2006-01-12

 

Voyage au Chili (3)

Après la science, l'histoire et la littérature.

À mon retour de Cerro Tololo, j'ai entrepris de visiter un peu la région de La Serena. La ville de La Serena a une longue histoire. Fondée par les Conquistadores espagnols en 1544, elle a été rasée par une révolte indigène avant d'être relevée de ses cendres par Francisco de Aguirre en 1549. Également attaquée par le corsaire anglais Francis Drake, la ville a tout naturellement conservé de cette jeunesse mouvementée une place d'armes (lieu où se rassemblaient les soldats ou miliciens en cas d'alerte) comme en Nouvelle-France à Québec ou Montréal. Il s'agit de la Plaza de Armas dominée par une cathédrale construite sur les fondations du premier sanctuaire. L'édifice visible aujourd'hui (à gauche) remonte au dix-neuvième siècle, l'architecte français Jean Herbage s'étant chargé du projet. Le quartier autour de l'église est resté bourgeois, sans doute assez chic, mais il était assez peu animé quand j'y suis passé.

Le soir, cette partie de la ville qui concentre les bâtiments officiels et les vieilles maisons de style colonial espagnol était plutôt tranquille. Le quartier des restaurants se trouvait un peu plus à l'est et j'ai profité de mon séjour pour tâter de plus d'un établissement, et de plus d'un style de cuisine. Du restaurant opéré comme une cafétéria au temple gastronomique servant des poissons et fruits de mer tirés du Pacifique tout proche, en passant par le petit établissement sympathique avec ses tables sur une terrasse surplombant le barrio... Mais il était plus sage d'éviter les fruits de mer proprement dits cette année-là en raison d'une alerte au choléra. Le Chili s'en tirait assez bien, relativement à d'autres pays sud-américains, mais des affiches étaient placardées dans certains lieux publics (comme la station des autobus) pour donner les consignes de sécurité minimales.

Le jour suivant, j'ai loué une voiture pour partir à la découverte de la vallée de l'Elqui, connue pour ses vignobles et pour une poète nationale, prix Nobel de littérature en 1945.

Non, je ne confonds pas avec Pablo Neruda, qui a obtenu le prix Nobel de littérature en 1971. Contrairement au Canada dont pas un auteur (j'écarte Saul Bellow) n'a été honoré par un Nobel, le Chili peut s'enorgueillir de plus d'un auteur ainsi reconnu. Avant Neruda, il y a eu Gabriela Mistral, née Lucila Godoy Alcayaga, dans la bourgade de Vicuña au cœur de la vallée de l'Elqui. Le 7 avril 1992, j'ai atteint en voiture cette petite ville et j'ai visité une des principales attractions touristiques du lieu, la petite maison où vivait la famille de la future Gabriela Mistral. Son père était maître d'école pour le niveau primaire. La maisonnette était très simple. Plancher de terre battue, quelques meubles... Je ne sais plus si je connaissais ou non l'existence de Gabriela Mistral (qui doit son nom de plume au grand félibrige provençal) avant cette visite, mais c'est sûrement cette visite qui m'a révélé que la poète était inhumée dans un petit village de la montagne. J'ai repris la voiture et quitté la route principale pour une route secondaire s'enfonçant entre les pics des Andes. La photo ci-dessous montre l'entrée de la vallée au fond de laquelle je trouverais le village de Montegrande. Sur cette route de terre, uniquement bétonnée sur quelques longueurs où elle croisait des lits de torrents printaniers, j'ai failli avoir un accident de voiture causé par des ânes de bât, pour la première et seule fois de ma vie... Mais j'ai fini par rallier Montegrande. Je crois me souvenir que Gabriela Mistral y avait enseigné durant ses jeunes années, alors qu'elle signait ses premières œuvres poétiques, et qu'elle avait fort goûté son retour dans le pays qui l'avait vue naître — mais je pourrais me tromper. Dans la photo ci-contre, on aperçoit la petite église du village et on distingue entre les branches le toit d'une maison. À l'avant-plan, je crois qu'il s'agit d'un terrain de soccer. Je me souviens comment j'avais été frappé d'observer des enfants chiliens pousser une balle de soccer sur de semblables étendues poussiéreuses, si différentes des terrains herbus retrouvés sous des latitudes moins arides.

Le plus impressionnant, c'est sans doute le flanc de la montagne qui se dresse tout près du village. La rocaille d'un rose délicat semble menacer les habitations d'un éboulement imminent et dévastateur. Toutefois, le cadrage est sans doute un peu trompeur, car il suffit de se détourner pour constater que la vallée n'est pas un simple ravin et qu'en fin de compte, Montegrande n'en occupe pas l'extrémité. Dans la photo ci-dessous, on ne peut qu'admirer la persévérance des paysans qui entretiennent des vignes et des cultures en terrasse ou à flanc de montagne, dans un cadre aussi désolé...
La tombe de Gabriela Mistral? Je l'ai trouvée tout près de la route. La stèle de pierre blanche cite un mot de la poète que je traduis ainsi : «Ce que l'âme fait pour son corps est ce que l'artiste fait pour son peuple.» Les dates de sa vie bien remplie (7-IV-1889, 10-I-1957) sont données sur les deux inscriptions commémoratives. Durant ces sept décennies, elle a été enseignante, puis invitée au Mexique révolutionnaire de l'entre-deux-guerres (au temps de Diego Rivera et Frida Kahlo). Poète, elle a connu la grâce et la disgrâce au gré des régimes se succédant à la tête du Chili. Elle a servi son pays comme consul et comme représentante en Europe auprès de la Société des Nations. Durant les années de la Seconde Guerre mondiale, elle a vécu au Brésil avec son fils adoptif, y faisant la connaissance de Stefan Zweig et se nouant d'amitié avec lui et sa femme. Mais le suicide de Zweig et la mort violente de son fils en 1945 — l'année même de l'attribution du prix Nobel — la découragent de rester plus longtemps en terre brésilienne et elle reprend son bâton de pélerin. En 1956, elle vit un retour triomphal au Chili avant de mourir le 10 janvier 1957 dans un hôpital de New York. Le Chili décrète un deuil officiel de trois jours et transporte ses restes à Montegrande. La plaque du bas dans la photo à droite cite la défunte en ces termes : «C'est ma volonté que mon corps soit enterré dans mon village bien-aimé de Montegrande.»

À Santiago, quelques jours plus tard, j'ai vu la médaille de son prix Nobel dans un musée.

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