeunes adultes, mais Tintin attirait une partie de ces lecteurs, sans doute, ainsi que les lecteurs plus jeunes dont le nombre croissait avec quelques années de retard sur le pic de naissances du baby-boom. Les Éditions Police-Journal ont-elles voulu profiter de l'espace ouvert par le prix de vente de 20 cents l'exemplaire de Tintin, tout en offrant quelque chose d'un peu plus dans le vent que les sempiternelles aventures d'espionnage d'IXE-13?

Les aventures d'IXE-13 dans l'espace quittent rapidement le domaine du vraisemblable. Pour Pierre Daigneault, alias Saurel, l'espace interplanétaire est quelque chose d'assez flou et ses personnages croiseront de nombreux mondes habités. S'il est question de Vesta dans le numéro 652, empruntant le nom d'un véritable astéroïde, il est aussi question de mondes appelés Mona et Vani.

On pourrait même croire que le Pionnier I a changé de galaxie; un personnage déclare que les habitantes de Vesta « habitent une planète de notre Galaxie », dont elles sont les « reines ». Sur d'autres mondes, des extraterrestres parfois proches de créatures mythologiques se font la guerre, se livrent à des déprédations ou souffrent de l'oppression d'ennemis cruels. Jean Thibault et ses compagnons surmonteront les pièges des planètes inconnues, combattront des robots et vaincront souvent les oppresseurs, jouant les preux paladins en s'inscrivant dans une tradition qui remonte à Buck Rogers et Flash Gordon, si ce n'est pas au John Carter d'Edgar Rice Burroughs... Dans Les trois plaies d'Utano, un épisode qui a eu les honneurs d'une réédition dans IXE-13, les plus belles aventures de l'as des espions canadiens en 1981, ils viennent en aide aux habitants (qui mesurent trois pieds de haut) de la planète Utano. Pour ce faire, ils viendront à bout des vampires de l'espace avant d'affronter L'ermite de l'espace dans le numéro 658.

En effet, Pierre Daigneault et les Éditions Police-Journal ne laissent planer aucune ambiguïté sur leur choix de faire paraître des aventures de science-fiction. Aucune honte, aucune pudeur. Si les illustrations ne suffisaient pas à établir la nature des intrigues grâce à la multiplication de vaisseaux spatiaux et de créatures insolites, les titres le rappellent avec insistance. Cinq des dix-huit intitulés emploient le mot « espace » et trois autres parlent de planètes. Il est aussi question deux fois de déesses! Les autres titres invoquent monstres ou robots. Quant aux illustrations, que l'on doit selon toute vraisemblance à l'expérimenté André L'Archevêque (qui s'est depuis reconverti), elles combinent des fusées aux lignes souvent épurées, des créatures grotesques et des personnages affublés soit de scaphandres soit d'oripeaux tout droit sortis du space-opéra le plus traditionnel.

Le rôle aberrant (relativement aux normes de l'époque) des femmes est également une caractéristique récurrente de ces aventures spatiales. Dans la littérature de voyage et d'aventures, la présence de femmes fortes qui joue le rôle d'antagonistes remonte au moins à Circé l'enchanteresse. Il s'agit souvent de choquer en faisant intervenir des femmes qui ne sont pas à leur place accoutumée. Le texte accentue ainsi l'exotisme des cadres en offrant des retournements quasi bakhtiniens qui constituent autant de manières de distancer, et distancier, les lecteurs de leur réalité d'origine. (La tradition des voyages extraordinaires en compte de nombreux exemples, que l'on songe au royaume comique de Torelore dans la chantefable médiévale d'Aucassin et Nicolette ou au royaume décrit par Michel de Pure dans Épigone, histoire du siècle futur, en 1659.)

Dans La dictatrice de l'espace, quand IXE-13 rencontre l'immortelle Sagla, celle-ci lui annonce tout de go ses intentions et s'attire aussitôt un jugement expéditif de Thibault (p. 6):

— Je deviendrai la reine de tout l'univers, vous entendez? Je règnerai sur tous les peuples, toutes les planètes m'appartiendront.

— C'est une folle, pensa IXE-13.

Mais il s'agit justement d'établir que les personnages évoluent dans un monde qui, parce qu'il n'obéit pas aux règles en vigueur sur Terre, est bel et bien fou. Tout peut arriver.

