2006-03-31

 

In Memoriam Louise Trudel, 1936-2006

Il y a une semaine, ma tante Louise est morte au terme d'une longue maladie. Ce n'était donc pas une surprise que ce décès attendu, mais c'est quand même une autre partie de ma famille qui disparaît et, avec elle, beaucoup de souvenirs et de liens avec des parents proches et plus éloignés.

Née à Saint-Boniface au Manitoba le 23 août 1936, Louise était la benjamine de la famille Trudel, la fille du docteur Jean-Joseph Trudel et de Margherita Chevrier. Mais la petite fillette aux joues rondes des plus anciennes photos — dont celle du 13 mai 1942 à gauche où on la voit avec un Colt à la ceinture — est devenue très tôt une patineuse déterminée. Elle savait ce qu'elle voulait, et elle n'a jamais changé. C'est cette détermination qu'il faut lire sans doute dans la photo de droite, qui date de septembre 1945, où la jeune Louise n'est pas à son meilleur mais n'a pas l'air disposée à s'en laisser conter.

Longtemps avant Cindy Klassen, Winnipeg était une capitale mondiale du patinage de vitesse (le championnat du monde tenu à Montréal en 1897 avait été remporté par Jack McCulloch de Winnipeg) et elle l'est restée longtemps, tandis que d'autres villes nord-américaines optaient pour la pratique du hockey. Louise profite de la présence dans son quartier du club de patinage de vitesse de Norwood—Saint-Boniface pour s'y mettre. En 1944, elle est championne nord-américaine des filles de moins de 10 ans dans la photo de droite, prise le 19 février 1944. Pendant plusieurs années, elle disputera des courses sur plus d'une piste glacée du Canada ou des États-Unis, arrivant souvent la première et décrochant une série de titres. Quand on connaît les hivers rigoureux de Winnipeg, on ne peut qu'admirer la persévérance qui l'a toujours distinguée. Pour quitter la maison et aller s'exercer le soir, à la nuit tombée, sur une piste à ciel ouvert en plein hiver, il fallait une ténacité peu ordinaire. En 1947, elle est championne canadienne de patinage de vitesse des filles midget. Comme on peut le voir dans la photo de gauche, prise en février 1947, l'uniforme n'avait rien à voir avec ce que les patineuses portent aujourd'hui... Plus tard, elle deviendrait championne nationale junior, ce qui lui a valu plus tard d'être immortalisée dans la catégorie des pionnières du Sports Hall of Fame manitobain. Mais le sport qu'elle a pratiqué le plus longtemps et le plus assidûment, c'est sans doute le ski. Elle consacrait quelques semaines chaque année à un séjour sur les pentes, à Vail au Colorado ou ailleurs. Mais elle était aussi une randonneuse à l'occasion et n'avait pas dédaigné de s'initier à l'ornithologie. Cette année encore, elle avait fait un dernier voyage à Vail, moins pour skier que pour retrouver des lieux qu'elle connaissait et qu'elle aimait.

En 1958, elle termine ses études à l'école des infirmières de l'hôpital de Saint-Boniface. Armée de son diplôme du St. Boniface School of Nursing, elle travaille dans plusieurs hôpitaux au Manitoba et en Ontario avant de poursuivre sa formation au Johns Hopkins Hospital à Baltimore, Maryland, qui était déjà parmi les plus réputés au monde. Elle voyage plus loin encore, car elle se rend en Europe, où travaille son frère, et elle ramènera de nombreux souvenirs d'un grand voyage qui la mène de la France à la Suède. Elle s'installe à Toronto en 1966, débutant une carrière de trente ans au Toronto Western Hospital.

Femme de grande culture, elle était une force tranquille et une amie appréciée de nombreuses personnes. Elle s'intéressait aussi bien aux sports et au cinéma qu'à la littérature et à l'histoire, y compris à sa propre histoire familiale (dont j'ai donné quelques aperçus sur ce blogue). Elle goûtait le bon vin, la bonne musique, la verrerie de qualité et les objets d'art. Son soutien m'a été précieux et je lui ai dédié Les insurgés de Tianjin, le volume qui concluait ma décalogie pour jeunes, « L'Ère du Nouvel Empire », chez Médiaspaul.

Une année, elle m'a demandé en cadeau Citadelle, d'Antoine Saint-Exupéry. J'y ai cherché des mots, rien que des mots, pour dire ce qu'elle a été. Saint-Exupéry est l'écrivain de l'action, de la réalisation, de l'être humain qui s'accomplit par ce qu'il accomplit dans le monde, et aussi envers et contre le monde. « Et le plaisir de former la fleur, de vaincre la tempête, de bâtir le temple, se distingue du plaisir de posséder une fleur faite, une tempête vaincue, un temple debout. » Ouvrage des ultimes années de l'auteur français, rédigé entre 1936 et 1944, Citadelle est le plus religieux de ses livres. On peut comprendre Le petit prince comme une distillation des thèmes abordés par Citadelle, dont le personnage principal est aussi un prince, non d'un astéroïde mais d'une cité et d'un royaume quelque part dans le désert.

Pourtant, si le nom de Dieu, du Seigneur, reviens assez souvent, Saint-Exupéry fait plutôt de la permanence des choses, des faits, des gestes posés (ou plus exactement peut-être de leur rémanence) la justification de nos vies. « Car tu n'as rien à espérer si rien ne dure plus que toi. » Dieu, lui, est tout au plus le sens du monde. Écrivant dans l'ombre de la guerre, car il ne faut pas oublier qu'il a connu la guerre civile en Espagne dès l'été 1936, Saint-Exupéry écrit aussi dans l'ombre de la mort et il est d'autant plus attaché à ce qui survit, ou à ce qui, ayant vécu, a été réel et ne saurait cesser de l'être. « Et certes il existe, l'irréparable, mais il n'y a rien là qui soit triste ou gai, c'est l'essence même de ce qui fut. »

Good night, sweet prince.


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