2006-03-19

 

Un parc en danger

Le parc du Mont-Orford sans le mont Orford? Il y a de ces absurdités qui portent tout de suite l'humeur du citoyen au point d'ébullition. Vendre l'essentiel du mont Orford pour agrandir un parc désormais privé de son point culminant éponyme? Une fois de plus, on s'interroge non sur les intentions du gouvernement Charest mais sur sa lucidité politique. Le parc du Mont-Orford est sans doute un des parcs québécois les plus connus de la population québécoise; il fallait s'attendre à ce que la réaction soit particulièrement vive et que la question ne puisse pas être traitée comme une simple affaire locale.

Personnellement, j'avais été déçu de constater à quel point le parc était déjà « développé » quand je l'avais visité. Terrains de camping au bord du lac, pistes de ski, routes asphaltées à l'intérieur des limites du parc, golf limitrophe... Je suis porté à faire une exception pour le Centre d'arts et l'auberge de jeunesse qui sont situés en périphérie du parc et qui sont d'utilité publique. En outre, quand j'avais débarqué de l'autobus de Magog à la sortie de l'autoroute pour entrer dans le parc à pied (à une époque où c'était gratuit), j'avais observé des domiciles prévus en bordure de rivière à l'intérieur du parc. J'ignore si ce projet a été mené à bien, mais la simple possibilité de proposer un lotissement dans un parc suffisait à faire descendre le parc — ou le « modèle québécois » en la matière — dans mon estime.

Bref, on ne s'étonnera pas que la résistance s'organise. Elle est d'autant plus vive que le Québec est loin de pouvoir se péter les bretelles dans ce domaine, malgré la conviction des Québécois d'être plus verts que la moyenne. En fait, s'il y a de nombreuses réserves fauniques au Québec, le niveau de protection de ces zones est très variable. Le rapport final de la commission Coulombe l'énonçait clairement dans le chapitre 4 (.PDF).

À l'international, la comparaison n'est pas favorable. Je cite : « Selon la Commission mondiale des aires protégées, environ 11% de la surface terrestre jouit actuellement d'un statut de protection, selon les catégories I à VI de l'Union mondiale pour la nature (UICN).» (p. 54) En 2004, on estimait à 5,4% de la surface du Québec l'étendue des zones protégées. Admettons que le Québec a, en principe, les moyens d'assurer une protection réelle à ces régions alors que des pays ailleurs dans le monde ne le peuvent peut-être pas. Mais la comparaison avec le reste du Canada n'est pas plus encourageante. L'Alberta et la Colombie-Britannique protègent plus de 12% de leurs territoires, le seuil minimum recommandé par le Rappport Brundtland en 1987. Admettons qu'il est plus facile de protéger des montagnes et des glaciers que des forêts potentiellement productives (même si la Colombie-Britannique continue à aller de l'avant avec de nouvelles mesures de protection de sa précieuse forêt pluviale). Mais l'Ontario, qui ressemble beaucoup plus au Québec que ces deux provinces, protège pourtant 9% de son territoire. À l'échelle du Canada, enfin, c'est 9,9% du territoire qui est protégé.

La conscience du rattrapage qui s'impose au Québec est sans doute pour beaucoup dans la réaction au projet du gouvernement Charest — même si les considérations purement politiques (hostilité épidermique aux Libéraux, cynisme et dédain face aux mœurs politiques) semblent l'emporter sur les considérations plus écologiques. Pourtant, au sud et à proximité du Saint-Laurent (c'est-à-dire dans les provinces naturelles A et B du Québec, soit les Appalaches et les basses-terres du Saint-Laurent), seulement 0,26% du territoire jouit d'une protection admissible aux trois paliers supérieurs du classement de l'UICN. Au total, 5,88% du territoire entre dans les six paliers supérieurs, mais les basses-terres du Saint-Laurent qui forment la région naturelle habitée par la plus grande partie des Québécois ne peuvent revendiquer que 1,44% d'aires protégées contre 4,44% pour la région des Appalaches.

En termes concrets, il n'y a que 10 kilomètres carrés (0,2% de l'ensemble) dans cette région des basses-terres laurentiennes qui soient protégés selon les trois paliers supérieurs de l'UICN. La carence est telle qu'on comprend mieux comment le gouvernement Charest s'est enfoncé dans un authentique bourbier en touchant à un des rares joyaux naturels à une distance raisonnable de Montréal...

Libellés : ,


Comments: Publier un commentaire

<< Home

This page is powered by Blogger. Isn't yours?