Vieille et chenue quand elle fait son apparition, Sagla rajeunit en vampirisant une compagne d'IXE-13, ce qui justifie sans doute l'illustration de couverture. De plus, ce rajeunissement (doublé d'un embellissement notable) la classe désormais parmi les autres femmes désirables qui parsèment la série, déesses de Vesta ou déesse Vena... Plus maléfique que les autres, la dictatrice Sagla veut envahir la Terre, mais l'épisode 659 se termine par l'intervention des « policiers de l'espace de la police de Mars.»

En ce qui concerne les personnages humains, les illustrations de L'Archevêque alternent entre les femmes séduisantes (mais aux courbes sagement dissimulées) et les héros à la mâchoire prononcée et aux cheveux coupés en brosse. (Cela vous rappelle quelqu'un?) Mais ils ont assez rarement la vedette dans cette série d'aventures de sf, les monstres, les paysages spatiaux et les engins futuristes se partageant les honneurs. Pourtant, même si l'équipement des personnages de la couverture de Roi et maître de l'espace se veut sophistiqué, il rappelle plutôt ces passages de Forbidden Planet où les astronavigateurs utilisent des règles à calculer et des chartes... Tandis que l'assemblage d'une visière, d'un microphone et d'une antenne fait un peu penser à un masque de plongée sous-marine... Néanmoins, il s'agit peut-être d'un signal discret que le voyage de retour est entamé. IXE-13 et ses compagnons ont démontré qu'ils sont de taille à surmonter tous les obstacles, même dans l'espace; ils peuvent maintenant retrouver peu à peu leur monde familier. L'intervention de la police de Mars avait peut-être amorcé le mouvement en mettant un terme à la série de planètes entièrement imaginaires.

Dans l'épisode suivant, d'ailleurs, Jean Thibault renoue avec des manigances qui peuvent lui rappeler les intrigues de ses ennemis sur Terre. Un adversaire encore inconnu semble avoir recours à des agents provocateurs qu'il fait passer pour des Terriens afin d'attiser la révolte des mondes habités contre la Terre. Dans un roman d'espionnage, un complot de ce type aurait été le fait de quelque cerveau communiste dévoyé. Dans le contexte spatial, il est nécessairement le fait d'un extraterrestre, ce qui permet d'estomper les différends politiques proprement terriens. Désormais, IXE-13 et ses compagnons ne se battent plus en paladins chevaleresques et désintéressés, ils vont lutter pour sauver leur Terre natale!

Il n'est sans doute pas surprenant que la révélation de l'identité du commanditaire de ce coup monté apprend au lecteur que la personne responsable est une femme, la déesse Vena. Cette dernière est décrite comme étant arrivée — de Vénus, selon ses dires — sur la planète Ugorh dans un vaisseau de l'espace. Toutes les femmes d'Ugorh étaient des esclaves dont les filles, sauf une, étaient tuées à la naissance. Mais Vena possédait des « pouvoirs extraordinaires » et elle avait vite inspiré une sorte de culte (p. 2):

Véna savait se garder toujours jeune, touours très belle, toujours très aguichante.

Elle obligeait toutes les femmes à se voiler la figure et à porter des robes qui les cachaient de la tête aux pieds.

Elle, par contre, ne portait pratiquement rien. Ses longs cheveux d'un blond roux tombaient sur son dos.

Elle ne portait qu'un haut très court, et une jupe fait d'un matériel vaporeux et transparent.

Véna, « la plus belle femme de l'Univers », tentera de se servir de son pouvoir hypnotique pour convaincre un des comparses d'IXE-13 d'assassiner son chef, mais celui-ci échappera à l'attentat et renversera la situation en éliminant les robots qui sont les plus redoutables serviteurs de Vena. Pendant ce temps, les compagnes d'IXE-13 et de Marius Lamouche (le « colossal Marseillais », peuchère!) étaient retenues sur la planète Vangor qui est menacée par la désintégration d'Algar, la planète errante. Les ultimes aventures d'IXE-13 et de ses compagnons les mêleront aux affaires des planètes Zorta et Verta, mais ce ne sont que les derniers détours avant le retour sur Terre dans le numéro 667.


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