2005-11-05

 

Productivisme

Aujourd'hui, la page éditoriale du Globe and Mail veut lancer un débat sur la productivité de l'économie canadienne. Elle stagne, paraît-il, ce qui est confirmé dans les pages économiques du même journal où on signale que la hausse de l'emploi devrait entraîner une baisse attendue de la productivité.

Je ne peux m'empêcher de remarquer que cette baisse dramatique du chômage, qui revient aux chiffres des années 1970, va de pair avec une stagnation de la productivité tandis qu'en France, pays qui peut se vanter d'une productivité excellente par heure travaillée, le chômage stagne à des niveaux plus élevés de 50% au moins qu'au Canada. Quant aux banlieues où se retrouvent les immigrés et les enfants ou petits-enfants de l'immigration, elles auraient des taux de chômage proches du 30% dans certains cas. Si les banlieues ne se révoltent pas à proprement parler, puisque la violence du moment est le fait d'un petit nombre de personnes, on peut parler d'une forme de méga-vandalisme qui n'est sans doute possible que dans une communauté dont une partie importante ne se sent aucunement concernée par le bon fonctionnement d'une société dont on l'exclut.

Lors de la première élection de Chirac à la présidence, je me souviens qu'en raison de son discours sur l'exclusion sociale, je me disais qu'enfin, un Français avait compris que le chômage était autrement plus néfaste que les soi-disant exactions du capitalisme et du patronat. Mais j'étais méfiant quand même (précisons que je n'avais pas eu l'occasion de voter pour l'un ou l'autre des candidats, justement parce que j'étais en France alors que je n'étais habilité à voter dans les élections françaises qu'au Canada). L'adoption par Chirac d'une position sur la fracture sociale me semblait bien soudaine, et sa sincérité suspecte. La suite a prouvé que j'avais raison. Ou, du moins, Chirac a montré qu'il n'avait aucune idée d'une meilleure façon de procéder, quelles qu'aient été ses convictions.

Une comparaison de la France et du Canada suggère qu'une solution pourrait être l'injection d'une dose de libéralisme en France, afin de libéraliser le marché de l'emploi en allégeant les charges et en rendant les emplois plus accessibles en les rendant moins onéreux pour les employeurs. Je ne dispose pas de références précises, mais certains spécialistes français ont reconnu depuis longtemps qu'une part non-négligeable du retard français en fait d'emploi s'explique par un retard dans le secteur des services. Les 35 heures n'ont pas aidé, bien entendu.

Si la productivité par heure travaillée est si élevée en France, n'est-ce pas tout simplement que le coût élevé de la gestion de chaque emploi fait disparaître les "petits" emplois et encourage la rétention des seuls emplois qui rapportent beaucoup? Les Français allèguent qu'ils travaillent tout simplement mieux en travaillant moins, tandis que les Étatsuniens gaspillent une partie du temps qu'ils passent au travail. C'est peut-être vrai, mais il serait intéressant de savoir qui, de la boulangère officiellement au travail dans la boutique d'un hameau de 300 âmes en France profonde et du préposé à la caisse dans un 7/11 ouvert 24 heures sur 24, travaille véritablement le moins.

En fait, il ne faut jamais perdre de vue que la productivité est un chiffre unique qui décrit l'ensemble de la performance économique et englobe tous les emplois sans exception, des occupations manufacturières à haute valeur ajoutée jusqu'aux postes dont il est difficile d'évaluer l'impact sur la production. Cela dit, s'il était exact que la productivité élevée en France est la conséquence mécanique de la fabrication du chômage correspondant par l'abolition des "petits" emplois, il resterait à expliquer pourquoi la productivité stagne au Canada tandis qu'elle augmente sans cesse aux États-Unis.

Les deux pays ont des marchés de l'emploi assez semblables. Certains soutiennent même que l'assurance-santé au Canada rend la création et le maintien d'emplois moins onéreux qu'aux États-Unis où les coûts des assurances privées montent vertigineusement. (La solution étatsunienne est simple: éliminer tous les bénéfices reliés à la santé des employés. S'ils tombent malades, qu'ils se débrouillent.) Dans ce contexte, suivant la logique que j'expose ci-dessus, on devrait s'attendre à une profusion de "petits" emplois peu productifs et à une stagnation de la productivité au moins aussi prononcée qu'au Canada.

Comme ce n'est pas le cas, il faut envisager d'autres explications. Le marché intérieur étatsunien est beaucoup plus grand que le marché canadien. Les économies d'échelle pourraient rendre même les emplois intrinsèquement moins productifs plus productifs dans un tel cadre. La productivité pourrait également bénéficier de l'élan acquis durant la bulle des technologies de l'information, les investissements dans la recherche et les infrastructures à cette époque payant des dividendes actuels. Il est également possible que les délocalisations aient substitué des emplois étrangers aux emplois nationaux les moins productifs. Ce serait alors l'effet Wal-Mart, le résultat d'une recherche impitoyable de la rentabilité. Si cette recherche est entravée au Canada par un syndicalisme encore puissant et des lois plus favorables aux travailleurs, on tiendrait alors un début de réponse. Mais ce sont des hypothèses à creuser.

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