2006-02-09

 

Iconographie de la SFCF (3)

Dans mes contributions précédentes sur ce sujet, j'ai évoqué les premières tentatives d'illustrer des livres relevant du merveilleux et de la fantasy, et auparavant les représentations visuelles associées à différentes éditions d'un roman pour jeunes marquants de la SFCF, Surréal 3000. C'est un peu dans la même veine que je poursuis ce soir, car j'ai sorti des rayonnages du sous-sol quelques livres pour jeunes de la même époque. En partant du principe que les illustrations de tels livres se prêtent plus volontiers au décodage parce que les couvertures devaient parler beaucoup plus directement aux jeunes, on peut espérer discerner comment la science-fiction était pensée de la manière la plus primaire. À cette fin, je commence par choisir un roman pour les très jeunes, Jeannot fait le tour du monde, de Francine Harvey. Le nihil obstat a été signifié le 25 janvier 1961 à Québec par le prêtre R. Bernier et la permission finale d'imprimer a été donnée le 4 février par F. Philibert. Comme quoi les choses ont bien changé au Québec en quarante-cinq ans... Le héros du livre est Jean Lavoie, dit Jeannot, qui vit « dans un charmant petit village de la province de Québec » (p.14). Il reçoit un soir la visite d'un jeune Martien appelé Marco (!). Ce « petit homme vert » (p. 8) est arrivé aux commandes d'une soucoupe volante dont Jeannot va se servir pour faire le tour du monde. L'illustration (anonyme) nous montre justement cette soucoupe. Au terme de son voyage autour du monde en soucoupe, Jeannot se réveillera... dans son lit, car ce n'était qu'un rêve.

En second lieu, que trouvons-nous cinq ans plus tard? Un tout autre univers. Le trésor de la Santissima Trinidad (1966) fait partie de la série « Unipax » de Maurice Gagnon, publiée par Lidec. Les romans de cette série, qui se vendaient à un dollar l'unité, étaient adressés aux jeunes, mais aucune indication ne permet de préciser la fourchette des âges visés ou de la comparer à celle du petit livre de Francine Harvey. Néanmoins, Gagnon cible de toute évidence un lectorat plus âgé et plus à l'aise avec des intrigues politiques du calibre de celles que l'on pouvait suivre à la télévision dans les séries d'espionnage. Gagnon fait toutefois une concession, suppose-t-on, à son éditeur en distançant l'action du contexte politique immédiat. Même si les romans décrivent une nouvelle guerre froide dans un futur lointain, situé après au moins une autre guerre mondiale, les grands antagonistes sont encore les Américains et les Russes, avec les Asiatiques aussi dans le décor. Certes, il se peut également qu'il se projette aussi loin dans l'avenir afin de rendre vraisemblable la technologie futuriste des appareils de l'organisation Unipax. En tout cas, la série se voue à l'action et les missions vont se succéder de livre en livre. Missions d'espionnage, interventions militaires, opérations de commandos... Ces petits romans s'enrichissent souvent d'un petit glossaire ou de tableaux explicatifs. Et l'iconographie reflète l'orientation des romans. Jean-Paul Ladouceur ne dédaigne pas les scènes d'action. Toutefois, dans le cas de ce roman, il représente les appareils auxiliaires des submersibles d'Unipax. Ceux-ci sont appelés des satellites, mais ils sont « en forme de soucoupes volantes » (p. 9). Et c'est ce que montre la couverture.

Une constante commence à se dégager. Pour illustrer de la science-fiction, quoi de mieux qu'une soucoupe volante? C'est ce que pourrait confirmer la couverture du premier roman de Charles Montpetit, Moi ou la planète, chez L'Actuelle, dans sa collection jeunesse. En 1973, toutefois, beaucoup d'eau a coulé sous les ponts et il n'est plus question de parler de soucoupes volantes aussi naïvement. L'appareil qui est représenté par Célyne Fortin sur la couverture est un « Cône spatial ». Dès les premières pages, la possibilité d'une visite extraterrestre est évoquée, mais non sans scepticisme. Le patron du journaliste Jo Philipps lui parle d'une « de ces fameuses "choses" que l'on appelle Objets Volants Non Identifiés ». Pourtant, l'image de la couverture ne laisse pas grand-place à l'ambiguïté. Même si la silhouette n'est pas tout à fait la même, c'est encore une fois une soucoupe volante qui se retrouve sur la couverture d'un roman de science-fiction pour jeunes. Faut-il s'étonner ensuite que la science-fiction ait été si souvent associée aux soucoupes volantes? Bien entendu, on ne peut blâmer Charles Montpetit d'avoir signé un énième récit d'invasion extraterrestre contrecarrée par les humains. Il avait tout juste quinze ans et il fréquentait le Collège Brébeuf de Montréal quand il a remporté le prix de L'Actuelle/Jeunesse qui donnait droit à la publication de son histoire!

Enfin, jetons l'œil sur un dernier ouvrage d'avant 1980. L'éditeur n'est pas n'importe qui : la maison Fides compte parmi les plus anciennes du Québec. L'auteur, par contre, n'est pas tellement plus vieux que Charles Montpetit, car il est né en 1955 au Cap-de-la-Madeleine. Son roman, Les Voyageurs du temps, est paru en 1978. Ce titre ultra-classique cache un roman relativement bien maîtrisé dans le genre et qui ose même verser un peu dans l'uchronie. Mais comme il s'agit de science-fiction destinée à la collection « Espace-Temps » (je ne sais s'il y a eu d'autres livres dans cette collection...), l'illustratrice Josée Guberek n'a fait ni une ni deux. Elle a dessiné le contour d'un OVNI classique sur la couverture! Pourtant, la description de l'auteur fait un effort louable pour s'éloigner du poncif et aurait pu justifier une illustration assez différente : « Une impressionnante construction métallique se dressait devant moi. Une étincelante demi-sphère d'une quinzaine de pieds de diamètre, dont les commutateurs et manettes étaient rassemblés sur des panneaux de contrôle accessibles de l'extérieur. Entre ces panneaux étaient disposés des cases ovaloïdes dans lesquelles les passagers devaient prendre place.» (p. 29)

Dans ces deux derniers livres, les personnages de Montpetit et Lefebvre font explicitement référence à la science-fiction, histoire de démontrer leur scepticisme face à des manifestations dont ils finissent par accepter l'authenticité. Ils entrent ainsi dans une logique assez bien connue, qui consiste à accepter l'existence de la science-fiction dans le cadre du récit afin d'établir que le récit n'en est justement pas. Quelque part, je crois que le recours à des soucoupes en couverture sape un peu cette stratégie, car ces soucoupes rattachent beaucoup trop fortement les ouvrages à la science-fiction classique des films qui faisaient référence depuis les années 1950. Du coup, la dénégation ne peut plus fonctionner aussi efficacement... L'utilisation de soucoupes volantes s'est poursuivie pendant quelques années après cette date, mais elle a concerné de plus en plus des ouvrages pour adultes d'inspiration ésotérique et ce serait là une histoire pour une autre fois.

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