2006-05-22

 

En avoir ou pas

Si la question, c'est d'avoir une culture du futur, ou à tout le moins une culture sf, le journaliste Mathieu-Robert Sauvé n'en a pas... à en juger par le portrait flatteur qu'il signe de l'astrophysicienne Victoria Kaspi de McGill dans le numéro de mai-juin de la revue Découvrir de l'ACFAS.

Ce n'est pas que ce portrait soit erroné, mais Sauvé n'est clairement pas un familier de Star Trek, tandis que Kaspi, elle, l'est. (Et pourquoi pas, puisque McGill est l'alma mater du capitaine Kirk, c'est-à-dire William Shatner...) Ceci nous vaut quelques perles que les amateurs de l'univers de Roddenberry apprécieront:

« L'équipe de la professeure Kaspi a accès à l'un des ordinateurs les plus puissants au monde dans sa discipline, un Beowulf baptisé Borg en l'honneur de l'instrument informatique du film Star Trek — Next Generation. »

Tout d'abord, aucun film de ce nom n'existe . Ensuite, même la série télévisée dont il est question s'appelait Star Trek: The Next Generation. Enfin, je suppose que l'on pourrait appeler l'entité collective Borg un instrument informatique, mais ce serait quand même extrêmement trompeur...

« De plus, la physique comblait un vieux fantasme. « J'ai été une authentique Trekker », dit-elle. C'est le nom qu'on a donné aux amateurs de la série culte des années 1970 : Star Treck. Elle connaissait certains épisodes par cœur et a même lu quelques romans tirés des aventures du commandant Kirk et du professeur Spock. »

Il est possible que Vicky Kaspi se soit qualifiée de Trekker; à une certaine époque, cela faisait plus respectable que se dire Trekkie. (En revanche, le comble du snobisme, c'était de se qualifier de Trekkist.) Il reste que, pour la plupart des gens, le nom donné aux amateurs, c'était bel et bien Trekkie, pas Trekker. Quant à la série, elle s'appelait Star Trek, pas Star Treck! (D'accord, c'est une coquille, mais quand même.)

Pire encore, la série originale a été diffusée durant les années 1960... La seule série apparentée à avoir été produite durant les années 1970, c'est la version en dessin animé de 1973-1974. Ce n'est sûrement pas celle qui a séduit Kaspi.

Enfin, je veux bien croire qu'en français, on parlait du professeur Spock, mais la série n'a jamais fait de lui un docteur ou un universitaire...

Quelle importance qu'un journaliste scientifique étale aussi ouvertement son ignorance de Star Trek? Eh bien, je suis tenté de faire un rapprochement entre cette inculture sf et l'attitude québécoise en matière de sf. Dans une galaxie près de chez vous a été un succès parodique. Ayoye! a aussi creusé la veine humoristique. Sinon, la culture populaire québécoise n'a pas plébiscité une création science-fictive depuis des décennies, voire jamais, sauf dans le créneau jeunesse.

Ou plutôt, il faudrait dire que cette culture populaire n'a jamais produit une œuvre science-fictive adoptée par son propre public, car tout indique que le grand public a généralement apprécié les créations science-fictives étasuniennes au cinéma ou ailleurs. Ce qui permet de poser la question du rapport du Québec francophone au futur... Si on a envisagé l'an 2000 avec espoir au temps où Stéphane Venne chantait « Les enfants de l'avenir », il n'a pas fallu longtemps pour que l'avenir, ce soit « Mommy » chanté par Pauline Julien ou l'univers déshumanisé de Monopolis dans l'opéra rock Starmania.

Peut-on faire un lien entre ce désintérêt pour l'avenir ou le progrès technique et le fait que la société québécoise demeure moins entrepreneuriale qu'ailleurs? Le Québec a longtemps été en retard sur les autoroutes de l'information. Malgré des réussites indéniables dans le domaine de la recherche scientifique ou technique, et même dans celui de la vulgarisation scientifique, on peut sentir comme un fossé infranchissable entre ces institutions de recherche (dont les animateurs sont souvent d'origine étrangère) et le peuple qui les finance de ses deniers. Le sentiment d'un fossé entre les savants dans leur tour d'ivoire et les profanes n'est pas particulier au Québec, mais l'impopularité des imaginaires de la science-fiction dans la culture proprement québécoise a quelque chose d'absolu qu'on ne sent pas nécessairement en France. Ou aux États-Unis.

Il faut sans doute avoir vécu au Canada angophone pour apprécier à quel point l'univers de Star Trek fait partie de la culture populaire, du moins pour une certaine génération. Cette familiarité fait partie des ponts jetés entre la culture populaire et la culture scientifique; si la vulgarisation technique ou scientifique n'est que moyennement honorée dans l'Amérique du Nord anglophone, c'est peut-être parce qu'elle n'a pas besoin d'être poussée...

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